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Du droit individuel à la vente d’organes par Alphonse Crespo

Le droit naturel de propriété de chacun sur son propre corps constitue le fondement essentiel de la liberté individuelle. [1] L’esclavagisme, qui a terni l’histoire humaine pendant plus de deux millénaires, incarne la violation absolue d’un tel droit. En 1948, l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme a formellement décrété l’abolition de cette pratique dans nos sociétés modernes. Cette déclaration n’a cependant condamné que le visage le plus ostensible de la servitude.
L’esclavage survit sous d’autres formes. Par l’impôt, l’État contraint le citoyen ordinaire à lui céder une partie du produit de son travail et de ses biens. En dernière analyse le contribuable devient l’esclave économique du percepteur un nombre variable de jours par an, en fonction de la part de son travail prélevée par l’État. En moyenne, les Français sacrifient à l’impôt 208 jours de labeur par année ! [2] Le butin fiscal, l’institutionnalisation du déficit public et la docilité citoyenne offrent, en outre, aux hommes de pouvoir des outils destructeurs leur permettant d’assouvir leur soif de gloire ou d’autorité. Par la conscription et le service militaire obligatoire, les chefs de guerre modernes peuvent s’emparer de l’intégrité physique de citoyens en pleine jeunesse pour la sacrifier sans pitié sur l’autel de misérables aventures militaires ; ceci même lorsque les frontières ne sont pas menacées. Le bras armé des kleptocrates est ainsi capable d’anéantir les droits essentiels des individus sur leur propre vie.
Il existe cependant dans nos sociétés, des atteintes moins flagrantes à la liberté individuelle que l’impôt ou la conscription. L’anathème frappant la rémunération du donneur dans le domaine de la transplantation d’organes en offre un exemple. Bien qu’elle ne pénalise directement qu’une fraction de la population, l’interdiction du « commerce d’organes », terme péjoratif visant à diaboliser la compensation financière de celui qui cède un organe pour sauver une vie, marque une intrusion intolérable du pouvoir législatif dans nos anatomies.
L’expropriation de nos viscères
En contradiction avec sa mission, l’OMS a contribué aux files d’attente et à la souffrance qui touchent la transplantation d’organes Ŕ ceci par une recommandation édictée en 1989 interdisant « l‘achat et la vente d‘organes humains ». La plupart des pays membres de l’OMS se sont ralliés à cet ukase. La France invoque l’obscur principe de « non patrimonialité du corps humain » pour criminaliser toute rémunération du donneur : le contrevenant risque sept ans de prison et plus de 100 000 € d’amende. La préciosité du vocable « non patrimonialité » brandi par le législateur traduit en réalité l’appropriation du patrimoine anatomique de chaque citoyen. La France n’est bien évidemment pas isolée dans cette approche confiscatoire du corps humain. L’Allemagne prévoit jusqu’à 5 ans de prison pour le donneur coupable d’avoir accepté rétribution. La Belgique, qui affiche la plus forte proportion européenne de donneurs par million d’habitants, est plus nuancée : sa législation accepte explicitement un dédommagement financier du donneur pour les préjudices indirects subis. [3]
Quelques rares pays tels que le Japon ou le Pakistan autorisent le paiement du donneur. Débordée par l’explosion du tourisme de la transplantation, la république des Philippines a fini par interdire en 2008 la vente d’organes aux non ressortissants du pays. La législation bolivienne se distingue en introduisant astucieusement des exceptions à l’interdiction du commerce d’organes, les autorités sanitaires étant expressément habilitées à accorder des dérogations « à des fins charitables ». Le législateur bolivien pousse ainsi le receveur à payer deux fois : il devra parfois graisser la patte charitable du fonctionnaire avant de pouvoir rétribuer le donneur. [4] Dans un tout autre registre, des barèmes d’indemnisation proposés en Suisse par la loi sur l’assurance accidents, permettent d’estimer la valeur pécuniaire d’un organe perdu par accident : logique équitable pour l’accidenté, tranchant avec la discrimination pénalisant le donneur volontaire dont l’organe prélevé est considéré comme étant sans valeur.
Quelles sont les conséquences réelles de la pseudo éthique sur laquelle s’appuie la prohibition grevant la vente d’organes ? La transplantation d’organes demeure un des domaines médicaux les plus pénalisés par la disproportion entre l’offre et la demande thérapeutique. Les patients en attente d’une greffe sont victimes d’une pénurie tant de donneurs vivants que de personnes ayant exprimé la volonté de céder leurs organes après leur mort. La proscription de la vente d’organes contribue clairement à une carence qui perpétue la coûteuse et pénible dialyse chronique de l’insuffisant rénal, condamne à la cécité l’individu atteint d’opacité cornéenne, sans parler des conséquences funestes pour le patient en attente d’un coeur ou d’un poumon. La compensation financière permettrait indubitablement d’augmenter le nombre de donneurs et d’atténuer ainsi cette douloureuse attente.
Les aléas moraux inhérents à la prohibition du libre commerce d’organes sont récapitulés de façon édifiante par Jan Krepelka. [5] « La prétendue morale qu‘il s‘agirait de préserver par l‘interdiction de ce commerce s‘avère en réalité foncièrement immorale : sous prétexte de protéger le corps des morts, elle condamne des vivants à mourir ; sous prétexte de s‘opposer à l‘aspect commercial de la vente d‘organes, elle empêche des donneurs et des receveurs d‘améliorer leur condition à tous deux par un échange bénéfique aux deux parties. […] Les principes moraux ou religieux qui s‘opposent au commerce d‘organes doivent être reconnus pour ce qu‘ils sont : des opinions personnelles. Celles-ci doivent être respectées lorsqu‘une personne s‘oppose au prélèvement de ses propres organes, mais elles ne lui donnent pas le droit d‘empêcher d‘autres personnes de donner ou vendre leurs organes si elles le souhaitent. »
In fine, en prohibant l’indemnisation financière du donneur, nos sociétés prolongent inutilement la souffrance d’êtres humains gravement malades et en attente d’une greffe salvatrice. Elles s’arrogent en outre un droit illégitime de propriété sur nos organes, en violation de notre liberté inaliénable de disposer en toute indépendance de notre propre personne.
[1] John Locke, Two Treatises of Government, Londres, 1689, page 209, http://books.google.ch/books?id=AM9qFIrSa7YC&qtid=547e7806&hl=fr&source=gbs_quotes_r&cad=7
[2] C. Philippe et al., Fardeau social et fiscal de l‘employé moyen au sein de l‘UE, Institut Molinari, 2013, http://www.institutmolinari.org/fardeau-social-et-fiscal-de-l,1577.html
[3] Vente d’organes Ŕ Législations internationales, Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Vente_d’organes
[4] A. Crespo, Esculape Foudroyé, Les Belles Lettres, Paris, 1991

Comments

  • Stéphane Geyres
    mars 20, 2016

    Cet article est un extrait de l’ouvrage collectif Libres !! publié en 2014.

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