
Expansion de l’État islamique en Amérique latine : une menace idéologique croissante
Affaibli au Moyen-Orient, l’État islamique (EI) redéploie méthodiquement ses ambitions en Amérique latine, terrain à la fois vulnérable et stratégique. Entre porosité des frontières, criminalité endémique et fractures sociales, la région offre à l’organisation terroriste un écosystème favorable où se croisent prosélytisme religieux et opportunités financières.
Longtemps marginal, le djihadisme local connaît une intensification préoccupante. Les arrestations se succèdent : en 2025, Matheus De Aguiar Avelino, un Brésilien de 24 ans, a été interpellé alors qu’il préparait une attaque suicide. La même année, en Équateur, un suspect annonçait publiquement son intention de frapper des ambassades. En Uruguay, un adolescent de 14 ans diffusait une vidéo de menaces contre une synagogue. Ces trajectoires illustrent une dynamique redoutable : la prolifération de « loups solitaires » radicalisés en ligne, sans liens organiques avec l’EI mais déterminés à agir.
Le phénomène dépasse la simple diffusion de propagande numérique. Au Brésil, la plateforme « Comando 860 » adaptait son discours à la jeunesse précaire, associant messianisme religieux et dénonciation sociale. L’endoctrinement passe aussi par une présence de terrain : l’ASHAM, dirigée par un ressortissant turc, avait recruté des adolescents amazoniens en leur promettant scolarité et assistance.
Trinité-et-Tobago incarne un cas singulier : plus de 130 ressortissants ont rejoint l’EI entre 2013 et 2016. Les clivages socio-économiques et le legs du Jamaat Al Muslimeen favorisent un prosélytisme radical qui persiste aujourd’hui.
L’EI ne se contente pas de séduire des recrues : il convertit le crime organisé en levier financier. En 2024, l’arrestation de deux trafiquants turcs en Équateur a révélé un réseau de production de captagon destiné à financer ses opérations.
Face à cette imbrication du terrorisme et du crime transnational, le Brésil et l’Argentine ont initié des dispositifs de coopération inédits : mutualisation des renseignements, nouvelles lois contre les réseaux criminels, accords avec l’ONU. Ces avancées restent toutefois fragiles : les budgets consacrés à la lutte antidjihadiste demeurent limités, tandis que certains États, à l’image du Venezuela, entretiennent des liens troubles avec le Hezbollah.
L’Amérique latine, hier périphérie, s’impose aujourd’hui comme un front discret mais décisif de l’expansion islamiste. La capacité des gouvernements à conjuguer rigueur policière et prévention idéologique déterminera l’ampleur de cette menace.