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La dictature pour tous

La démocratie est devenue, dans l’inconscient et même dans les croyances collectives du monde occidental et en France en particulier, comme le seul synonyme de « liberté », comme la seule option et le seul système pouvant offrir, voire « garantir » la liberté pour un peuple ou un pays. Au point que quiconque oserait la critiquer ou la remettre en cause subirait une volée de bois vert, et cela y compris chez ceux qui se disent libéraux – qui ont comme renoncé à voir les choses comme elles sont.
Or, lors d’une discussion familiale récente, ma fille eut une expression géniale pour résumer ce que la démocratie nous propose par l’intermédiaire du vote et des élections : la dictature pour tous. Même si elle était teintée d’ironie, je ne pouvais être plus ravi de recevoir d’elle cette marque de lucidité.
Cette croyance de la démocratie « libérale » masque bien des confusions ou hypothèses non dites erronées, je propose d’en aborder quelques-unes dans ce rapide article. Pour commencer, revenons aux rois et à la monarchie qui en Europe dominait avant le traité de Versailles, il y a en gros un siècle. A l’époque, imparfaite, le roi personnifiait la fonction politique et le pouvoir absolu, du moins c’est ce que Louis XIV représente comme apogée. L’arrivée de la démocratie se voulait faire disparaître ce pouvoir avec la monarchie guillotinée.
Mais en réalité, ce n’est pas ce qui s’est passé. Les présidents, gouvernements et autres élus contemporains ont toujours le même pouvoir ; ils ont même un pouvoir souvent bien pire que beaucoup de ces rois et reines d’alors. Si les personnes sont tombées, la fonction est restée ; simplement, on vote désormais et tout le monde y a un ticket de tombola.
Seconde limite, le vote ne porte pas sur l’intégralité du « pouvoir ». Si la seule tête coupée de Louis XVI a permis d’affirmer la fin du pouvoir monarchique, les élections ne permettent pas de remplacer toutes les couches de ses nombreux successeurs. On vote pour des « élus », pour des « députés » ou pour un « président », mais on ne vote ni pour les fonctionnaires et bureaucrates, ni pour les juges. Et comme par hasard, ceux qui tiennent le destin du pays sur le long terme ne sont pas les élus.
Si on en vient au vote et aux élections, il convient d’en souligner les fortes limites et biais. Le premier tient bien sûr au choix qu’il offre – ou plutôt au non-choix. Dans une société libre, les rayons des grands magasins regorgent de choix, de variété, de nuances, de modèles et notre choix presque sans limite nous est laissé au niveau de chacun de nous. Chaque midi, des millions de gens « votent » pour décider ce que sera leur repas, et ce choix n’est pas issu d’un appareil arbitraire « constitutionnel ». A l’inverse, le vote pour un élu n’est choisi ni en nature, ni en programme, ni en personne, bref en rien.
Cela ne s’arrête pas au vote, en plus. Car on a beau élire ces chers gugusses, dans la réalité on ne leur accorde ni ne leur signe aucune délégation précise et éventuellement limitée. Ce qui fait que ces doux rigolos une fois en place font à peu près ce qu’ils veulent et surtout pas ce que nous voulons ou que nous avions pensé choisir lors de la lecture de leur programme et ensuite du vote. Promesses ?
Mais malgré cette liste déjà longue, le meilleur reste pour la fin. Car même lorsque tous les citoyens ne sont pas inscrits, même quand ceux-là ne vont pas tous voter, même quand ces votes ne dégagent pas une majorité relative, on finit toujours par voir cette pseudo « majorité » décider d’un régime ou d’un gugusse unique qui imposera sa personne et ses avanies à tous les autres.
On est donc bien dans une logique de tyrannie dès le résultat du vote prononcé. Celle où c’est une minorité auto-déclarée « majorité » qui impose son choix d’un instant à la majorité qualifiée de « minorité » pour la circonstance. Beau progrès libéral, vraiment, ça valait le coup de faire la révolution.
S. Geyres

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