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TAFTA, TTIP, CETA, quèsaco ?

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L’UE négocie avec les Etats-Unis depuis 2013 un traité commercial de libre-échange : le TTIP (1) ou TAFTA (2) . Moins connu jusqu’à ces dernières semaines, le CETA (3) établit un accord entre l’UE et le Canada. Ce type de traités a pour objectif de réduire les droits de douane afin de stimuler les échanges commerciaux. Or dans le cadre du commerce UE/Canada et UE/Etats-Unis, les droits de douane sont déjà bas. L’enjeu est donc ailleurs : s’attaquer aux autres obstacles du commerce comme les réglementations sanitaires, phytosanitaires, environnementales, sociales.

Loin de se limiter aux questions d’ordre économique, les accords négociés par la Commission européenne concernent un grand nombre de domaines comme l’agriculture, l’accès aux médicaments, la protection des données, le droit d’auteur, la sécurité alimentaire…

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  • Le principe de précaution

En Europe, un simple soupçon fondé sur la nocivité d’un produit suffit à faire interdire celui-ci. Aux Etats-Unis, un produit ou un procédé peut rester sur le marché tant que sa dangerosité n’est pas prouvée. Ce principe, inscrit dans la Constitution depuis 2005, n’est pas garanti ni par le CETA ni par le TAFTA.

  • La coopération réglementaire

Décider de normes communes, pourquoi pas… mais qui décide? Comment va se réaliser l’uniformisation de ces normes? Sur quelle échelle de temps? Le problème est que les réalités des pays concernés sont bien différentes démographiquement parlant (510 millions d’Européens et 323 millions d’Américains), au point de vue du PIB (40% plus faible en Europe). N’oubliez pas l’hétérogénéité au sein même de l’Europe en termes de PIB. Certains secteurs ont littéralement décroché économiquement par rapport aux Etats-Unis. Je citerai l’exemple de l’électronique et de l’informatique : parmi les 10 entreprises les plus performantes dans ces domaines, aucune n’est européenne ! Parmi les 10 marques les plus performantes au monde, 7 sur 10 sont américaines (classement des entreprises mondiales 2016, Interbrand).

  •  Et l’emploi dans tout ça?

Les promoteurs sont unanimes : les créations d’emploi seront au rendez-vous et massives. Le commissaire européen parle de deux millions pour l’UE. L’idée est que de nouveaux débouchés pour l’industrie seront possibles grâce à la baisse des barrières tarifaires. En 1994, le NAFTA (4) promettait la croissance et les créations d’emploi ainsi que la baisse des écarts de revenus entre nord-américains et mexicains. La réalité est autre.

  • La transition énergétique

Toujours selon les promoteurs, la libéralisation des marchés fera baisser les prix : on diversifiera les ressources avec, par exemple, le gaz de schiste américain face au gaz russe.

Le transfert de technologies facilité stimulera les innovations en termes de développement des énergies renouvelables…

C’est oublier que le marché énergétique est un marché oligopolistique. La demande y est très peu élastique. Quant à l’idée du transfert technologique, c’est une vision enchantée du libre-échange. C’est aussi oublier que la plupart des innovations sont le fruit de politiques publiques d’investissement dans la recherche et pas le résultat du seul libéralisme. Difficile de développer des énergies renouvelables sans volonté politique forte. Le TAFTA assure le renforcement des industries en place. Est-ce qu’il facilitera le développement d’innovations, cela reste à voir…

Un paramètre est absent des négociations : la contrainte climatique. Le traité vous assure le développement des hydrocarbures : seriez-vous prêts à croire que les négociations entre Areva, Exxon et Total feront surgir une politique favorisant la transition énergétique ?

Le volet sur la protection de l’investissement confirme l’idée que le traité ne fera que renforcer la position dominante des grands groupes industriels mondiaux : n’importe quelle politique publique considérée comme protectrice et donc comme une barrière au commerce sera contestable auprès des tribunaux arbitraux.

  • Les tribunaux d’arbitrage : l’atteinte du « principe d’égalité » ou quand le CETA devient inconstitutionnel

On parle beaucoup d’arbitrage dans les traités, mais de quel arbitrage? Le mécanisme appelé RDIE, ISDS ou ICS (5) peut paraître obscur mais représente un point essentiel dans nos choix de société futurs et dans l’exercice de la démocratie. Je m’explique : ce mécanisme permet aux entreprises d’attaquer les autorités publiques, en particulier des Etats, si elles estiment qu’une mesure met en danger ses profits, et ce, même s’il ne s’agit que de prévisions.

Je citerai l’exemple du Mexique qui date mais illustre bien les conséquences du RDIE : en 2001, le pays impose une taxe sur les sodas contenant des édulcorants. Dans le cadre du traité ALENA (traité de libre-échange) qui lie les Etats-Unis au Mexique et au Canada, les entreprises américaines de sodas n’ont pas tardé à attaquer l’Etat mexicain par le biais des fameux tribunaux. La condamnation est tombée : 200 millions de dollars d’amende au titre que la taxe (qui s’appliquait aussi aux entreprises mexicaines) représentait une « discrimination » à l’encontre des entreprises étrangères. C’est un exemple parmi d’autres (6) .

Le problème est bien que ce système fonctionne en parallèle des justices nationales et n’est destiné qu’aux seuls investisseurs étrangers. Il s’adresse surtout aux grandes entreprises étant donné le coût prohibitif des procédures. Les Etats et donc les contribuables sont deux fois perdants : impossible de saisir ces tribunaux et si l’Etat « attaqué » ne perd pas son procès, il restera des frais de procédure à régler.

Vous comprendrez aisément que la menace de telles poursuites risque fort de dissuader les pouvoirs publics en matière de lois, de réglementation, d’information, de politique d’intérêt général. Le RDIE donne aux entreprises étrangères le droit exclusif d’attaquer des politiques d’intérêt général et instaure l’inégalité entre les investisseurs nationaux et les investisseurs étrangers.

Le CETA crée le Comité mixte qui réunit des représentants du Canada et de l’Union européenne, mais ne compte pas de représentants des Etats membres… Comité doté d’un pouvoir décisionnel énorme. De fait, les pays signataires voient leur capacité à exercer pleinement leur souveraineté restreinte.

Le projet d’inclure un RDIE dans le TAFTA a suscité une mobilisation telle que la Commission européenne a proposé fin 2015 le ICS (un RDIE bis), pour rassurer sur le fait que le législateur resterait le maître des choix des politiques sociales, environnementales et économiques.

  • Qui s’occupe de votre futur?

Si vous consultez le site Internet de la Commission européenne, vous avez le droit à un assemblage de discours et d’affirmations dépourvus de chiffrages et de réflexions, ayant pour seul but de rassurer le lecteur…

Vous avez aussi accès à une rubrique « questions fréquentes », avec des réponses toutes plus rassurantes les unes que les autres, et qui sonnent comme un « tout va bien dans le meilleur des mondes ». La transparence à coups de plans de communication et de déclarations lénifiantes élude les questions essentielles que tout un chacun est en droit de se poser alors même que vient d’être signé le CETA : il s’agit bien de faciliter les échanges en uniformisant les normes de pays tous plus différents les uns des autres du point de vue économique, politique, culturel…Or l’uniformisation, l' »harmonisation » profite toujours, il me semble, au plus fort…

L’UE, addition d’Etats divergents économiquement et politiquement, semble bien faible face à la force politique américaine. La politique américaine est pragmatique lorsqu’il s’agit de dynamiser sa croissance contrairement à l’Europe qui bloque sur des dogmes rigides comme l’équilibre budgétaire, la lutte contre l’inflation… Pendant que la rigidité des instances européennes et la disparité des pays au sein même de l’UE provoquent des débats internes sans fin, les industriels, au coeur des négociations, ainsi que les lobbies façonnent les traités en fonction de leurs intérêts.

Attention, nous ne sommes pas les gentils européens assiégés par les méchants nord-américains, nous avons nos lobbies et des fleurons de l’industrie comme Mercedes et BMW qui figurent parmi les entreprises les plus dynamiques au côté des champions toute catégorie des GAFA.

  • L’harmonisation des normes ou la loi du plus fort

Les ajustements prévus par les traités se feront sur les normes de l’entreprise la plus forte, avec des coûts de réajustement pour la plus faible. Il serait bien naïf de croire que les coûts vont baisser dans le cadre du rapprochement des normes. Les multinationales ont de beaux jours devant elles.

Au-delà des négociations économiques, les normes sanitaires et phytosanitaires risquent de prendre un coup malgré toutes les promesses de la Commission… Passons les sujets polémiques comme le poulet aux hormones. Au sein même de l’UE, la discorde règne lorsqu’il s’agit d' »harmoniser » l’étiquetage sur la provenance des produits alimentaires.

L’essence du TAFTA est de placer le principe du libre-échange au-dessus des préférences culturelles collectives. C’est en cela qu’il est considéré par ses opposants comme l’ACCORD DU PLUS FORT. La Commission ne cesse de réaffirmer que les choix des consommateurs seront respectés mais aussi que les « compromis » (terme employé par le commissaire européen Karel De Gucht dès 2014) sur des normes, jugées trop protectrices, sont indispensables. L’opposition entre la protection du citoyen, l’environnement et l’intérêt des multinationales est confirmée.

  • Le CETA concrètement

Les derniers droits de douane qui s’appliquent encore aux marchandises importées et exportées vont disparaître à 99%. Seules les viandes canadiennes de porc et de boeuf continueront à être limitées par des quotas. Avons-nous besoin du porc et du boeuf canadien? Rien n’est moins sûr. Les produits agricoles importés devront respecter la réglementation européenne, notamment les normes sanitaires. Le traité prévoit aussi une protection des appellations d’origine. 143 AOC, à l’image du Roquefort, vont en bénéficier. Les opposants au traité rappellent qu’il existe 1 400 appellations d’origine protégées.

Le point sensible qui a motivé les réticences des Wallons, à savoir le tribunal d’arbitrage, est quant à lui pour l’instant provisoirement exclu, jusqu’à quand ? Sur le site de la Commission européenne, vous pouvez lire ceci : « Le règlement des différends est un système visant à protéger les investisseurs étrangers de mesures discriminatoires ou de traitements inéquitables de la part des pouvoirs publics. Le fait qu’un pays dispose d’un système juridique solide ne signifie pas toujours que sa législation protège les investisseurs étrangers de mesures discriminatoires imposées par les pouvoirs publics ». Plus loin vous pouvez lire que « tout au plus, la décision d’une juridiction chargée du règlement des différends peut se solder par le paiement d’indemnités (…) ».

Un autre point très sensible aussi aurait pu en faire reculer plus d’un : l’accord prévaut clairement sur le droit européen en matière de protection de la vie privée. N’oubliez pas que le Canada fait partie de l’alliance des Five Eyes, alliance des services de renseignement de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Entre le transfert des données personnelles et la propriété intellectuelle, vous serez servi… Rappelez-vous les contestations contre l’AMI, cet accord multilatéral sur l’investissement (négocié en secret au sein de l’OCDE) jusqu’à sa divulgation au grand public et son abandon en 1998 : il proposait déjà la libéralisation accrue des échanges, la possibilité pour une multinationale d’assigner en justice un gouvernement pratiquant le protectionnisme ou la préférence nationale, l’indemnisation des sociétés étrangères par l’Etat… Rien de neuf me direz-vous dans le TAFTA et le CETA : on n’invente rien, on recycle de vieilles idées en changeant de sigle !

Les négociations sur le TAFTA continuent dans l’opacité sans parler de la multitude des sigles qui rend le sujet abscons. Le traité d’accord du CETA a été signé par le président du Conseil européen, Donald Tusk et le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le 30 octobre. Pas moins de 38 parlements nationaux et régionaux devront se prononcer sur ces textes, ce qui prendra du temps (des années), sauf que le Conseil européen prévoit d’appliquer provisoirement (dès 2017 et pour une période de trois ans) le CETA avant toute consultation de nos représentants à l’Assemblée nationale et au Sénat.

D’aucuns craignent que le CETA pourrait être le « cheval de Troie » du TTIP.

Lors de la conférence de presse qui a suivi la signature, M. Juncker, président de la Commission européenne, s’est dit « vexé » qu’on ait pu penser que les promoteurs du CETA voulaient « sacrifier les droits des travailleurs ». M. Tusk a déclaré : « Le libre-échange et la mondialisation protègent, mais peu de gens le comprennent et le croient« . La dernière partie de la phrase me laisse perplexe, et vous ? Êtes-vous prêt à accepter quelque chose qui va assurément changer votre vie, vous « protéger » en l’occurrence, mais que vous ne comprenez pas et que vous ne maîtrisez pas ?

Drôle de façon de rassurer…

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(1) TTIP : Transatlantic Tradeand Investment Partnership

(2) TAFTA : Transatlantic Free Trade Agreement

(3) AECG : traité négocié depuis 2009 entre l’UE et le Canada, l’Accord Economique et Commercial Global supprime les droits de douane, les restrictions d’accès aux marchés publics, ouvre les marchés de services entre autre ; CETA en anglais, Comprehensive and Economic and Trade Agreement.

(4) NAFTA : North American Free Trade Agreement, ALENA en français (Accord le libre-échange nord-américain), entré en vigueur le 1er janvier 1994, crée une zone de libre-échange entre le Mexique, Les Etats-Unis et le Canada.

(5) RDIE, ISDS ou ICS : Le RDIE est un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats, ISDS en anglais (Investor-to-State Dispute Settlement). Le ICS (Investment Court System), présenté comme une alternative au ISDS

(6) L’entreprise suédoise Vattenfall a ainsi obtenu en 2011 un affaiblissement des normes environnementales en Allemagne, dans le cadre de la construction d’une centrale électrique à charbon près de la ville de Hambourg.
En réaction aux politiques de prévention du tabagisme, Philip Morris a attaqué l’Uruguay et l’Australie. S’il n’a pas obtenu gain de cause en Australie, le pays aurait déboursé quelques 50 millions d’euros d’argent public rien que pour se défendre.
Meriem Saïdi

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