Corruption : active ou passive ? Les deux vont toujours ensemble.
La corruption est depuis longtemps identifiée comme un des maux des sociétés et tout spécialement des démocraties contemporaines. On appelle à la « transparence », on chasse la corruption « active » et la corruption « passive » et les groupes de pression, ou « lobbies », ont fort mauvaise presse.
Le capitalisme de connivence, celui où la trop grande proximité des hommes d’affaires et du pouvoir politique et bureaucratique leur donne des privilèges de fait au détriment de l’ensemble du marché, ce capitalisme malsain est un des grands symboles de la corruption que combattent les libéraux.
Pourtant, des affaires complexes, telle la position privilégiée dont Monsanto bénéficie en matière de semences ou OGM, cachent sous une apparence d’abus de pouvoir une réalité plus subtile.
Wikipedia voit la corruption selon ses acteurs : « La corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. » Deux choses frappent dans cette définition.
On voit tout d’abord que la relation n’est pas équilibrée. Le dernier mot dit tout : « bienveillance ». Ce mot suppose une forme de pouvoir, celui de fermer les yeux ou d’informer, celui de ne pas user de son pouvoir, celui d’être agréable ou pas, selon l’humeur ou l’arbitraire. Sans ce pouvoir, cet « avantage » qui est l’objet de la négociation, voire de la séduction, n’en serait pas un. Sans pouvoir, il ne pourrait y avoir corruption, la situation serait une simple transaction, un échange commercial.
C’est d’ailleurs bien ce qui se passe in fine : la corruption n’est jamais qu’un acte commercial, où une personne en position de fournir une gratification statutaire l’échange contre une valeur en monnaie ou en nature. C’est la version sordide du marché, en version non libre, où il est fait littéralement commerce des produits du pouvoir. Mais comme dans le marché normal, tout cela n’est possible qu’à condition que les deux acteurs individuels tombent d’accord sur les termes de l’échange.
Il est donc inapproprié, et même trompeur, d’opposer corruption « passive » ou « active », puisque dans tous les cas de figure, le bureaucrate est tout autant acteur et actif de la fraude que peut l’être le bénéficiaire de sa « bienveillance ». Il est donc injuste de condamner ou de blâmer un seul des deux acteurs pour corruption, fût-elle « passive » ou « active », car cette distinction n’a pas de sens.
De plus, sous l’angle moral cette fois, les deux acteurs ne sont pas au même niveau. Car si le citoyen concerné vient commercer avec une somme dont rien ne permet de dire a priori qu’elle est d’origine malhonnête, il n’en est pas de même du bureaucrate. Dans son cas, les faveurs dont il fait commerce sont toujours les produits de taxes, inflation, arbitraire et autres abus de pouvoir de faible moralité.
Il est comique enfin de voir que la lutte anti-corruption, quand elle est authentique et sincère, est une lutte de la part du pouvoir politique en faveur du capitalisme pur et libéral, puisque celui-ci correspond au marché libre dont toute forme de pouvoir et de politique est absente – un marché où la corruption est impossible. Or le capitalisme pur et libéral est l’antithèse, le pire ennemi du pouvoir.
Pour revenir aux lobbies et groupes de pression, leur critique systématique prend évidemment une autre teinte une fois l’analyse précédente en tête. Le terme ne veut plus rien dire puisqu’il ne montre qu’un des deux côtés du scandale. On imagine ainsi souvent des groupes de diplômés allant à l’assaut des députés européens pour favoriser un texte de loi à venir au profit de l’entreprise ou du secteur d’activité qu’ils représentent. Et on aura raison, mais à condition de ne pas oublier les députés.
Et de même il ne faut pas oublier toutes ces communes où les associations sportives ou culturelles vantent leurs charmes aux conseillers municipaux dans l’espoir d’obtenir qui une salle qui une subvention, ou l’usage d’un terrain de sport. Les lobbies et groupes de pression sont partout où il y a pouvoir, mais ils ont toujours en face d’eux les bureaucrates qui les nourrissent et qu’ils nourrissent. Ils ne sont que la simple conséquence de la structure étatique de notre société. Si, pour atteindre un objectif qui devrait normalement n’être que d’ordre économique il faut passer par les méandres de la bureaucratie, est-ce la faute des acteurs économiques ou plutôt celle des bureaucrates ?
L’exemple a été pris de Monsanto, qui par son lobbying à Bruxelles se construirait ainsi un monopole. L’analyse précédente montre qu’aucune entreprise, aussi grosse soit-elle, ne peut seule se construire un monopole. C’est au bout du compte les élus et eux seuls qui portent la responsabilité d’avoir laissé rédiger et proposer, puis de voter des textes (lois, décret, directives ou autres) qui établissent le monopole en question. Aucune entreprise ne peut disposer d’un monopole sans une loi, votée.
A cette lumière, Monsanto tente sa chance et clairement cette démarche est le signe d’un manque de scrupules et d’une moralité peu recommandable. Certes. Mais il demeure que ce n’est jamais Monsanto qui établit les lois dont cette entreprise profite. Les dirigeants de Monsanto – ou de toute autre entreprise pratiquant le capitalisme de connivence – sont des gens de peu de scrupule, mais qui ne peuvent rien sans la « bienveillance » des « agents » en place leur octroyant ces monopoles.
Certains défendent les bureaucrates qui, souvent mal payés, finiraient par céder devant les offres alléchantes des « sales capitalistes ». Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas acceptable pour autant. Et c’est pour cette raison même que les libertariens considèrent que la meilleure façon – la seule en fait – de régler la question de la corruption, consiste à supprimer intégralement toute bureaucratie. Ce faisant, capitalistes scrupuleux ou pas, il n’y aura plus de tentation à acheter un privilège, puisqu’il n’y aura plus de privilège ou de bienveillance issue de taxes et autres abus de pouvoir à monnayer.
Citations
« Tout pouvoir amène la corruption, le pouvoir absolu amène une corruption absolue. » — Lord Acton
« Plus l’État est corrompu, plus il y a de lois. » — Tacite, Annalium, III.
« La pire des lois reste meilleure que la tyrannie bureaucratique. » — Ludwig von Mises
« « Il y a un paradoxe : un pays peut être énormément étatisé sans être gouverné. La France est un pays sur-étatisé mais sous-gouverné. » — Jean-François Revel
S. Geyres