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Musées et refugiés par Jacques ATTALI



Les musées allemands viennent de prendre une initiative qui va bien au-delà de sa propre utilité : Ils organisent, de façon récurrente, pour les réfugiés venant d’arriver, après un terrible exode, du Moyen-Orient, des visites des trésors qu’ils contiennent, venant des pays d’origine de ces nouveaux venus. Ainsi, le Pergamon Museum de Berlin organise-t-il, pour des Syriens et des Irakiens, des visites des extraordinaires pièces rapportées d’Asie mineure par les archéologues allemands à la fin du 19ème siècle : les vestiges, démontés pierre à pierre, de Pergame, de Millet, de Persépolis, de Babylone et d’autres monuments de ces grandioses civilisations, situées dans l’actuelle Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran.
Les commentaires les plus contradictoires ont suivi le début de ces visites : pour certains, cela permet aux réfugiés de retrouver une fierté en leur pays d’origine, et aux Allemands de prendre conscience de ce que leur doit l’humanité tout entière. Pour d’autres, cela démontre seulement qu’il a fallu que l’occident s’en mêle en allant voler sur place ces trésors, pour les mettre à l’abri et préserver ce que leurs guerres et leurs pillages auraient détruits.
C’est en fait une formidable occasion de réfléchir à ce qu’un musée nous dit de nos civilisations : avons-nous de bonnes raisons de conserver des trésors ailleurs que sur leurs lieux d’origine ou faut-il les rendre aux descendants de leurs créateurs ?
D’abord, écartons cet occidentalocentrisme qui nous fait penser que nous sommes plus civilisés que d’autres et mieux capables de conserver des trésors : Certes, partout hors d’Occident , des œuvres sont détruites par des fanatiques ou par des conquérants voulant effacer les traces de leurs prédécesseurs ; et pour avoir pu, à plusieurs reprises, admirer sur place la stupéfiante beauté des deux Bouddhas géants de Bamian, en Afghanistan, je mesure particulièrement la perte irréparable que représente pour l’humanité la destruction de ces fabuleux trésors. Mais l’Occident n’a de leçon à donner à personne en termes de civilisation. En particulier, les Européens se sont entretués depuis des millénaires ; ils ont détruit, comme les autres, des trésors lors de guerres ou de révolutions. Comme les autres, ils ont brulé, incendié, pillé, de fabuleux monuments sur leur propre sol. Dans le seul siècle dernier, ils y ont commis d’innombrables crimes lors de deux guerres mondiales, détruisant alors des millions de trésors vivants, et rasant des villes entières. Ils ont aussi commis d’autres crimes, ailleurs, depuis le 16ème siècle, en exterminant des peuples entiers, sous prétexte de les civiliser, et incendiant des merveilles architecturales, dans les Amériques, en Afrique et en Asie.
Aujourd’hui, en tout cas pour le moment, l’Occident en est arrivé à un certain respect de la règle de droit, qui permet d’y protéger en particulier les œuvres d’art mieux qu’elles ne le sont dans les zones de combat.
Il faut prendre conscience de ce privilège et tout faire pour l’étendre à l’humanité toute entière, et en particulier aux réfugiés, qu’il faut accueillir comme des trésors ayant encore plus de valeur que ceux qu’on leur fait admirer dans les musées. L’humanité, principal trésor. Et pas seulement à elle : protéger la nature, comme la plus belle des œuvres d’art, pour la faire visiter et la transmettre fièrement aux nomades de l’avenir ; telle devrait etre notre plus haute mission.

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