La BCE devra rendre des comptes aux Européens
« Officiellement, l’objectif de la création monétaire artificielle consiste à stimuler l’inflation. Officieusement, elle favorise la poursuite des déficits budgétaires pour préserver la paix sociale à n’importe quel prix dans les pays de la zone euro. »
« Toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes. » Même si Georges Bernard Shaw ne pensait pas aux politiques monétaires en écrivant cela, plus d’un siècle après, la formule du polémiste écossais n’a jamais été autant d’actualité. Le citoyen français ne se doute pas des jeux inquiétants auxquels se livre la BCE pour arranger les comptes des gouvernements sur le dos des 340 millions d’habitants de la zone euro. La politique de l’institut d’émission nous promet de déboucher sur une crise monumentale.
Depuis janvier 2015, la planche à billets tourne pourtant à plein régime. Les nouveaux billets ont commencé par arriver par vagues mensuelles de 60 milliards avant de grossir à 80 milliards chaque mois depuis mars. En dix-huit mois, c’est plus de mille milliards d’euros qui ont été créés ex nihilo, soit environ 3 000 euros par habitant. Dans un an, la BCE aura créé mille milliards supplémentaires sans richesse réelle correspondante, portant le total de « fausse monnaie » à 6 000 euros par habitant. Or les économistes sérieux savent depuis Jean-Baptiste Say que seules l’épargne et la production engendrent de la vraie création monétaire. Cette dernière n’est que la dérivée des besoins de l’économie réelle.
Officiellement, l’objectif de cette création monétaire artificielle – dont les banques sont la courroie de transmission – consiste à stimuler l’inflation. Officieusement, elle favorise la poursuite des déficits budgétaires pour préserver la paix sociale à n’importe quel prix dans les pays de la zone euro. C’est une politique court-termiste irresponsable. L’inflation ne repart évidemment pas, car cet argent sorti des rotatives de la BCE est orienté vers des actifs immobiliers et financiers qui forment des bulles depuis plusieurs années. Poussées par différents mécanismes et réglementations, les banques – et les assureurs – ne cessent d’accroître la part d’obligations d’Etat dans leurs actifs alors que les rendements de plus de la moitié de la dette de la zone euro sont passés en territoire négatif, ce qui signifie qu’elle coûte à ses détenteurs.
Cette fuite en avant ne favorise ni la reprise, ni l’emploi. Les gouvernements se surendettent et repoussent les réformes douloureuses aux calendes grecques. Leur survie repose donc sur le maintien des taux d’intérêt à leur niveau anormalement bas, prenant la BCE à son propre piège.
Quant au mécanisme que Keynes a appelé « l’euthanasie du rentier », il ne fonctionne tout simplement pas. Ne trouvant plus de rendement avec les actifs les plus sûrs, l’investisseur orienterait en théorie son épargne vers d’autres actifs. En réalité, les investisseurs inquiets ne financent pas davantage l’économie réelle, mais ne font que renforcer ces bulles sur les produits immobiliers et obligataires. Les prix de l’immobilier restent excessifs, poussés par les taux d’intérêt historiquement bas et la recherche de sécurisation contre l’instabilité financière et monétaire. Tant pis pour les jeunes qui ont de moins en moins de chances de devenir propriétaires. Les actions sont aussi maintenues à des cours artificiellement élevés. Le plus grave, ce sont les dettes publiques qu’aucun frein ne retient plus.
L’aberration des rendements négatifs masque en effet un risque souverain réel qui reste tabou. Le passage de la crise grecque a pourtant coûté cher à ceux qui voyaient dans la dette de l’Etat grec un actif sûr. Demain l’Espagne, l’Italie… la France ? Les taux négatifs sont une forme de taxe supplémentaire sur les banques en contrepartie de leur privilège d’accès au guichet de la banque centrale. Ils exonèrent les Etats du paiement d’intérêts pour leurs dépenses financées à crédit. Ils exemptent les gouvernements de tout effort de réduction des dépenses publiques, remettant la discipline de l’équilibre budgétaire à la prochaine décennie.
Les taux négatifs constituent un impôt sur l’épargne dont ils entament le principal avec le temps. Les épargnants qui mettent de l’argent de côté pour leur retraite perdent ainsi le fruit du travail de toute une vie.
Cette fuite en avant ne favorise ni la reprise, ni l’emploi. Le gonflement rapide des dettes publiques inquiète au contraire les acteurs économiques. Il déstabilise les marchés financiers et évince partiellement le secteur privé de l’accès au crédit. Portés à bout de bras par une banque centrale trop généreuse, les gouvernements se surendettent et repoussent les réformes douloureuses aux calendes grecques. Leur survie repose donc sur le maintien des taux d’intérêt à leur niveau anormalement bas, prenant la BCE à son propre piège. Elle ne peut remonter ses taux directeurs sans risquer de tout faire exploser. Mais si les taux longs – qu’elle ne contrôle pas – devaient grimper sous l’effet d’une panique des marchés, due par exemple à une dislocation de l’Union européenne, les gouvernements seraient simplement incapables de payer les intérêts de leur dette. Personne n’ose entrevoir l’impact d’un moratoire sur la dette d’un membre éminent de la zone euro, surtout pas la BCE qui serait alors impuissante à enrayer une telle crise.
L’impact des taux trop bas ne s’arrête pas à cette bulle de dette publique. Les taux négatifs constituent un impôt sur l’épargne dont ils entament le principal avec le temps. Les épargnants qui mettent de l’argent de côté pour leur retraite perdent ainsi le fruit du travail de toute une vie. C’est particulièrement douloureux dans les pays à courbe démographique inversée. La cigale festive pioche insidieusement dans la réserve de la fourmi frugale.
Le président de la Bundesbank et membre du conseil de la BCE, Jens Weidmann, ne cesse de rappeler la responsabilité de la BCE dans cette spoliation des épargnants et ce surendettement d’Etats européens reportant les mesures courageuses. Il sait aussi que le dégonflement de ces bulles spéculatives et la restructuration des dettes publiques exigent qu’un retour à la rigueur monétaire s’accompagne d’une thérapie libérale de choc pour libérer la croissance des Etats européens les plus en retard, en particulier la France. Nous en sommes loin. Si cette déformation monétaire se termine en déflagration financière mettant les Etats en péril, les dirigeants de la banque centrale devront rendre des comptes aux citoyens européens.
Par Aurélien Véron, président du Parti libéral démocrate et Sébastien Laye entrepreneur dans les services financiers et chercheur associé à l’institut Thomas-More.