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Mélody Mock-Gruet : « le RIP ne suspend pas la promulgation de la loi sur la réforme des retraites »

Le lundi 20 mars, 252 parlementaires ont déposé une proposition de loi référendaire d’initiative partagée (et non populaire), autrement dit RIP. La proposition de loi ne dispose que d’un article visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au‑delà de 62 ans.

Le Conseil Constitutionnel a décidé de rendre sa décision sur la recevabilité de cette procédure, en même temps que sa décision sur la constitutionnalité du PLFRSS « retraites », ce vendredi 14 avril.

Qu’est-ce que le RIP ?

Selon l’article 11 de la Constitution : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement (soit 185 parlementaires), soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (environ 4,7 millions d’électeurs). »

Entré en vigueur le 1 janvier 2015, le RIP est prévu par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les loi organique et loi ordinaire du 6 décembre 2013 relatives à l’application de l’article 11 de la Constitution précisant les grandes étapes de l’initiative référendaire et les garanties qui l’accompagnent.

Mais la procédure n’est pour l’instant pas allée jusqu’au bout : une première tentative en 2018 sur l’ISF avait échoué car il n’y avait pas les 185 signatures. Le RIP s’opposant à la privatisation des aérodromes de Paris (A.D.P.) en avril 2019 avait le nombre de parlementaires signataires (248) mais avait échoué car il n’avait pas atteint le nombre de soutiens suffisants : seules 1 093 030 signatures avaient été enregistrées et validées (et non les 4 717 396). Une proposition de loi programmation hospitalière (2RIP) avait été censurée le 6 aout 2021, sur le fondement de la méconnaissance de la Constitution.

Pourquoi un RIP sur les retraites ?

Après la saisine du CC sur le PLFRSS « retraites », le RIP est devenu le dernier recours qu’ont les groupes d’opposition pour faire entendre leurs voix. Ils utilisent cette procédure qui a pour objet de demander au peuple de se prononcer sur la réforme des retraites.

On peut noter que le RIP ne suspend pas la promulgation de la loi sur la réforme des retraites. Ce sont deux procédures distinctes. Mais on a pu voir par le passé, avec le RIP d’A.D.P. que le Gouvernement peut décider de ne pas appliquer la loi promulguée en attendant la fin de la procédure du RIP. Le Gouvernement avait décidé de surseoir à la procédure de privatisation, le ministère de l’Économie indiquant : « Aucune décision sur la privatisation d’ADP ne sera prise dans le délai de la procédure. Nous attendons désormais la décision du Conseil constitutionnel sur le fond de la loi Pacte ».

Sur quoi va statuer le Conseil Constitutionnel (CC) vendredi 14 avril ?

Une proposition de RIP doit être déférée obligatoirement au CC (article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, rédaction de la loi organique du 6 décembre 2013). Le CC va être saisi plusieurs fois, en amont et en aval de la procédure… Pour rappel, dans un communiqué de presse sur sa décision relative du RIP A.D.P., le CC a précisé qu’il « a pour office de juger si un texte de loi dont il est saisi est conforme ou non à la Constitution et pas de dire si ce texte lui apparaît bon ou mauvais en opportunité. » 

Le 14 avril, le CC va rendre sa décision de recevabilité du RIP, en examinant plusieurs points :

–          Sur le nombre de parlementaires : pas de difficulté sur ce sujet

–          Sur le champ : le RIP doit porter « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Dans le cas d’une réforme des retraites, le RIP se trouve bien être dans le champ de la politique économique et sociale de la Nation.

–          Sur l’interaction législative : Selon l’article 11 de la Constitution, le RIP « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. » Dans la décision du 9 mai 2019 à propos du RIP d’A.D.P., le CC estime que les conditions posées par l’article 11 sont respectées, alors même que la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises prévoyant cette privatisation a été adoptée le lendemain du dépôt de la proposition de loi référendaire. Il précise que, « à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi n’avait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Autrement dit, la date de promulgation de la loi est appréciée au regard de la date de saisine du CC. Pour le cas des retraites, le RIP a clairement été déposé avant la promulgation de la loi. Il semblerait donc que ce critère ne pose pas de problème.

–          La proposition de loi ne doit pas porter sur un sujet rejeté par référendum il y a moins de deux ans, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

–          Le CC doit également étudier la recevabilité financière de l’article 40 de la Constitution d’un RIP, comme c’est le cas d’une proposition de loi (décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013, sur la loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution). Un RIP ne peut pas créer ou l’aggraver une charge publique. En l’espèce, le RIP ayant été déposé avant la promulgation de la loi modifiant l’âge de départ de la retraite, il semblerait que ce ne soit pas le cas. En revanche, un RIP a posteriori (après promulgation de la loi) pourrait peut-être être censurée sur ce motif… En outre, le CC peut considérer que le RIP peut entrainer des dépenses supplémentaires. Il faut noter que le texte du RIP « retraites » n’a pas prévu de gage à cet effet…

Si le RIP est recevable, que se passera-t-il ensuite ?

Le CC veille à la régularité de la collecte des signatures des citoyens. Les initiateurs de la démarche doivent réunir les signatures d’au moins 10 % des électeurs inscrits sur les listes électorales à partir du mois suivant, sur une durée maximale de neuf mois. Les signatures sont possibles en ligne sur une page dédiée du site du ministère de l’intérieur. En accord avec la loi organique de 2013, des points d’accès à Internet sont mis à disposition « au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton » et « dans les consulats ». Un électeur peut également faire enregistrer « par un agent de la commune » son soutien « présenté sur papier ». Cette étape n’a jamais été franchie pour l’instant.

Lorsque la collecte est réalisée et que le nombre est atteint, dans un délai de 6 mois : « Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. » selon l’article 11 de la Constitution. Plusieurs questions se posent :

–          La proposition de loi doit-elle impérativement être examinée par les deux assemblées, ou par l’une des deux assemblées suffit ?

–          Est-ce que cela doit être des lectures définitives ?

–          Examiné ne veut pas dire qu’il y aura un vote pour le RIP. Le Sénat, par exemple, pourrait s’opposer. Est-ce que le Président de la République pourra tout de même soumettre au référendum ?

–          Le rejet du RIP, sa modification, le vote d’une question préalable par l’une et l’autre chambre feraient-ils obstacles au référendum ?

–          Il existe différentes interprétations selon les constitutionnalistes. Par exemple, dans un article « Le RIP ripe sur la loi PACTE », Paul Cassias considérait : «  En cas d’inscription à l’ordre du jour donc, seule l’adoption d’une motion de renvoi en commission de la proposition de loi RIP par la majorité des députés ou des sénateurs pourra être considérée comme une absence « d’examen » de cette proposition de loi, obligeant le président de la République à convoquer un référendum. »

Pour conclure, le RIP, même s’il est recevable vendredi 14 mars, est loin de permettre un référendum sur les retraites rapidement. Il reste d’ailleurs encore beaucoup de flous sur la procédure qui n’est jamais allée jusqu’au bout jusqu’à aujourd’hui.

Analyse de Mélody Mock-Gruet 

Docteure en droit public

Auteure du Petit Guide de l’Amendement (Édition Pepper/ L’Harmattan – octobre 2022)

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