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Tchernobyl revisité par Galia Ackerman Par Alexandre Melnik

 

 

Le livre « Traverser Tchernobyl » (publié en mars dernier chez Premier Parallèle) est un document utile et solidement étayée sur la plus grave catastrophe nucléaire du XX siècle, mais c’est aussi et surtout, pour moi, une page poignante de l’autobiographie de son auteur Galia Ackerman, une intellectuelle française, née en URSS, qui réinitialise, de par sa trajectoire de vie et ses œuvres, les valeurs humanistes occidentales.

A des années-lumière des « éléments de langage » et des recettes du marketing, Galia laisse parler son cœur, celui d’une petite fille juive, égarée dans un environnement soviétique hostile, qui saigne au contact des ruines « infectées au plutonium pour les vingt-quatre mille prochaines années » ; récolte sur place les témoignages des gens simples, dont les vies ont été bouleversées par le désastre ; ponctue son récit, cruellement factuel, d’émouvantes réminiscences de son adolescence dans un pays, où les habitants des « villes fermées », à l’exemple de Pripiat (antichambre du site nucléaire de Tchernobyl), ne figurant sur aucune  carte géographique, avaient le droit exclusif d’acheter des « beaux escarpins à talon » et des « jolies pulls en mohairs », de confection occidentale, « introuvables dans le commerce pour de simples mortels ». Ces fragments de vie sont comme des coups de pinceau d’un peintre qui compose, touche par touche, un sinistre tableau du « Pompéi soviétique », où le temps s’est arrêté et les habitants semblent s’être évaporés.

Plus fort encore : cette approche profondément humaine, rehaussée d’un vécu personnel sur lequel l’auteur met les mots justes, se révèle, en dernier ressort, comme l’un des réquisitoires les plus forts, à ma connaissance, de l’ensemble  du système soviétique avec son incurie qui a enfanté le monstre de Tchernobyl, dont les conséquences désastreuses à long terme ont été décuplées par l’écrasement de l’individu et le culte du mensonge, deux tares érigées en norme pendant 75 ans d’existence de l’URSS.

Vu sous cet angle – là, le livre de Galia Ackerman est, au fond, une pièce à conviction, foisonnante de preuves implacables et vibrante d’authenticité, pour le futur tribunal de l’Histoire, qui, à l’instar de Nuremberg, devra juger les crimes du communisme restant, pour le moment, tragiquement impunis.

Et enfin, toujours sous le choc émotionnel de ce livre, je me permets d’ajouter une touche très personnelle : en décembre dernier, lors de mon séjour à Moscou – qui est ma ville natale, aussi bien que celle de Galia – une amie m’a fait visiter son quartier aux environs de l’Institut Kourtchatov, le principal centre russe de recherche et de développement nucléaire, en me montrant les immeubles les plus cossus, construits par … les prisonniers allemands après la Deuxième Guerre mondiale.

–          Du temps de l’URSS, – m’a-t-elle expliqué – ils étaient occupés par la nomenklatura de l’Institut. Or après 1991, ce sont les oligarques qui s’y sont installés.

–         Et maintenant ? – lui ai-je demandée.

–         Maintenant, ce sont les anciens du KGB, proches de Poutine qui y habitent !

A la lumière de ces paroles, après la lecture d’Galia Ackerman, on mesure mieux le chemin qui reste à parcourir à la Russie pour renouer avec sa vocation européenne, qui est pourtant profondément ancrée dans son histoire.

Professeur de géopolitique ICN Business School Nancy – Metz

Ancien diplomate russe

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