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Le FN, un choix qui divise le Nord-Pas-de-Calais

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On pourrait être tenté de croire que le FN a réussi à s’emparer de l’ensemble des communes de la région Nord-Pas-de-Calais. En réalité, des divisions au sein même des deux départements sont clairement notables. Alors pourquoi certaines villes sont tombées sous l’influence du FN ? Comment expliquer ce revirement soudain alors même que ce parti d’Extrême Droite a toujours été considéré comme un choix inenvisageable ? Voici quelques éléments de réponse avec un tour d’horizon des partis politiques choisis dans les principales communes du Nord-Pas-de-Calais.

 

Calais, cheval de bataille du FN

Terriblement marqué par l’arrivée des migrants, Calais souffre d’un climat tendu depuis plusieurs longs mois déjà. Marine Le Pen en a profité pour asseoir sa popularité locale, en clamant haut et fort qu’elle mettra fin à ce problème. Les habitants ne voulaient entendre que ça. Bilan, la frontiste obtient 49,10% soit 12 088 votes avec un taux de participation de 49,96%. C’était prévisible. Xavier Bertrand se place quant à lui second avec 23,40% des suffrages soit 5 760 votes. Même bilan pour l’ensemble des communes aux alentours qui souffrent également de l’impact de l’affluence massive de migrants. Grande-Synthe par exemple totalise 2 723 votes pour le FN (43,07%) contre 1 224 votes (19,36%) pour Pierre De Saintignon, second sur la liste. Le taux de participation est de 44,04%. Idem pour Dunkerque où Marine Le Pen obtient 40,68% des suffrages soit 40,68% pour une participation de 53,75%. On voit très nettement l’impact du problème migratoire avec un nombre de voix largement supérieur à la moyenne nationale dans les villes fortement touchées par l’installation des migrants. La campagne du FN sur place a été particulièrement soutenue et a visiblement porté ses fruits.

Tourcoing-Roubaix, une implantation moins nette du FN

Un peu plus au sud, à Tourcoing, on s’aperçoit que l’écart entre les deux partis politiques en tête du peloton se réduit. Avec 33,48% des suffrages pour le FN et 29,67% pour l’Union de la droite, on n’est plus dans le même constat que sur la zone calaisienne. On pourra également noter que le taux de participation de 39,24% est plus faible que pour le cas précédent. En cause ? Une envie un peu moins affirmée de voter pour le FN. Comment expliquer qu’à Calais il atteigne près de 50% ? Tout simplement parce que le fait même de voter pour l’Extrême Droite est là-bas un moyen de se faire entendre, de faire comprendre que la coupe est pleine et que le ras-le-bol est général. Ce n’est pas tant pour donner sa voix au FN que les gens se sont déplacés. Non, ils ont rejoint les urnes pour qu’enfin la France entière comprenne que trop c’est trop, qu’il est temps de réagir pour trouver une solution. Roubaix, une ville très proche de Tourcoing, affiche quant à elle une quasi égalité du FN et de l’Union de la gauche avec respectivement 26,64% et 26,00% des suffrages. Le taux de participation atteint lui 35,82%. Xavier Bertrand n’est pas loin derrière non plus avec 25,50% des votes. Outre l’effet du phénomène de Calais, les votes pour le FN sont motivés dans la région par le taux de chômage encore en hausse ces derniers mois. Les jeunes, premiers à souffrir des effets de la crise économique, ne trouvent pas de travail, ce qui provoque à nouveau un ras-le-bol général. On entend de très nombreux commentaires du style « J’ai voté à droite, aucun résultat. J’ai voté à gauche, aucun résultat. Je dois tester les extrêmes. ». On ne peut toutefois pas se contenter de réduire sa façon de choisir son candidat à ce simple raisonnement.

Marcq-en-Baroeul, Lille : FN largement relégué en seconde voire troisième place

Bien que ces deux villes soient très proches des deux précédemment citées, on n’observe aucune percée du FN ici. A Marcq-en-Baroeul, c’est Xavier Bertrand qui s’impose avec 49,30% des voix, devant Marine Le Pen qui récolte 18,44% des suffrages. Le taux de participation atteint 57,76%, ce qui est plus élevé qu’à Calais. A Lille, c’est Pierre De Saintignon qui prend la tête avec 34,32% des voix, juste devant Xavier Bertrand (22,08%) et Marine Le Pen (20,44%). Le taux de participation est de 51,67%, encore une fois, un taux plus élevé que dans la ville de la jungle. Comment expliquer cette différence ? Pourquoi le discours frontiste a un effet moindre sur cette zone ? Il semblerait selon toute vraisemblance qu’il y ait localement un microclimat lillois. Walid Hanna, président du groupe socialiste de Lille explique que la résistance de Lille au FN est due « à la politique de Martine Aubry [maire de Lille] et aux membres de son équipe qui travaillent au quotidien sur le terrain. » Il ajoute que ce résultat est « aussi lié à l’action de Pierre de Saintignon, qui est un élu local que les gens connaissent. ». Il rappelle toutefois que dans certains bureaux de votes, le FN a réalisé un score assez élevé comme au Faubourg-de-Béthune ou Lille-Sud. D’après lui, ce sont « des quartiers où les résultats de la politique nationale se font attendre, notamment en matière d’emploi ». Si on y réfléchit bien, l’Extrême Droite ne perce pas n’importe où. Il obtient un nombre de voix particulièrement élevé là où les problèmes de la société sont les plus forts (en termes de migration, de chômage,…). Dans la même zone, Xavier Bertrand passe largement en tête à Lompret (49,64% pour un taux de participation de 68,05%, chiffre largement supérieur à la moyenne nationale). Même constat à Lambersart où il obtient 40,77% des voix, Bondues (60,94%) et Marcq-en-Baroeul (49,30%).

Lesquin, le mystère des intentions des électeurs

A Lesquin, le FN gagne le 1er tour avec 36,89% des voix contre 28,51% pour l’Union de la droite, ce qui est assez surprenant connaissant sa position très proche de Lille et sa politique. Sur place, le maire se dit agacé. Il a en effet vu son nom, Dany Wattebled, inscrit sur la liste du FN. Or, comme il l’a rappelé ce lundi, il n’est « pas candidat aux élections régionales ». Le nom est en fait celui d’une élue du Douaisis qui, elle, est bien sur la liste frontiste. Une homonymie qui est loin d’avoir fait rire le maire qui a réaffirmé « son engagement citoyen et républicain ». Contacté par de nombreux électeurs qui lui demandaient pourquoi il était sur la liste FN, Dany Wattebled a aussi dû répondre aux interrogations… du curé. Aujourd’hui, il reste assez perplexe face à la percée du FN dans sa ville. Les Lesquinois ont-ils tous compris que ce n’était pas leur maire ? Pas si sûr… Il soupçonne même qu’une partie des habitants aient voté pour ce fameux « Dany Wattebled » en pensant soutenir le maire de leur ville.

Maubeuge, Hautmont, Jeumont : une porte de sortie vers le FN

Si à Valenciennes Xavier Bertrand passe en tête (37,93%) devant Marine Le Pen (30,97%), ce n’est pas le même son de cloche du côté du trio Maubeuge, Hautmont, Jeumont. Ici, l’Extrême Droite s’impose avec respectivement 41,55%, 48,47% et 41,84% des suffrages. Localement, aucune surprise. Si certains expriment leur désarroi en expliquant « C’est la honte ! », d’autres se montrent moins étonnés. Il faut dire qu’ici, la plupart des jeunes ont beaucoup de mal à s’insérer dans le monde professionnel. Très peu d’entreprises survivent longtemps sur place. Entre celles au bord de la fermeture et celles qui tournent à mi-régime, il n’y a pas vraiment beaucoup d’embauche. Localement, on ressent aussi un ras-le-bol généralisé qui s’appuie sur des politiques incapables de redresser la barre pour assurer un avenir aux jeunes, entre autres. Dans certaines bouches, le FN apparait comme un espoir de trouver des solutions pour mettre un terme à ce climat morose. Dans d’autres, au contraire, ce parti ne fera qu’empirer la situation et attiser la haine entre les diverses communautés bien présentes. L’avis est donc très mitigé ici. La Voix du Nord a recueilliplusieurs témoignages dans l’Avesnois. Entre les impôts, les migrants, l’insécurité et les effets des attentats qui sont dans tous les esprits, certains retournent leur colère contre l’ensemble de la communauté musulmane qui n’a, soyons clair, aucun rapport avec les problèmes majeurs de la société. Oui, les jeunes sont de moins en moins respectueux. Oui, ils disent de moins en moins bonjour. Sont-ils pour autant tous arabes ? Absolument pas ! Et pourtant les amalgames sont très (trop) vite faits. Certains des combats menés se trompent clairement de cible. Les différents témoignages recueillis prouvent une chose : le FN s’est imposé dans la tête des habitants comme une solution miracle à des problèmes de la société qu’aucun autre parti n’a su résoudre.

Dans le douaisis, le FN mène aussi la danse

A Douai, Lens, Béthune et Bruay-la-Buissière, l’Extrême Droite s’impose avec respectivement 35,04%, 44,63%, 35,87% et 47,99% des suffrages, avec une participation locale entre 45 et 49%. En revanche, Arras résiste et laisse Xavier Bertrand en tête avec 32,52% des voix contre 28,79% pour Marine Le Pen. Encourageant, pas tellement… car on note d’impressionnants résultats pour l’Extrême Droite dans les quartiers en difficulté. Un militant du PS s’est d’ailleurs exprimé en disant « On savait qu’on allait prendre une petite claque, mais là, c’estla boîte à gifles qu’on nous a sortie ! ». Des bureaux autrefois très largement socialistes se sont retrouvés de l’autre côté de la ligne. Le discours de l’Extrême Droite a donc bien opéré aussi localement.

Hénin-Beaumont, fief de Marine Le Pen

Aucune surprise à constater l’avancée majeure du FN à Hénin-Beaumont, QG de Marine Le Pen. Avec un taux de participation de 51,12%, la frontiste récolte 59,36% des suffrages, largement en tête devant Pierre De Saintignon et ses 14,40%. L’influence du FN s’étend également aux villes les plus proches comme Lens (44,63%) et Carvin (48,40%). Elle s’impose juste devant l’Union de la Gauche qui détient respectivement 24,74% et 21,15% des suffrages.

Sur la Côte d’Opale, le cœur des habitants balancent

Si à Calais, l’opinion politique est bien forgée, ce n’est pas le cas des autres villes de la Côte. A Boulogne-sur-Mer par exemple, Pierre de Saintignon remporte la première bataille avec 36,99% des suffrages, suivi de près par Marine Le Pen (35,66%). Xavier Bertrand, lui, ne totalise que 15,11% des voix et s’offre donc la troisième place. Pourtant, quelques kilomètres plus au nord, à Wimereux, le FN reprend la tête avec 33,12% des votes contre 25,35% pour l’Union de la gauche. En se rapprochant encore un peu de Calais, à Wissant, Marine Le Pen s’impose avec 35,67% des voix juste devant Xavier Bertrand qui récolte lui 32,90% des suffrages. Si on y regarde de plus près, l’écart entre les deux premiers partis n’est pas tellement énorme et la participation est pourtant de 62,55%, ce qui est largement plus que la moyenne nationale. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le FN n’y est pas clairement et définitivement implanté. Au sud de Boulogne-sur-Mer, à Berck, le FN a d’avantage convaincu, prenant la tête avec 37,06% des votes contre 25,00% pour l’Union de la droite. Là encore, le parti de l’Extrême Droite a répondu aux problèmes d’insécurité que connait actuellement la ville. Depuis le début de l’année, une recrudescence des vols, incendies volontaires, dégradations et agressions (y compris des forces de l’ordre, des chauffeurs de bus et facteurs) y est en effet observée. Or, l’insécurité fait partie des facteurs clés qui poussent les populations à se tourner vers le FN…

Saint-Omer / Eperlecques : une fracture politique nette en seulement 10km

Entre Saint-Omer et Eperlecques, on peut noter une rupture sociale particulièrement flagrante. Si à Saint-Omer, Xavier Bertrand prend la tête avec 34,00% des voix et résiste à Marine Le Pen qui obtient 31,48% des suffrages, le changement politique est clairement observable à seulement 10 km plus au nord de la ville. A Eperlecques, situé à moins de 30 min de Calais, la chanson n’est pas la même. Là-bas, le Front National prend clairement la tête du premier tour des régionales avec 44,03%, suivi de loin par Pierre De Saintignon (24,22%). Xavier Bertrand obtient 20,15% des voix. Sur place, le taux de participation explose encore une fois la moyenne nationale avec 64,10%. L’effet Calais motive les électeurs inquiets qui ont peur d’être touchés par la vague migratoire. Le sentiment d’insécurité joue également un rôle déterminant.

Le Nord-Pas-de-Calais n’est donc pas entièrement à la merci du FN. A l’heure actuelle, hormis Calais et les quelques villes où l’Extrême Droite a réellement obtenu des scores fulgurants, de nombreuses communes ont soit clairement relayé le FN en seconde voire troisième position, soit affiché des résultats qui laissent encore aux autres partis un espoir de reprendre la tête du classement. Le deuxième tour est aujourd’hui plus qu’utile. Rien n’est encore joué. Ce second retour aux urnes pourrait bien s’avérer plein de surprises.

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