Entretien avec Simone Wapler – Économie française : “Nous vivons au bord d’un volcan prêt à exploser”
Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora France, spécialisées dans les analyses et conseils financiers pour les investisseurs particuliers. Elle est spécialiste des métaux, matières premières et du secteur de l’énergie. Elle nous explique les points clés des dysfonctionnements de l’économie mondiale et des conséquences pour la France.
LCDL. Selon vous, moins de crédits disponibles en dollar implique moins de monnaie. Pourtant, la BCE applique un taux négatif aux banques commerciales qui y déposent leurs liquidités. N’est-ce pas favorable pour les individus souhaitant souscrire à un prêt?
S.W. Absolument pas. Par “monnaie” ou “capitaux”, il faut comprendre “crédit” et “accès au crédit”. Les pièces de monnaie et les billets que nous échangeons ne représentent qu’une infime partie de la masse monétaire échangée dans le monde. Par contre, si votre compte est créditeur à la banque, vous faites un crédit à votre banque. Pour contrecarrer la crise, les banques centrales ont émis de nombreux droits au crédit, donc de la « monnaie ». Les premiers bénéficiaires de ces mesures sont les banques commerciales. Deux options s’offrent à elles : prêter à « l’économie réelle » pour reprendre une expression consacrée ou les utiliser autrement car elles ne trouvent pas d’emprunteurs fiables. Elles se sont servies de cette masse de crédits pour intervenir sur les marchés financiers avec des opérations d’ingénierie financière. Ceci explique qu’il se ne passe rien dans l’économie réelle. Ce n’est pas parce que Mario Draghi (Président de la BCE) imprime 60 milliards d’euros par mois, qu’un particulier obtiendra un crédit immobilier plus facilement. On observe d’ailleurs que la masse des prêts à la clientèle s’amoindrit.
LCDL. Quel est le grand poste de dépenses de l’État français ? Pourquoi la dette ne cesse-t-elle pas d’augmenter ?
S.W. Le premier poste de dépenses en 2015 est l’éducation nationale suivi des retraites. En troisième position arrive la charge de la dette[i] Si les taux d’intérêts augmentaient, pour atteindre 3% à 10 ans, la charge de la dette augmenterait de façon monstrueuse, et deviendrait de très loin, le premier poste de dépenses de la France. La France ne rembourse pas sa dette : à chaque fois qu’un emprunt vient à échéance, elle emprunte à nouveau. Un État est supposé être immortel et infiniment riche, lui permettant ainsi d’obtenir un prêt in fine. Notre dette ne diminue pas, parce qu’année après année, nous sommes en déficit. Les dépenses, qui ne sont pas financées par l’impôt, sont financées par des emprunts. La France emprunte pour couvrir son train de vie courant. Augmenter les impôts est impopulaire, l’État préfère donc se financer par le déficit, voilà pourquoi cette dette gonfle en permanence.
LCDL. Quelle serait alors la solution ?
S.W. Elle est très difficile à trouver, cela fait déjà très longtemps que la cavalerie financière a commencé ! L’État vit au dessus de ses moyens. Certains pays en Europe n’admettent pas le déficit : c’est un fonctionnement démocratique sain. À partir du moment où il y a des dépenses, celles ci doivent être financées par l’impôt. Le débat démocratique y est alors beaucoup plus ouvert. Aujourd’hui il faudrait que l’État français diminue son train de vie de 10%. Sachant que le tiers du budget des ménages dépend des dépenses de redistribution, il serait très difficile pour l’État d’y parvenir. Aujourd’hui, la politique de redistribution maintient la paix sociale. S’il y avait une mesure d’urgence à prendre : tout élu devrait renoncer à la fonction publique à vie. La deuxième mesure à prendre par la suite serait de supprimer le statut de fonctionnaire à vie.
La presse française qualifie régulièrement le système actuel d’ultra libéralisme, mais ce n’est absolument pas le cas. Dans un pays où 58% du PIB est contrôlé par l’État, il s’agit d’un capitalisme de connivence.
LCDL. La surveillance des capitaux n’est pas une mauvaise chose. Tout contribuable devrait être favorable à ce que l’État récupère des fonds pour remplir ses caisses. Qu’en pensez vous ? Quel est l’avenir du cash ?
S.W. Habituellement, pour diminuer la dette, les États se servent de l’inflation. Elle permet de ronger les mauvaises dettes : celles des États, des banques… Pourtant, il n’est jamais bon pour vous, comme pour moi, que les prix augmentent,. Mais aujourd’hui, les États développés n’arrivent pas à faire surgir de l’inflation. D’où l’idée d’appliquer des taux négatifs, qui sont une absurdité. Pour comprendre les taux d’intérêt négatifs, imaginez que vous disposiez de 100 euros sur votre compte bancaire. Avec un taux d’intérêt négatifs de 1%, au bout d’un an, vous n’auriez plus que 99 euros, puisqu’on vous aurait retenu 1 euro. C’est le principe appliqué par la BCE aux banques commerciales. Un particulier dans cette situation préférera retirer son argent de la banque. Afin d’éviter cette situation, on essaye de supprimer le cash : des plafonds de retrait sont fixés, les paiements par CB, sans contact et par téléphone mobile sont facilités. Cependant, en instaurant une situation sans cash, la liberté de transaction sans intermédiaire disparaît.
LCDL. Nous devrions finir l’année avec une croissance de 1,1%. Quelles sont vos prévisions et vos préconisations pour renouer avec la croissance ?
SW. L’État français intervient dans l’économie à hauteur de 58%. Pour renouer avec la croissance, l’État devrait se mettre en retrait. Les perspectives de croissance en France sont tragiques. Que voulez-vous qu’il arrive avec 6 millions de chômeurs en France ? Les Français épargnent énormément, mais n’investissent pas dans l’économie réelle. Cette épargne est engloutie par l’État, par les impôts. L’activité économique est au ralenti, les taux d’intérêt sont au plus bas, les changements de lois fiscales sont incessants. Les entrepreneurs n’osent plus recruter. Les Français craignent un éventuel retour de bâton. L’Etat doit laisser l’économie fleurir au lieu de l’étouffer.
LCDL.Quel achat de valeurs préconisez-vous à un investisseur particulier ?
S.W. La force d’Agora est de disposer d’une liberté d’écriture. Nous essayons de regarder un peu plus loin du troupeau, là où la foule n’y est pas : nous cherchons là où l’herbe est jolie pour nos lecteurs. Dans un contexte post-attentats, les gouvernements sont tombés dans une hystérie sécuritaire, qui se retrouve également dans une volonté de tracer tous les mouvements d’argent. La BNP a été condamnée à payer 8,9 milliards de dollars pour des opérations jugées illicites par les États-Unis. Pour anticiper de nouveaux litiges similaires, les banques s’équipent de logiciels de détection de blanchiment d’argent. C’est un domaine d’activité que j’ai récemment recommandé pour des personnes averties, qui sont prêtes à investir sur les bourses américaines.
LCDL. Nous observons une chute spectaculaire du prix du baril de pétrole. A première vue, un particulier pourrait se réjouir de la baisse du baril de pétrole pour sa facture de carburant.
S.W. Il faut savoir que le baril ne compte que pour 25% dans le prix du litre d’essence à la pompe. Les Français sont donc très peu concernés par le prix.
LCDL. La dernière baisse similaire remonte à la veille de la crise de 2008. Quelles en sont les raisons ? Que pouvons-nous craindre ?
S.W. C’est en effet un très mauvais signe. La spéculation a toujours nourri la hausse du prix du pétrole. Le pétrole est une matière première financiarisée. Or, l’économie réelle ralentit. Comme l’activité mondiale diminue, le besoin d’extraire diminue. Il y a moins de spéculation.
La chute du prix du pétrole pourrait avoir des conséquences lourdes sur l’ensemble des matières premières. Aux Etats-Unis, le secteur de l’énergie et du gaz de schiste rassemble 2 000 milliards de dollars de crédits subprime, soit environ le PIB de la France. Beaucoup de petites entreprises américaines se sont endettées non pas auprès des banques mais ont émis leurs dettes directement sur le marché. La baisse du baril de pétrole a commencé en juin 2014. Ces entreprises se sont couvertes avec des contrats à terme sur le pétrole. Elles ont vendu de la production en avance à un prix déterminé. Dix-huit mois après, nous arrivons au moment où toutes les couvertures classiques se terminent, c’est-à-dire que les assurances contre la baisse des prix arrivent à échéance. Les obligations à haut rendement (high yield) ou à risque ont perdu 25% de leur valeur depuis le début de l’année. Il s’agit là d’une nouvelle crise du crédit subprime qui qui peut exploser dans les 6 mois à venir.
LCDL. Quid de la France ?
S.W. Souvenez-vous du début de la crise des subprimes en France, nous pensions que la baisse des prix des maisons aux États-Unis ne nous concernait pas. Un an après, la Société Générale était au bord de la faillite. Si un nouveau choc sur les marchés se produisait, dans un contexte interconnecté et d’ultra-mondialisation, la France serait dans une situation extrêmement difficile. Si la Chine ralentissait son activité, si les États Unis retournaient en récession, de quoi se nourrirait alors la croissance de l’Europe ? Nous vivons au bord d’un volcan prêt à exploser.
Propos recueillis par C.V
[i] http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2015/09/30/29006-20150930ARTFIG00344–quoi-servent-les-373-milliards-d-euros-du-budget-de-la-france.php
Education nationale 48 milliards d’euros
Retraites 46 milliards d’euros
Charge de la dette 45 milliards d’euros
Budget 2016, chiffres arrondis
eut exploser dans les 6 mois à venir.