La rencontre de JEAN D’ORMESSON et de JOHNNY HALLYDAY
C’était le 1er décembre dernier, à Neuilly-sur-Seine. Johnny Hallyday avait enfin accepté l’invitation à déjeuner de Jean d’Ormesson qui rêvait depuis longtemps de faire la connaissance de la star du rock français.
Jean d’O avait accueilli, sourire aux lèvres, la vedette française qui, à son habitude, avait baissé les yeux et accepté, sans dire un mot, la main tendue. Puis l’académicien avait invité son interlocuteur à passer au salon pour un premier échange. Jean d’O avait alors dit à Johnny qu’il était heureux [c’était son mot favori] de cette rencontre. Johnny avait répondu qu’il l’était aussi. Alors Jean d’O avait proposé un apéritif à Johnny, qui avait choisi un whisky, lui-même préférant une vodka. Combien avez-vous fait d’albums ?, avait demandé l’académicien à son illustre invité, toujours le sourire aux lèvres. 50 avait répondu Johnny, plus une trentaine d’albums live. « Live », que voulez-vous dire?, avait encore demandé Jean d’O. Des albums enregistrés en public, avait répondu Johnny, avant de questionner à son tour. Et, vous, monsieur, combien de livres ?, Une quarantaine, je crois, mais, honnêtement, ils ne sont pas tous bons. C’est comme moi pour mes albums, y en a de franchement mauvais ! Certes, certes, monsieur Hallyday, – mais vous permettez que je vous appelle Johnny ? (acquiescement de la tête de ce dernier) – mais, vous, vous avez des millions de fans, moi je n’ai pas des millions de lecteurs ; mais, je m’en fiche, les gens m’aiment bien et ça m’amuse bien qu’ils m’aiment ainsi. Mais, de vous à moi, Johnny, j’ai un peu honte [c’était un autre mot favori de Jean d’O] de tout cet intérêt pour moi. J’ai eu de la chance, voilà tout.
Johnny, sous l’emprise de sa timidité légendaire, ne parlait pas beaucoup, je veux dire spontanément ; il préférait répondre aux questions, mais toujours brièvement. L’académicien, en tout cas, trouvait qu’il s’exprimait plutôt bien, que c’était une honte [encore son mot], que d’avoir été si méchamment caricaturé, d’avoir été présenté comme un niais, par les Guignols de l’Info. La star, à cet instant, avait baissé les yeux et gardé le silence.
Et puis les deux hommes étaient passés à table. Hors d’œuvre variés, dont un soufflé au crabe, cotes de bœuf et légumes verts, fromage, salade de fruits, le tout arrosé de bons vins. Chacun avait mangé à sa faim, Jean d’O plutôt chichement, Johnny plutôt abondamment. Et puis le temps avait passé, la star du rock avait commencé à dégainer l’humour, ce qui n’était pas pour déplaire à Jean d’O qui, comme chacun sait, est un homme facétieux, aimant bien rire. Bref, c’avait été bientôt éclats de rire autour de la table. A la fin du repas, les deux hommes s’étaient tapés sur l’épaule, promettant de se revoir très vite. Le destin, on le sait, devait en décider autrement. La semaine suivante les deux hommes n’étaient plus de ce monde.
Bien sûr, cette rencontre n’a jamais eu lieu. Elle n’était pourtant pas improbable, tant Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday avaient de points communs – jusqu’à mourir à peu près en même temps. Certes il y avait bien quelques différences entre eux. D’abord l’origine sociale. Jean d’O était un aristo, Johnny un enfant de la balle. Ensuite leur niveau d’études. Tandis que Jean d’O était agrégé de philosophie, Johnny n’avait, depuis tout petit, pour tout bagage que sa guitare. Enfin leurs « maîtres » n’étaient pas les mêmes non plus. Alors que Jean d’Ormesson admirait Chateaubriand, pour Johnny, c’était plutôt Elvis Presley ou Gene Vincent. Mais pour le reste, que de ressemblances…
Jean d’O et Johnny, c’était le même regard bleu, malicieux. Deux charmeurs. Deux éternels jeunes. Deux passionnés, l’un d’écriture, l’autre de musique.
Jean d’O et Johnny, deux grandes timidités aussi. L’une surmontée par le plaisir de discourir, plus fort que tout chez Jean d’O. L’autre traînée un peu comme un boulet.
Jean d’O et Johnny, c’était deux amoureux des belles voitures, des belles femmes. Deux amoureux de l’amour en somme. Les chansons de Johnny en étaient remplies, comme les livres de Jean d’O.
Jean d’O et Johnny, deux personnages de droite, mais ayant souvent flirté avec la Gauche. Jean d’O aimait Aragon et Johnny n’avait aucune gêne à se rendre à la Fête de l’Huma et à y croiser Marchais. Deux catholiques discrets, croyant modérément.
Jean d’O et Johnny, deux êtres souvent moqués, le premier pour des livres jugés plutôt « gentillets », le second pour une musique qualifiée volontiers de variétés.
Au final Jean d’O et Johnny, deux morts impensables, qu’on avait donc fini par croire improbables. Aujourd’hui deux figures du patrimoine national.
Mais j’arrête là mon propos. Au moment où je vous parle, Jean d’O et Johnny prennent leur deuxième repas, comme ils se l’étaient promis, tout là-haut, au paradis. Ne les dérangeons pas.
Merci en tout cas aux deux d’avoir embelli nos vies.
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