La pauvreté est la dépendance: Extrait de La Fabrique de Pauvres
Un pauvre est, sans aucun doute statistique, quelqu’un qui ne peut être financièrement indépendant. Dans nos sociétés, cet état est adouci par la distribution d’allocations, mais être dépendant de subsides étatiques ou de charité, c’est toujours être dépendant. Finalement la plus grande pauvreté, celle qui est la plus difficile à supporter c’est l’absence d’espoir, c’est de savoir que vos conditions matérielles de vie sont, non seulement sans possible amélioration, mais condamnées à se dégrader. Cela explique d’ailleurs que les populations de pays pauvres mais en expansion soient optimistes tandis que les Français paraissent toujours pessimistes. « Riche d’espoir » c’est mieux que « de moins en moins riche ».
De la précarité à la pauvreté
Le jargon des sociologues s’est récemment enrichi d’un nouveau mot : le « précariat ». Il s’agit de personnes issues d’un milieu modeste et vivant en ville ou en banlieue, n’ayant pas la possibilité d’accéder au même train de vie que leurs parents. Il s’agit de jeunes issus des vagues d’immigration ou encore de jeunes diplômés sans perspective de travail. Bien qu’issus d’horizons et de milieux sociaux différents et que leur insatisfaction n’aie pas les mêmes causes, ils savent que les insiders, heureux détenteurs du Graal qu’est devenu le « Contrat à Durée Indéterminés » ou les bureaucrates, ne vivent pas dans le même monde qu’eux, les outsiders. Plus grave, ils perçoivent que les portes de ce monde de l’emploi stable leur sont fermées, quoiqu’ils fassent car les insiders établissent les lois et les règles qui les protègent. C’est la défense féroce de la forteresse des « avantages acquis ». Les remparts s’élèvent toujours plus haut tandis que le nombre des outsiders croît.
« Aujourd’hui, le pauvre est jeune, vient d’une famille monoparentale, demeure en zone urbaine et ne parvient pas à s’insérer sur le marché du travail »,[1] décrit Julien Damon, ancien président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
La pauvreté, le chômage, la précarité augmentent, ce sont des faits et ceci malgré la multiplication des emplois d’avenir, emplois jeunes, RMI, RSA, minimums vieillesse[2].
Précarité, pauvreté, exclusion : trois visages de la misère
Dès le Moyen-Âge on fit la distinction entre la pauvreté acceptable de ceux qui étaient inaptes au travail parce que handicapés, malades ou jeunes et orphelins et la pauvreté inacceptable des fainéants. Les premiers devaient être secourus par la charité (chrétienne ou laïque) tandis que les seconds devaient être châtiés ou bien on les laissait croupir dans leur condition. Les premiers sont les « pauvres intégrés », ou les « vrais pauvres » comme les appelait l’évêque Ambroise de Milan, ou encore les « pauvres honteux », c’est-à-dire ceux qui cachent leur état.
Quelques siècles plus tard vint la révolution industrielle, le développement du salariat (par opposition à l’artisanat). Les modèles d’assistanat découlant à la fois de l’assistance religieuse et de la logique de l’assurance se mirent en place en Europe.
En France, dans l’ivresse des Trente Glorieuses, l’État mit en place un système d’assurances maladie, chômage, vieillesse et d’allocations diverses supposées protéger en cas d’accident de parcours et assurer un niveau de vie décent à ceux qui sont temporairement exclus du marché du travail.
La montée du chômage de masse, le vieillissement de la population et le ralentissement de la croissance enrayent désormais une machine à solidarité dimensionnée pour cette période faste. Certes, la pauvreté au sens du dénuement matériel total n’augmente que légèrement dans les statistiques. Mais la précarité augmente. C’est le sentiment qu’éprouvent ceux qui sont réellement menacés – ou s’imaginent être menacés – par l’évolution d’une société dont les règles ont été profondément modifiées tandis qu’ils se sentent trop âgés ou n’ont pas suffisamment de bagage scolaire ou universitaire pour s’adapter.
La sécurité du diplôme en France devient de plus en plus illusoire car le risque pour les employés et les ouvriers de rester longtemps au chômage est depuis 2012 le même que pour les cadres selon les derniers chiffres de l’INSEE[3]. En cas de chômage, ils savent qu’ils risquent rapidement de passer la ligne rouge, de glisser vers la pauvreté et l’exclusion. Ils deviendront alors d’abord dépendants de la solidarité et du système d’assistanat pour des besoins importants tels que le logement, ou l’accès aux soins de santé. Ils deviendront exclus, c’est à dire qu’ils se retrouvent en dehors d’un système qui dès qu’on en est sorti apparaît comme une forteresse imprenable. Ils rejoindront les millions d’outsiders. Dans la forteresse de moins en moins d’insiders mais toujours farouchement décidés à protéger leurs remparts contre les éventuels assauts des sans-dents.
Dans ce sens, la France est bien une fabrique de pauvres puisque la politique de notre pays a consisté à fabriquer de plus en plus de gens dépendants de la solidarité, préférant protéger ceux qui était dans le système et qui ne supportaient pas la remise en cause de leurs avantages acquis. En contrepartie, on a multiplié les minima sociaux invoquant le mot magique de solidarité mais en réalité pour acheter la paix sociale et calmer les parias.
Allocations en vigueur en France depuis le 1° juin 2009
- Le revenu de solidarité active (RSA)[4] : 509,30 € pour une personne seule.
- L’allocation de solidarité spécifique (ASS) : 16,11 € par jour
- L’allocation équivalent retraite (AER) : 34,78 € par jour soit 1 043 € pour un mois de 30 jours.
- L’allocation d’insertion (AI) : 301,20 € par mois
- L’allocation aux adultes handicapés (AAH) : 800,45 € par mois
- Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) : 800 €
- Allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) : 403,76 € par mois
Smic net : 1 137 € par mois[5]
Salaire médian net :1 730 € par mois[6]
Salaire moyen net : 2 128 € par mois
[1] FigaroVox du 17 octobre 2014
[2] ASPA ou allocation de solidarité aux personnes âgées mise en place en 2006
[3] Les Echos, 19 novembre 2014, La crise frappe d’abord les plus défavorisés
[4] qui remplace le RMI et l’API
[5] 2015. Le SMIC en France est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE
[6] Dernier chiffre disponible de l’INSEE datant de 2012