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Une politique étrangère ? Pourquoi faire ? par Stephane Geyres



La question de la défense, et au-delà de la politique étrangère, est un des sujets polémiques souvent avancé par certains pour contester la vision libérale et la qualifier d’utopisme. Le sujet est vaste, ce texte se veut très synthétique et mérite des compléments de lecture, mais les bases sont simples.
Une des grandes fiertés des étatistes est de croire pouvoir opposer aux libertariens que la société libre ne propose pas de « véritable solution » à la question de la défense, c’est-à-dire à la capacité à réagir, voire à repousser l’agression d’un état étranger. La chose est loin d’être si binaire, car le sujet ne l’est pas, et in fine la réponse s’avère souvent pleine de surprises pour nos interlocuteurs.
Tout d’abord, il est pitoyable que la guerre ou l’agression puisse être un argument pro-étatiste ou contre-libéral, car cela demeure un argument contraire à la logique même de notre civilisation. Si l’état est celui qui mène les guerres et donc qui en est la cause, on ne peut pas se servir de la guerre comme argument pour contester une société libérée de l’état. Ce serait comme contester l’exigence de sortie de l’état du marché du travail pour régler la question du chômage, phénomène étatique.
Quand bien même, la réalité demain sera en effet, pour un territoire pleinement libre, de choisir comment anticiper la possible agression par un état externe. La question se pose déjà de nos jours pour les pays, comme la Suisse, qui sont neutres et doivent néanmoins ne pas rester sans défense.
Il y a plusieurs principes qui peuvent être combinés pour constituer une défense à la fois efficace et pourtant conforme aux principes libéraux. Certains sont développés ci-après – mais l’imagination et l’innovation de la liberté en trouvera bien d’autres, à n’en pas douter. Ils ont tous en commun de chercher à prendre l’état et la force à contre-pied en confiant la défense non pas au collectif mais aux individus, en ne faisant aucune différence entre les états agresseurs et en jouant sur les intérêts individuels qui ne manquent jamais d’entrer en jeu, même pendant une guerre.
Le modèle social libéral repose sur de petits territoires, à l’image d’un Monaco ou Andorre. Or, nous dit-on, un petit pays n’aura jamais la puissance d’un grand état et ne pourra s’opposer durablement. Or, une des stratégies les plus efficaces, mise en pratique depuis longtemps par des pays faussement « fragiles », tels la Suisse et Israël, tient à maintenir leur forte attractivité. Cela consiste à faire en sorte d’attirer à soi les meilleurs talents et les grands intérêts privés, tels des ingénieurs prometteurs, ou des hommes d’affaires confirmés qui amènent du capital, des moyens, ainsi que de l’influence.
L’attractivité peut aussi prendre une dimension morale ou fiscale, donnant des arguments efficaces pour les grandes fortunes d’aujourd’hui et de demain. Cela permet de démultiplier des « armes » contre lesquelles un état classique et bedonnant, mal organisé et inefficace, aura fort à faire. Cela permet aussi d’attirer le capital personnel des chefs des états potentiellement agresseurs, qui dès lors ont tout intérêt à ne pas détruire leurs biens par une guerre irréfléchie.
Certains esprits chagrins nous imaginent parfois préférer nous borner à constater la misère ou les conflits dans le monde plutôt que d’accepter qu’on y intervienne, comme au Mali par exemple. L’idée de départ est simple, elle consiste à revenir aux principes libéraux : si je respecte l’intimité de mon voisin, dont je ne vois et ne sais jamais qu’une mince partie de la vie, je peux légitimement lui exiger en retour de respecter la mienne. A l’inverse, si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, il ne faut pas m’étonner de subir des retours de bâton, des représailles : « Interventionism strikes back ».
Il est par contre tout à fait envisageable, parfois souhaitable, d’intervenir, ou plutôt d’agir de manière douce et pacifique, typiquement par la charité – celle que les ONG sont censées incarner – certes pas toujours dignement. S’il est sain de vouloir aider les peuples à sortir de la misère ou de l’oppression, il ne peut être porteur de liberté que d’imaginer le faire par une forme quelconque d’action militaire.
Enfin, toujours dans cette ligne, n’oublions pas qu’un état reste un état. Prétendre qu’il est « bien » de souhaiter remplacer par l’intervention et la force un régime par un autre qui serait « meilleur » revient à se bercer d’illusion sur la nature même du régime « salvateur ». La Suisse ne bouge jamais.
Dans cet esprit, on nous oppose souvent que si les Etats-Unis n’étaient pas intervenus en Europe, nous serions aujourd’hui encore sous la botte nazie. Cela est peut-être vrai, ou peut-être faux. On peut trouver bien des arguments en faveur d’un scénario d’effondrement du nazisme sans aide américaine. Mais peu importe. Ce qui compte, c’est que l’état nazi et l’état-providence tel que celui que nous subissons actuellement, tout comme les Etats-Unis d’ailleurs, ne présentent aucune véritable différence de principe, et pas autant de différences pratiques qu’on veut bien le faire croire. Un pays en « état d’urgence » depuis deux ans, où s’afficher libéral est une « provocation » et qui abandonne ses citoyens au moindre ouragan est-il si différent d’un état noir, mais né dans les urnes ?
Une des meilleures stratégies libérales tient dans la neutralité résistante envers toute forme d’état. Elle consiste à ne faire aucune différence entre un état en place et un état agresseur – ni même sauveur d’ailleurs. Un état reste un état et la résistance envers l’un ou l’autre n’a aucune raison de changer. Pas de nationalisme ni de chauvinisme, on ne préfère pas l’état en place parce qu’il l’est, pas plus qu’on n’accueille l’état envahisseur, fut-il un « sauveur » ou « démocratique ».
La question du financement de la défense est avancée par certains comme argument suprême de la nature étatique de la défense, supposant sans alternative impôts et corps constitués. Or cette vue repose sur un modèle biaisé de défense, et la Suisse démontre depuis des lustres l’efficacité de son contre-exemple. Dans un état libre, ce sont les individus qui s’arment et qui s’organisent pour s’auto-défendre. Ce qui signifie que le financement est tout autant décentralisé que l’armement lui-même.
C’est bien plus efficace que toutes les armées – et les polices aussi d’ailleurs – que nous pouvons connaître, car toute la population est impliquée, armée et motivée pour se défendre – pas pour défendre la vague abstraction d’une nation ou d’un état sans réalité. La dissuasion par la perspective d’une guérilla potentiellement sans merci est bien plus forte que celle de la confrontation à une armée conventionnelle. La liberté étant individualiste, elle ne peut être que fortement décentralisée.
Enfin, avec l’actualité et l’islamisme, la défense étatique et ses troufions dans les rues serait le seul moyen de régler définitivement la folie soudaine de certains terroristes. Vraiment ? Autre erreur de stratégie qui oublie l’individu et la force des intérêts individuels. Probablement le plus fort argument et le plus efficace en matière d’une défense privée et individuelle tient dans la promotion du libre commerce. En effet, la meilleure façon de réduire le risque d’agression consiste à s’être rendu économiquement utile voire indispensable. Les généraux s’en prennent rarement à ceux qui détiennent leur or, ni à ceux qui leur doivent, pas plus qu’à ceux qui tiennent la famine du pays entre leurs mains. L’islamisme irrationnel ferait exception par fanatisme ? Demandez-vous à qui il profite.
Citations
« Je demande qui sont les miliciens ? Ils se composent désormais de tout le peuple, sauf quelques agents publics. » — George Mason, Address to the Virginia Ratifying Convention (1788)
« La guerre ne détermine pas qui vit juste – mais juste qui vit. » — Bertrand Russell (1872 – 1970)
« Il n’existe aucun moyen de se protéger contre les armes nucléaires (la seule protection actuelle résidant dans la menace de la destruction mutuelle assurée) et donc, les hommes de l’Etat sont en fait incapables de remplir aucune fonction de sécurité internationale aussi longtemps que ces armes existent. » — Murray N. Rothbard, Des Relations entre Etats, in Ethique de la Liberté

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