Université : LOI ORE OU LOI GORE ?
La loi Vidal dite loi d’orientation et de réussite des étudiants, promulguée le 8 mars dernier, est une loi sacrilège, attentatoire à l’égalité des étudiants. Sous couvert de répondre à de vrais problèmes : difficultés d’accès à l’université en raison d’un manque de structures d’accueil (ayant conduit l’an passé au principe du tirage au sort laissant sur le carreau 10 000 étudiants), manque de places d’études donc comme ailleurs manque des lits d’hôpitaux, de cellules individuelles de détention, etc. ; taux important d’échecs à l’issue de la 1ère année : environ 60 %, ce qui fait que seuls 29 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, l’Exécutif jupitérien vient de pondre la loi la plus dangereuse qui soit pour la démocratie universitaire. Dans cette loi réactionnaire en bonne et due forme, en bon et du fond, le gouvernement a glissé quelques mesures sociales, d’importance il faut le souligner. Enumérons les mesures principales : rattachement des étudiants au régime général de la Sécurité sociale, paiement des bourses le 5 de chaque mois, construction de 60 000 logements étudiants d’ici à 2022, généralisation d’un système simple de caution locative, etc. Ainsi l’Exécutif consacre-t-il le « et en même temps » cher au président Macron : loi ORE de droite donc, et « en même temps », un peu sociale, juste un peu car, on le sait, le « en même temps » macronien, depuis un an, n’a jamais été équilibré et a toujours penché à droite.
La loi ORE, que je préfère appeler GORE – tant elle est horrible – est la loi la plus anti-démocratique qui soit depuis la loi Devaquet de 1986 qui organisait la sélection à l’entrée de l’université sur des critères financiers, mais cela n’avait à l’époque rien d’étonnant venant d’un gouvernement de droite (on se souvient qu’après une forte mobilisation étudiante la loi en question avait été retirée et le ministre contraint à la démission). Aujourd’hui, la sélection est remise au goût du jour, et très ouvertement. Le Premier ministre dit n’avoir aucun problème avec ce mot, mais il est vrai qu’Edouard Philippe est un homme de droite et qui s’assume comme tel. Le président de la République n’est pas gêné non plus, ce qui prouve bien a contrario qu’au moins il n’est pas un homme de gauche.
En France, on le sait, le mot « sélection » est un mot tabou, une « idée-repoussoir », et c’est bien normal puisque derrière le mot se cache l’idée d’élimination, d’évacuation, et pas
l’idée d’orientation. Il se dit encore ici ou là, chez les plus optimistes, que la loi GORE comporte le risque de ramener la sélection à l’université. Mais ce n’est pas un risque, c’est un fait ! L’idée et le mot sont bel et bien contenus dans la loi.
L’idée est dans la procédure d’affectation des lycéens dans le supérieur où il est question, au moins dans les filières en tension, de trier les candidats sur la base des dossiers scolaires et en fonction des capacités d’accueil fixées pour chaque université. Les « recalés » auront cependant, en même temps, le devoir de suivre un dispositif d’accompagnement pédagogique ou un parcours de formation personnalisé. Pour aller où en suite ? Dans la filière de leur choix cette fois ?
Le mot, lui, figure clairement à l’article premier, paragraphe V de la loi. « Une sélection, lit-on, peut être opérée … pour l’accès aux sections de techniciens supérieurs, instituts, écoles et préparations à celles-ci, grands établissements… et tous établissements où l’admission est subordonnée à un concours national ou à un concours de recrutement de la fonction publique ».
Il est entendu que les filières en tension sont les plus recherchées car à l’évidence elles correspondent le mieux aux goûts des étudiants (comme la psychologie ou le sport). Or ce sont les seules capacités des candidats qui sont désormais prises en compte pour l’admission et pas les vœux (dont le nombre, soit dit en passant, avec le passage du dispositif « Admission post-bac » au dispositif « Parcours sup » a été ramené de 24 à 10). Quant à l’accès aux sections prestigieuses des Grandes écoles notamment, la sélection, clairement affichée, risque de conduire à l’élimination des étudiants appartenant aux milieux les plus modestes.
C’est donc bien une Université, et plus généralement un enseignement supérieur « à deux vitesses » qu’institue la loi ORE : une université de prestige et/ ou de libre choix d’un côté, une université de disciplines inférieures et/ou non choisie de l’autre On comprend la déception et la colère de certains étudiants aujourd’hui.
Michel FIZE, sociologue
A paraître début mai : « MAI 68 N’A JAMAIS EXISTE ! » (LGO éditions)