Pour l’Europe future, l’amitié franco-allemande doit être consolidée
La confiance ne s’impose ni ne se décrète. La confiance se gagne au moyen d’expériences. C’est une vertu hésitante, fragile, inquiète parfois. Elle n’est jamais assurée sinon elle est crédulité, naïveté. Il arrive qu’elle soit déçue, mais elle est néanmoins un préalable si nous voulons faire société.
Depuis la chute du mur l’Allemagne a conquis sa place au premier rang des nations non par la force, mais en étant pour le monde un modèle de vertu. Le slogan en économie dit « réformez d’abord, on verra ensuite pour l’Europe », avec la probable arrière-pensée que cela prendrait beaucoup de temps, voire au mieux ne se ferait jamais… L’Allemagne aspire depuis à vivre dans une Europe minimaliste, dépourvue de toute ambition politique, mais fortement lestée de mécanismes disciplinaires. Cette aspiration presque moralisatrice, aujourd’hui encore, nous rappelle pourtant que l’Allemagne, les Pays-Bas et les États baltes considèrent fondamentalement que les problèmes rencontrés par la zone euro tiennent soit au laxisme budgétaire de certains, soit à l’insuffisant contrôle des États sur leurs endettement. Au regard de cette interprétation exclusive, l’idée de repartir sur de nouvelles bases au moyen d’un examen des problèmes d’ensemble de la zone euro est fortement contestée, car cela reviendrait au fond à admettre que le principe fondamental qui régit la zone euro est celui de l’interdépendance et de la solidarité entre ses membres.
Entrer dans ce type de raisonnement, c’est entrer par définition dans un raisonnement de type que la pensée ordolibérale allemande a toujours historiquement récusé. De même qu’une économie nationale est, pour les ordolibéraux, la somme de décisions microéconomiques, de même une économie européenne est pour ces mêmes ordolibéraux la somme d’économies nationales, dont la solidarité doit reposer sur des règles de gestion identiques. Ce raisonnement ne dépareillant pas avec le bon sens d’un notaire de province conduit à trois raisonnements qui bloquent fondamentalement l’analyse stratégique commune.
Le premier est que l’Allemagne adhère à la fiction auto-entretenue d’une prospérité allemande ne devant rigoureusement rien aux autres, alors que nous savons très bien combien l’Allemagne doit à l’existence d’une demande dans le reste de l’Europe et combien « l’euro allemand » profite de sa sous-évaluation, de même que « l’euro italien » pâtit de sa surévaluation. Même la politique de la BCE a d’abord profité à l’Allemagne avec des taux abyssaux lors de la réunification.
Le second, qui découle du premier, conduit à se montrer totalement imperméable à toute politique contracyclique puisque, selon l’Allemagne, en cas de ralentissement, la priorité doit être donnée à la rigueur et à l’austérité. Erreur : le FMI, lui, est revenu sur ces mêmes analyses en admettant qu’il y avait contre-productivité tout en aggravant même la situation économique .
Enfin, le troisième argument repose sur la croyance selon laquelle, dans une économie de marché, le rôle de l’État est de poser des règles, mais non d’orienter le choix des acteurs économiques. C’est tout à fait en adéquation avec cette logique qu’un rapport de l’Institut de Kiel (IfW) estimait que l’immense excédent courant allemand était une réalité sur laquelle les acteurs publics n’avaient guère de prise. Et que, dans ces conditions, il fallait s’en accommoder. Pourtant, la relance de la croissance en Allemagne se fera au plus tard en 2020 bien par des baisses d’impôts et un programme d’investissements à la Keynes. Rendez-vous est pris…
Dans un autre domaine essayons de remettre l’Allemagne dans son contexte de sa politique militaire à l’égard de l’Otan avec son approche de « Nation cadre » (framework nation concept). Ce concept élaboré par l’Allemagne tente d’organiser la coopération de défense entre un nombre limité de pays partageant une certaine proximité culturelle. L’Otan se base sur ce principe pour rallier des alliés à une puissance collective plus importante afin de les intégrer à un système de défense performant et standardisé. Déjà, lorsque le concept faisait son chemin au sein de l’Organisation, certains voyaient un risque pour la France de perdre son autonomie stratégique. L’Allemagne se place en effet dans une volonté de leadership en Europe dans le domaine de la défense, ce qu’elle a très clairement exprimé dans son Livre blanc de 2016. Le concept de Nation cadre se constitue de fait comme le pilier européen de l’Alliance. Aux yeux des Américains, mieux vaut voir l’Europe de la défense se constituer dans un cadre de l’Otan, bien connu, plutôt que dans des constructions européennes moins maîtrisées par eux.
Derrière l’entente cordiale entre la France et l’Allemagne, que d’arrière-pensées! Mais l’Allemagne imagine-t-elle réellement pouvoir rivaliser seule avec la Chine, les États-Unis ou l’Inde? Autant bâtir des châteaux en Espagne…
Et nous y voilà à la confiance. Même si l’Europe ne peut pas a priori se passer de la France, les données macroéconomiques sont bien là et peuvent tout faire basculer avec un effet de domino à la clé. Ou bien nous attendons le « cygne noir », ou bien nous dessinons un projet fort avec les Allemands ; pas un Brexit franco-allemand comme nous le vivons depuis la disparition de Kohl et Mitterrand.
Le danger d’un Brexit franco-allemand serait le délitement de l’Europe qui n’aurait pas compris assez vite qu’elle est seule.
Antoine.S
Anonyme
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