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FAUT-IL SUPPRIMER LE SENAT ?

La question de la réforme du Sénat est une question récurrente sous la Vème République. Il y a presque cinquante ans, au printemps 1969, le général de Gaulle proposait l’adoption par référendum d’une réforme sur la régionalisation et la « rénovation » du Sénat.

Il n’est pas sans intérêt de revenir sur ce projet qui posait déjà clairement les tenants et aboutissants d’une prétendue « rénovation » – qui était en fait une suppression. De quoi était-il question exactement ? D’abord, d’une transformation de la composition de la Chambre haute. De Gaulle voulait une représentation, non seulement des collectivités locales, mais également des intérêts socio-professionnels, d’où l’idée principale d’une fusion du Sénat et du Conseil économique et social. Ensuite, il organisait une modification radicale du rôle du Sénat ancien. Celui-ci perdait tout simplement son pouvoir législatif au profit d’un pouvoir purement consultatif, dans les domaines, économique, budgétaire et social. Le rejet du référendum, en avril 1969, enterra le projet. En 1998, le Premier ministre, Lionel Jospin, considérait encore le Sénat comme une « anomalie démocratique ». Et, en 2014, Marine Le Pen se demandait à quoi pouvait bien servir cette Chambre.

Les griefs contre le Sénat, déjà énoncés en 1969, sont nombreux. Mauvaise représentation des territoires : la Creuse par exemple a un élu pour 65 000 habitants, tandis que le Var a lui aussi un élu mais pour 271 000 habitants. Chambre retardant la procédure législative. Mauvais mode électoral reposant sur seulement 150 000 (grands) électeurs. Surreprésentation des campagnes au détriment des grandes villes notamment. Surreprésentation des hommes (75 % contre 25 % de femmes) et des seniors (l’âge moyenne des sénateurs est de 62 ans). Surreprésentation des enseignants et « autres fonctionnaires » (41 % au total). Coût excessif de l’institution : 336 millions par an (soit le double du coût de l’Assemblée nationale), dont l’utilisation échappe au contrôle de la Cour des comptes.

Alors, que faire ? Faut-il purement et simplement supprimer le Sénat ? Lors de la dernière campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon (25 ans sénateur !) y était plutôt favorable, considérant cette Assemblée totalement « archaïque ». Mais qu’en pensent les Français ? Selon un sondage récent de l’IFOP, 23 % seulement d’entre eux penchent pour la suppression. Mon avis personnel, longtemps favorable à cette suppression, y est désormais hostile. Face au pouvoir jupitérien d’Emmanuel Macron, à une présidence plus présidentielle que jamais, à une majorité à l’Assemblée nationale à la botte du nouveau Président, l’on peut penser que le Sénat, qui ne peut être dissous par l’Exécutif et doit donner son accord à toute réforme constitutionnelle, est un gage d’équilibre – aspect que je développerai ultérieurement.

Autre solution souvent évoquée : la fusion de l’actuel Sénat avec le Conseil économique et social, devenu en 2008 le Conseil économique, social et environnemental (CESE). C’était la position adoptée en 2015 par le groupe de travail sur l’avenir des institutions du CESE lui-même. Elle n’est plus guère défendue aujourd’hui. D’abord parce que le CESE est une institution elle-même contestée, dont la suppression est parfois réclamée. Il est vrai que le CESE ne joue qu’un modeste rôle de conseil auprès du gouvernement. Depuis 1958, il n’est sollicité qu’entre 6 et 12 fois chaque année, ce qui est peu. Enfin, cette fusion ferait à coup sûr perdre au Sénat son pouvoir politique. Une institution nouvelle, composée à la fois d’élus politiques traditionnels et de membres syndicaux ou associatifs, n’aurait pas de réelle légitimité politique.

Aucune de ces deux solutions ne paraît réellement satisfaisante. Par conséquent, il faut conserver le Sénat et en améliorer sans doute encore son fonctionnement. Des réformes ont été réalisées au cours de ces dernières années : introduction de la session plénière unique, abaissement à 24 ans de l’âge d’éligibilité aux fonctions de sénateur, par exemple. D’autres pourraient l’être comme la réduction du nombre de sénateurs.

Le Sénat contribue utilement à l’œuvre législative, en améliorant souvent les textes de loi qui lui sont présentés. Il est rigoureux sur des sujets compliqués, comme la bioéthique, l’homosexualité, la fin de vie. Ainsi par exemple, en 2007, à propos d’un texte sur l’immigration a-t-il rejeté l’idée d’un recours au test ADN pour autoriser le regroupement familial. L’esprit sénatorial se veut réfléchi, non-partisan (absolument), dépassionné, en un mot (sociologique), « objectif ».

Enfin le bicamérisme est un gage de saine démocratie, en assurant le meilleur équilibre entre l’Exécutif et le Législatif, principalement quand l’Assemblée nationale est sous l’emprise présidentielle.

Michel FIZE, sociologue, auteur de La Crise morale de la France et des Français, Mimésis, 2017.

Comments

  • Anonyme
    janvier 12, 2018

    0.5

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