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L’Opéra, quintessence de l’art total, s’incarne dans Julien Dumarcey, figure montante, et Allex Aguilera, maître de la mise en scène au service du sublime.

Vu d’Ailleurs : Messieurs, l’Opéra est une passion commune que vous partagez. Comment est-elle arrivée dans votre vie et quel a été votre parcours ?

Julien Dumarcey : Je n’avais pas encore quatorze ans lorsque j’ai débuté le chant lyrique avec une ancienne choriste du Grand Théâtre de Genève. J’ai poursuivi mes études au Centre de la Voix Rhône-Alpes, puis en Musicologie à Lyon II. En 2006, j’ai intégré le Conservatoire Populaire de Musique de Genève, où j’ai obtenu un certificat de chant lyrique avec les félicitations du jury. Durant la saison 2009-2010, j’ai été sélectionné pour l’académie de bel canto CUBEC, dirigée par la grande soprano Mirella Freni à Modène. J’ai également suivi les classes de maîtres de Montserrat Caballé et du baryton italien Leo Nucci. J’ai été membre des chœurs complémentaires du Grand Théâtre de Genève, tout en débutant ma carrière artistique et lyrique.

Allex Aguilera : Je suis binational, brésilien et espagnol. J’ai quitté Rio de Janeiro pour apprendre le français à l’Université de Genève. Chaque jour, en sortant de l’université, je traversais la Place Neuve, sans savoir que ma vie allait changer à jamais : l’université, où j’ai appris le français ; le conservatoire, où j’ai étudié le chant lyrique ; et enfin le Grand Théâtre de Genève, où tout a commencé. J’y ai été engagé comme stagiaire, puis j’ai participé au surtitrage d’opéras tels que Die Zauberflöte et I Capuleti e i Montecchi. Par la suite, j’ai évolué vers un poste de régisseur de scène, puis d’assistant à la mise en scène d’opéra, ce qui a marqué mes premiers pas dans le monde de l’opéra.

Vu d’Ailleurs : Julien Dumarcey, vous avez également une expérience dans l’organisation d’événements musicaux. Pouvez-vous nous en parler ?

Julien Dumarcey : En parallèle de mon engagement auprès des artistes lyriques, j’ai voulu lancer un festival lyrique dans la Forteresse de Salses-le-Château, un site du Patrimoine Catalan. Bien que cet événement n’ait pas vu le jour, un concert de gala a été organisé en septembre 2016, réunissant 52 musiciens d’orchestre, quatre solistes lyriques, un ballet flamenco, ainsi que toute la logistique événementielle. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre les défis liés à la mise en scène d’opéra et à l’organisation de concerts et festivals lyriques., un ballet flamenco, l’ensemble des contrats et de la logistique. Cette expérience a été des plus enrichissantes pour la suite de mon parcours.

Allex Aguilera : Je voulais tenter une carrière de chanteur lyrique. J’avais de la voix et, après avoir été admis au conservatoire parmi tant de candidats, je me suis dit que j’avais peut-être du talent pour cela. Mais lorsque je suis entré au Grand Théâtre, ma vision du métier a complètement changé. En découvrant tout le processus derrière une production d’opéra, je me suis dit tout de suite que je voulais en faire partie. Les choses se sont ensuite enchaînées naturellement, jusqu’à ce que je réalise que ma place était dans la mise en scène. C’est un métier d’apprentissage : il faut passer par plusieurs étapes pour comprendre ce que signifie réellement mettre en scène un opéra.

Vu d’ailleurs : Julien Dumarcey, vous êtes aussi au bénéfice de plus de vint-deux ans d’expérience dans le domaine de la restauration de luxe et événementielle à Genève. Qu’est-ce que cela vous apporté ?

Julien Dumarcey : j’ai en effet eu mes premières expériences professionnelles dès l’âge de dix-sept ans dans l’hôtellerie de luxe à Genève où j’ai été commis de service dans tous les types de standing, restaurant brasserie et gastronomique, service des banquets, room-service et bar. Cela me permettait de payer mes études de chant. Entre 2014 et 2024 j’ai été chef de rang puis maître d’hôtel en intérim à Palexpo, le grand centre d’événementiel et de congrès de Genève où les plus prestigieuses manifestations étaient organisées telles que le Salon International de l’Automobile, le Salon International de la Haute Horlogerie, le Salon de l’Aviation Privée (EBACE), le Salon des diamantaires (GEM GENEVE), mais aussi des soirées de gala de grands groupes et entreprises multinationales. L’hôtellerie/restauration de luxe et l’Art de la table requiert selon moi le même degré de technique, de précision, d’organisation mais aussi de rêve que le monde de l’Opéra.

Vu d’Ailleurs : Depuis quelques temps vous avez donné un nouveau tournant à votre carrière en vous présentant à des postes de directeur de maison d’opéra comme actuellement à l’Opéra de Dijon. Quelles sont selon vous les qualités nécessaires à ce type poste ?

Julien Dumarcey : Selon moi, un directeur d’opéra doit impérativement regrouper plusieurs qualités ou compétences. Je vous laisse le soin d’interpréter à votre guise. Il doit avant tout être un passionné, aimer le Beau, être un fin connaisseur du répertoire et des voix et partager les émotions avec le public sans vouloir interpréter ce que ce dernier voudrait. Il doit pouvoir s’occuper lui-même de la programmation et des distributions de solistes. Malheureusement, je  constate aujourd’hui que le « marché » lyrique en Province est tenu par trois ou quatre personnes qui pour certains cumulent les postes de chef de chant, tout en étant conseillers aux distributions ou à l’artistique dans trois ou quatre maisons d’opéra. C’est sans compter sur les directeurs qui cumulent eux-mêmes les qualités de directeur et de metteur en scène ou de chef d’orchestre.  Imaginez-vous un instant, l’immense poids qui pèse sur nos artistes lyriques qui, s’ils ne font pas partie des favoris de ce petit clan extrêmement restreint. Ils n’auront tout simplement pas ou très peu de travail. En cela, en revenant à des profils complets de directeurs comme l’était un Hugues Gall, il y aurait moins de monopole de la part de ce petit cercle sur le « marché de l’emploi » pour nos chanteurs résidents en France. Par exemple, mes programmations et mes distributions (85% d’artistes résidents en France) dans mon projet pour l’Opéra de Dijon sont intégralement faites jusqu’à la saison 28-29.  Mais un directeur doit aussi être un excellent gestionnaire d’équipe, proche des salariés de l’Opéra sans qui absolument rien n’est possible tout en étant un véritable interlocuteur entre les politiques locaux et les tutelles soutenant le théâtre. Enfin il doit avoir conscience de la valeur de l’argent public dont il est le seul garant de la transparence et de la bonne utilisation.

Vu d’Ailleurs : Allex Aguilera, ces prochains jours, vous vous envoler pour la Sardaigne où vous allez reprendre votre production de La Favorita de Donizetti créée en 2018 au Teatro Massimo de Palerme. En quoi cette mise en scène est-elle spéciale à vos yeux ?

Allex Aguilera : La scénographie est fondamentale pour moi. Quand j’ai commencé dans ce métier, les mises en scène avaient déjà amorcé un virage vers la modernité. On n’avait plus un décor différent pour chaque acte, avec tout ce que cela impliquait : changements complexes, décors souvent très lourds, davantage de répétitions techniques, etc. Cela dit, lorsque le Teatro Massimo m’a proposé une mise en scène « à l’ancienne », en hommage au XIXe siècle, avec de somptueux costumes et des toiles peintes magnifiquement réalisées par Francesco Zito, j’ai immédiatement vu là une belle occasion d’apprendre à faire du théâtre « comme on ne le fait plus ».

Vu d’Ailleurs : La technique de la toile peinte est-elle aussi désuète que voudrait le faire croire un bon nombre de professionnels du milieu de l’Opéra en France ?

Je ne comprends toujours pas cette réticence envers les toiles peintes. On peut faire des choses très modernes avec cette technique. Ce sont les mentalités qu’il faut faire évoluer. On ne peut pas mettre de côté un art aussi sublime simplement parce que le Regietheater est à la mode un peu partout. Le beau ne devrait jamais prendre sa retraite. On a encore le droit de rêver. Bien sûr, il y a de la place pour tous les types de spectacles. Moi-même, je fais des choses très modernes. Mais je peux dire que j’ai eu la chance, au moins une fois, de pouvoir mettre en scène avec cet art magnifique. Et je suis très heureux de pouvoir le refaire aujourd’hui au Teatro Lirico di Cagliari, cette fois-ci dans sa version italienne.

Vu d’Ailleurs : Une dernière question commune à tous les deux. Si vous deviez choisir une rencontre qui a marqué votre vie personnelle et professionnelle, qu’elle serait-elle ?

Julien Dumarcey : Cette question est difficile car je pense instantanément à deux personnes qui m’ont marqué à jamais. Le premier est Hugues Gall car depuis mes quatorze ans, j’ai grandi avec son emprunte qu’il a laissé sur le Grand Théâtre de Genève. Plus tard en 2015, j’ai eu l’immense honneur de le rencontrer chez lui, à Paris, dans son appartement qui donnait face aux Invalides. Il avait pris soin de lire avec attention  le dossier de mon projet de festival et m’avait dit : « Cher ami, vous serez un jour directeur d’opéra ! ». S’en est suivi quasi dix années d’amitiés ponctuée de précieux conseils même quelques semaines avant sa disparition. Le deuxième, c’est le baryton italien Leo Nucci. J’ai fait sa première classe de maître à Paris en 2011 et je me souviendrais toujours de la gentillesse, de la passion mais surtout de l’humilité qui émanait de ce grand artiste.

Allex Aguilera : Ceux qui me connaissent bien savent que le Grand Théâtre de Genève a marqué à tout jamais le début de tout. Mais aussi – et je n’ai aucun préjugé à l’avouer – Hugues Randolph Gall. Il m’a offert l’opportunité de me développer et de m’épanouir dans ce métier. Sans son soutien et ses précieux conseils à chaque étape de ce long parcours artistique, je ne serais jamais devenu ce que je suis aujourd’hui, tant sur le plan professionnel que personnel. Quel grand homme il fut.

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