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Le risque peut-il être une raison pour légiférer ?

Le risque fait partie de la vie. Vivre, c’est prendre à chaque instant le risque de mourir. Il n’existe pas d’activité qui ne porte en elle un risque, de nature ou d’ampleur variables, à l’infini. Conduire est lié à l’accident, manger à l’intoxication, nager à la noyade, marcher peut conduire à du retard ou à de mauvaises rencontres. De plus, impalpable, le risque est une notion qui n’a de sens, d’estimation que strictement personnelle : un risque de mon point de vue peut ne pas en être un pour autrui, sans qu’il ait tort pour autant. Passer du risque au danger est affaire d’appréciation personnelle.L’état-providence tire sa justification de la promesse de notre protection envers le ou les risques, là où l’état à l’origine n’est supposé traiter que du domaine dit régalien (police, justice et défense). L’assurance-maladie dit nous protéger de dépenses et soins hors de notre budget. Le permis de conduire promet de réduire les accidents de la route. Pourtant, cette protection et sa promesse sont-elles compatibles avec le droit naturel et une société libre où le risque est apprécié par l’individu ?
Avec l’explosion de l’état-providence s’est imposée une vision de l’état dont mission et légitimité seraient à intervenir au moindre risque, dans tout domaine. Cette vision est doublement erronée. Le seul rôle historique et philosophique de l’état, celui établi par les Lumières, est d’assurer le respect du « droit » – et encore, ce rôle est contestable et contesté dans son mode d’action et dans la réalité du « droit » lui-même. L’état n’a jamais été là pour assurer une protection dont définition, limites et surtout besoin ressenti ne sont jamais absolus, mais propres à chacun, le risque étant subjectif. Et le besoin de protection pouvant être sans limite, vue l’omniprésence du risque, l’argument protecteur permet à l’état, cette fois coercitif, d’intervenir de plus en plus dans tous les aspects de nos vies.
Le terme « risque » est une notion double, source de bien des confusions. Ludwig von Mises parlerait de « classes » et de « cas ». Le risque d’accidents d’une certaine « classe » se mesure en moyenne assez objectivement sur une population et une durée données. C’est là la base du calcul fait par les compagnies d’assurance, servant à établir leurs contrats de couverture. Mais chacun de nous estime son risque personnel en continu, inconsciemment, à sa manière, à partir de notre propre expérience. Ce « cas » vient de la perception que nous avons de notre capacité propre à y faire face. Chacun juge à sa manière et constamment son exposition au danger, l’évite, ou prend des mesures pour le réduire ou le différer, comme prendre une assurance – ou sinon décide d’affronter ce qui n’est alors plus vu comme un danger. Nos capacités étant différentes, ce risque-là est strictement individuel.
Par ailleurs, parce que toujours potentiel, le risque n’est pas en soi une atteinte à la propriété : il faut qu’il y ait acte effectif, tel un vol ou un incendie volontaire pour que du risque on passe à la violation de propriété. N’étant ni certain ni objectif, il ne peut donc pas être source de droit ni de justice, laquelle ne peut reposer que sur les actes. Il n’est donc jamais légitime de légiférer sur la base d’un risque : cela ouvrirait la voie vers la servitude – comme le fait hélas le (faux) principe de précaution. Il deviendrait possible d’arrêter n’importe quel citoyen n’ayant rien fait sur le seul prétexte qu’un tiers a calculé qu’il pourrait commette un acte considéré comme risqué par quelque obscur législateur.
On oppose parfois à cette vue l’exemple de la route, où notre propre conduite peut mettre les autres en danger, surtout si on n’impose aucune restriction – on pense bien sûr aux limitations de vitesse. Se faire arrêter ou se faire flasher n’étonne plus personne. C’est pourtant une violation flagrante du principe précédent : le citoyen se fait arrêter et condamner alors même qu’il n’a commis aucun acte qui viole le droit et la propriété d’autrui. Rouler vite n’est jamais une faute en soi, tant qu’aucun accident n’est causé. Sinon, pour être sûr d’éviter les accidents, il faut interdire toutes les voitures.
Cette peur sur la route est un effet du mélange de gens aux perceptions différentes du risque sur une même route, une forme de nivellement vers le bas. L’alternative libre ? Si sur une route vous trouvez le trafic trop rapide et qu’il vous fait peur, ne prenez pas cette route, tout simplement. Mais laissez les autres y circuler tranquilles. Votre perception du danger, votre peur vous est propre ; elle est respectable, mais comme celle des autres. Cela ne donne pas droit de légiférer ni de contraindre.
Cette vision très stricte du rapport au risque dans la société conduit bien des « gentils » croyant à leur monopole du cœur à opposer le besoin qu’auraient « pauvres » et « démunis » qui ne pourraient se protéger, faute de moyens. Mais se protéger de quoi ? Protéger de risques ou dangers éventuels, selon la situation du client et sa perception du besoin, c’est le métier des assurances bien sûr, mais plus largement celui du marché : un imperméable, un manteau, une barrière, une porte, une serrure, un fusil sont des protections, comme un contrat d’assurance. La question des pauvres, c’est d’abord : de les protéger de quoi ? Personne ne le sait mieux qu’eux-mêmes, personne ne peut donc légiférer.
Certains pourraient avancer que dans la pratique actuelle, la police, « la » fonctions régalienne, traite bien de la prévention de certains risques, surtout sur la route : alors pourquoi pas d’autres risques ? C’est mal comprendre le rôle que devrait jouer de la police. Dans la société libre, la police est d’abord dissuasive envers les fauteurs de trouble et se charge d’interpeller les rares malveillants flagrants. La police n’est pas là pour empêcher les gens de prendre des risques. Tout au plus, elle s’interpose pour veiller au respect des règles établies par le propriétaire des lieux. Le principe général de la société libre reste que les gens font ce qu’ils veulent tant qu’ils ne menacent ni n’attentent à autrui.
Enfin, une des critiques les plus marquées contre une telle vision de la société prend l’exemple du nucléaire comme technologie à risques tels qu’ils ne pourraient être pris en charge selon ce modèle. En effet, il y a toutes les raisons de penser que dans une société libre ou la responsabilité individuelle joue à fond, personne n’aurait jamais pris le risque de lancer une telle technologie que la fusion ou la fission nucléaire. Car en cas d’incident, les apprentis sorciers dans une société libre et responsable devraient rembourser les dégâts, tous les dégâts. Le nucléaire tel que nous le connaissons, avec ses Tchernobyl ou Fukushima est une superbe preuve de la supériorité de la liberté sur le secteur public, car quelle entreprise aurait pris le risque d’une technologie aussi dangereuse ? Du moins pas sans des précautions à la hauteur. Et on aurait probablement vu le sel de thorium émerger à la place.
Citations
« N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir qu’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième. » — Frédéric Bastiat
« La fonction des économistes est de nous informer du coût prévisible de telle ou telle décision. Le jeu des politiques est de faire supporter ce coût par telle ou telle catégorie de population. L’originalité de l’éthique libérale appliquée à l’économie est d’enseigner que nous ne sommes pas responsables des préférences des autres. Ce qui entraîne logiquement une conséquence et son corollaire : Il est légitime que chacun paye le coût des biens dont il jouit et ceux des dommages qu’il occasionne. Il n’est pas légitime que quelqu’un soit contraint de payer le coût de biens et de services dont il ne jouit pas ou de dommages qu’il n’a pas causés. » — Christian Michel
« Les hommes ne sont pas des anges, et ils sèment souvent le trouble et le mal. C’est pour cette raison que la meilleure défense de la liberté est celle qui ne procure de monopole à personne. Dès lors qu’il y a monopole, ce ne sont pas des enfants de cœur qui émergent. » – Hans-Hermann Hoppe
S. Geyres

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