Présidentielle 2017 : « Oui, je suis prêt. Il faut être prêt » François Bayrou
On dit « jamais deux sans trois ». Vous, c’est « jamais trois sans quatre » ?
Parmi les innombrables éléments que me soumettent mes amis sur l’élection présidentielle, il y a celui-ci : ils ont observé que toujours, à la quatrième élection, les candidats ont fait leur meilleur score : cela a été vrai pour François Mitterrand, pour Jacques Chirac. Je leur réponds que ce n’est pas sur des éléments comme cela que je me déciderai. Je n’ai jamais vécu une situation politique aussi grave, aussi intolérable que celle dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui. C’est le cadre de la réflexion qui est la mienne.
Nous allons y revenir. Des affrontements ont eu lieu hier devant le tribunal de Bobigny après l’affaire Théo, malgré les appels au calme. Faut-il comme certains le disent couvrir la police quoi qu’il en soit ?
Non. Il ne faut pas « couvrir » : cela supposerait qu’on accepte des actes qui ne sont pas acceptables. Mais il faut dire que le métier de policier, dans la société où nous sommes et dans des banlieues structurées et décomposées parfois, avec des actes graves et un tissu qui se délite, qui se défait, ce n’est pas un métier facile. En tout cas, sur Théo, c’est très simple. Si c’est intentionnel, c’est criminel. Si c’est accidentel, c’est cependant très grave et dangereux.
Cela mérite sanction.
C’est ce qui a été fait.
Comprenez-vous ces manifestations de jeunes ? Quand vous êtes en banlieue, que vous êtes noir ou arabe, vous avez 20 fois plus de chance d’être contrôlé…
Ce que je comprends, c’est que nous avons depuis des années rompu le lien qui devrait exister entre une police de proximité, attentive, vigilante – qui peut être sévère quand il faut – et des jeunes qui sont là pour être protégés autant que pour être contrôlés. On a rompu ce lien. Tant qu’on ne reconstruira pas une police enracinée, de proximité, dont les membres vivent sur place, comme les gendarmes vivent dans des communes rurales ; on aura automatiquement ce contexte d’affrontement. J’ai été apostrophé hier par un groupe de jeunes issus de banlieue, qui disait : « Nous, on essaie d’expliquer à nos frères et sœurs qu’il ne faut pas en arriver là ». Je pense qu’il existe en banlieue des forces qui veulent en sortir.
Êtes-vous favorable à des récépissés de contrôles d’identité ou au port de caméras portatives déclenchées lors de contrôles d’identité, pour éviter qu’il y ait des dérapages ?
Tout ce qui va dans le sens d’une accumulation de gestes qui peuvent être inquiétants, mal interprétés, exaspérants, va dans le bon sens. Mais il faut le faire avec les forces de police.
Ceux qui ne sont pas d’accord, ne faut-il pas leur imposer ?
Ils seront d’accord. Le problème du récépissé, c’est qu’il peut tout-à-fait être utilisé par d’autres. Il peut y avoir des utilisations mal inspirées des récépissés. Tout ce qui va dans le sens d’éviter les contrôles multipliés et abusifs et en même temps faire en sorte que l’action de la police soit comprise et acceptée doit être fait. On n’y arrivera pas s’il y a uniquement des brigades d’intervention.
À Aulnay-sous-Bois, c’était une brigade spécialisée créée par N. Sakorzy. Or, on voit qu’il y a des problèmes.
La suppression des forces de police de proximité a été une mauvaise chose pour la société.
Pour terminer là-dessus, les députés viennent de voter l’extension de la légitime défense pour les policiers. L’auriez-vous votée si vous étiez député ?
Oui, je l’aurais votée.
Sans état d’âme ?
C’est un métier difficile. Ils se sentent menacés et agressés. Le moins que l’on puisse faire, tout en les poussant à des attitudes mieux comprises, c’est de les défendre.
Parlons de la campagne présidentielle. François Fillon est reparti en campagne, Emmanuel Macron a repris sa deuxième place dans les sondages. S’il y a des poursuites contre François Fillon, est-ce le début de la fin pour lui ?
C’est lui qui a dit qu’il renoncerait s’il était mis en examen, ou pire encore, renvoyé devant un juge d’instruction ou en citation directe. C’est lui qui l’a dit. Il faut que nous mesurions que la campagne présidentielle dans laquelle nous sommes détruit l’image de la France hors de nos frontières et détruit la confiance des citoyens à l’intérieur. Cela ne peut pas durer. Il est inacceptable d’imaginer qu’on va demander des sacrifices aux gens, toujours plus nombreux, à ceux qui sont en bas de l’échelle et qui gagnent le moins, et qu’on va continuer à défendre ou à accepter l’accumulation de privilèges pour ceux qui au contraire sont au cœur du pouvoir.
François Fillon a-t-il déjà trop fait durer l’affaire ?
Je pense qu’il a des décisions à prendre et il aurait dû les prendre avant, parce qu’il est en train de menacer l’alternance, de menacer y compris son camp et sa famille politique. Vous avez vu l’ouvrière que nous avons entendue dans le reportage. On ne peut pas gagner 1.100 euros, 1.150 euros, 590 euros si vous travaillez à mi-temps, et puis voir en même temps que le monde du pouvoir s’organise pour avoir, lui, le maximum de privilèges. Je comprends le drame que cela représente pour une famille, ce qui est en train d’arriver.
La famille de François Fillon, en l’occurence ?
Je ne dis pas cela à la légère. Tout à coup, il y a des tremblements de terre qui touchent des personnes. Mais sur le fond des attitudes, des pratiques de ce qui est accepté, défendu, revendiqué, alors je considère que cela menace notre démocratie.
François Filllon a présenté des excuses. Cela ne suffit-il pas ?
Il ne s’agit pas d’excuses dans cette affaire. François Fillon a choisi, contre mon avis, d’avoir un programme extrêmement dur.
Le lui avez-vous dit ?
Je lui ai dit depuis la première minute, depuis même l’entre-deux tours des primaires, que son programme, par son caractère très dur, était une menace y compris pour son élection, en tout cas pour l’idée de l’avenir que je me fais du pays. J’avais dit qu’il allait tirer les Français vers le pessimisme et donc être récessif, menacer la progression de l’économie et de la société française. Vous ne pouvez pas défendre un programme comme cela. A chaque phrase, vous allez avoir le choc en retour des pratiques qui sont révélées.
Pour François Fillon, est-ce déjà mort ?
Je veux ajouter une chose. Le fait que de grandes sociétés multinationales aient choisi d’appointer un homme politique, candidat à la présidentielle, ayant et voulant exercer les plus hautes fonctions, autrement dit de payer son train de vie ou en tout cas de participer à ce financement, ce fait est insupportable ! D’autant qu’ils disent que c’est pour mieux écrire les lois, c’est-à-dire pour leurs avantages.
Visez-vous AXA ?
Exactement. Et d’autres ! Quand vous êtes un responsable public, si vous acceptez les libéralités de cet ordre, cela veut dire que vous devrez renvoyer l’ascenseur. C’est ce qui est attendu.
De ce point de vue, vous renvoyez dos-à-dos François Fillon et Emmanuel Macron… Mais Emmanuel Macron sur ce point joue la transparence. Il déclare dans le JDD aujourd’hui : « Voici où j’en suis dans la collecte des fonds : plus de 5 millions. Voici combien il me manque : 17 millions ». Tout est étalé. Qu’est-ce que vous entendez de plus ?
La dépendance de la politique à l’argent est une faiblesse.
Il ne peut pas être plus transparent que cela.
Je ne sais pas qui sont les donateurs.
Est-ce qu’il faudrait qu’il publie la liste des donateurs ?
Aux États-Unis, c’est fait : la liste des donateurs est publiée.
Faudrait-il qu’il le fasse ?
En France, il faudrait qu’il y ait les mêmes règles. Premièrement, qui sont les gens qui sont suffisamment fortunés pour apporter de l’argent en nombre à une campagne ? Deuxièmement, qui paie ? Ce ne sont pas les donateurs qui paient. Ceux qui paient, ce sont les contribuables. Les donateurs versent une somme et le contribuable rembourse la plus grande partie de cette somme, 60 ou 65 % selon les cas. Ceci est extrêmement offensant parce que cela veut dire que ce sont les plus riches qui décident de l’issue d’une campagne électorale et de l’attribution des fonds publics.
Tout le monde a besoin d’argent dans une campagne.
Et bien, nous avons trop accepté que les campagnes électorales se déploient ainsi, un luxe et un faste. Moi, je voudrais des campagnes électorales sobres. On dit autant de choses sur votre plateau qu’on en dit meeting, simplement les meetings, ce sont des mises-en-scène. Je trouve que la sobriété d’une campagne électorale, le fait que les candidats s’obligent à ne pas gaspiller l’argent, à ne pas le jeter par les fenêtres, est pour moi quelque chose qui ferait du bien dans la société dans laquelle nous sommes.
Emmanuel Macron dit que son rapport à la politique est celui du mysticisme.
J’ai lu cette interview et ses propos. Je suis resté… Comment dire… Je vais essayer de le dire de façon « soft ». Je suis resté dubitatif ! Se présenter ou accepter de présenter sa candidature comme messianique, « christique » dit-il, dans l’interview… Moi, je pense qu’une des principales vertus d’un Président de la République serait d’être équilibré. Autrefois, François Hollande avait dit « Président « normal », mais je n’ai jamais cru à cet adjectif.
Dites-vous qu’Emmanuel Macron n’est pas équilibré ?
Non, je dis que la France a besoin d’équilibre. Plus que jamais, dans le monde où nous sommes, la France a besoin d’équilibre. Elle n’a pas besoin de sauveurs. Les sauveurs sont rares dans l’histoire, il y en a quelques-uns, et cela mérite d’avoir fait ses preuves, d’avoir eu l’expérience de la sagesse.
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