Vegan et cause animale
Les végétariens ont été une source d’étonnement, il n’y a pas si longtemps. Désormais dans ce monde ouvert ou rose, il faut être « vegan » pour être branché, pour « faire le buzz », appelez ça comme vous voudrez. En gros, si je puis dire, le vegan va plus loin que le végétarien, il végète à rien manger qui vienne des animaux, si j’ai bien compris. Ce ne serait pas très intéressant en soi, si très souvent on ne trouvait cachée derrière la « cause animale », celle qui voudrait leur donner des droits.
Selon la cause animale, les animaux – on ne précise pas vraiment ce qui caractérise un animal, une bactérie est animée, mais est-elle un animal ? – bref, les animaux seraient maltraités par l’humanité, depuis trop longtemps, et il serait donc temps, si nous voulons nous prétendre civilisés, de corriger cette erreur immense en leurs accordant des Droits de l’Animal, un peu comme ceux de l’Homme.
Un tel discours tient revient fréquemment chez certains philosophes ou économistes, tel Schopenhauer qui affirmait déjà : « Le monde n’est pas une fabrique et les animaux ne sont pas des produits à l’usage de nos besoins. » Pourtant, il y a là plusieurs erreurs d’analyse importantes.
La première porte sur la nature même de la civilisation. Ce n’est pas le sujet central de ce billet, mais il faut néanmoins clarifier ce qui fait la civilisation, c’est-à-dire le processus voyant l’humanité aller vers plus de civilité en général. Cette « civilisation » a connu des étapes fondamentales. Une des plus importantes consiste à reconnaître le rôle du droit, le droit « naturel » s’entend. Car c’est le droit qui permet de marquer la frontière entre l’arbitraire du tyran et la liberté de l’individu, donc de tous.
Pour revenir à l’animal, la vision « civilisée » cohérente avec la réalité actuelle de l’animal, consiste donc à rappeler le rôle social du droit naturel et à replacer l’animal face à celui-ci. Le droit existe, il a été inventé par l’homme sur le chemin de sa civilisation, pour régler les conflits entre les humains.
Parler de droit de l’animal revient à parler du conflit entre l’homme et la poule, par exemple. Une poule pourrait être en droit de contester ses œufs frais au fermier qui lui en prive chaque jour. Or, seconde erreur d’analyse donc, si le droit a du sens parce que les humains peuvent grâce à lui faire appel à la justice pour régler leurs différends, on ne voit guère une poule nous attaquer en justice. Pas plus qu’un zébu, second exemple pris car on me dit que depuis peu on les verrait mener des cérémonies funéraires, ce qui serait preuve de leur civilité, voire de leur « humanité potentielle ».
Ainsi, certains auteurs verraient l’animal comme « le même que l’homme », mais cela n’a pas de sens concret, malgré une certaine valeur poétique. Tant que la communication rationnelle entre l’homme et l’animal n’a pas de réalité, autrement dit tant que l’action humaine ne trouve pas son miroir juridique dans l’action animale, voir dans le droit un moyen de protéger l’animal est une illusion. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas protéger l’animal, bien au contraire, mais pas par le moyen du droit.
Bien sûr, il y a une seconde lecture, plus insidieuse à cette idée du Droit de l’Animal (DdA). La même que bien des pseudos « Droits de l’Homme », en fait. Poser un DdA, cela ne peut se réaliser que par le droit « positif », c’est-à-dire par de nouvelles lois plus ou moins ridicules visant à nous contraindre à « protéger » l’animal malgré nous, voire malgré lui. Ce n’est donc pas tant une philosophie tendre et idéaliste qu’une nouvelle forme de diktat arbitraire ne reposant sur aucune légitimité sociale.
Une amie vivant en Suisse, qui a inspiré ce texte et pour qui j’ai un grand respect, m’indiquait qu’il y a eu une votation là-bas pour que les animaux de compagnie puissent bénéficier d’avocats. On voit bien dans une telle affaire les affaires que les avocats pourront en tirer, mais moins clairement comment les chiens-chiens pourront témoigner de leur âpres souffrances. Guacamoles ridicules.
S. Geyres