Les mensonges de l’Amérique Par Jean-luc Basle
C’est une affaire entendue : les dirigeants politiques mentent. Ils mentent à leur peuple. Ils mentent sur la scène internationale. Si le rire est le propre de l’homme, le mensonge l’est aussi. Les dirigeants américains mentent. Ils le font quasiment en toute impunité grâce à la complicité des médias. Fort heureusement, parfois la vérité éclate fortuitement ou grâce aux révélations de lanceurs d’alertes comme Edward Snowden, exilé en Russie, de journalistes d’investigation comme Julian Assange, emprisonné à Londres, ou de personnes courageuses qui ne supportent pas ces mensonges comme Chelsea Manning, emprisonnée pendant sept ans pour avoir dévoilé les exactions américaines en Irak. Ces derniers jours, quatre mensonges américains ont été révélés ou confirmés : Russiagate, le dossier Twitter, les Accords de Minsk et Nord Stream II. Nous les reprenons brièvement.
L’affaire Russiagate n’est plus une « affaire » depuis l’enquête de Robert Mueller qui concluait en 2019 que le dossier était vide. Mais, comme le note Patrick Lawrence[1], les médias en ont donné un compte-rendu si biaisé que le lecteur non-averti pourrait croire que l’affaire n’était pas close. Fort heureusement, Jeff Gerth, ancien journaliste du New York Times, aujourd’hui retraité, a rouvert le dossier pour le clore définitivement. Il n’y a rien de vrai dans les élucubrations des médias qui prétendaient, à l’instigation d’Hillary Clinton, que Donald Trump, son concurrent à l’élection présidentielle, était un agent des Russes ou soudoyé par eux.
La seconde affaire, connue sous le nom de Twitter files, concerne Hunter Biden, le fils du président. C’est une histoire pour le moins rocambolesque mais dont on sait aujourd’hui qu’elle est véridique grâce aux révélations du New York Post, d’Elon Musk, patron de Twitter, et de Matt Taibbi[2], journaliste d’investigation. L’affaire paraît à peine croyable. Suite à un dégât des eaux, Hunter Biden remet son ordinateur à un réparateur… sans jamais le réclamer. Or, le disque révèle – outre une vidéo montrant le fils du président fumant du crack tout en faisant l’amour avec une femme – qu’il a présenté un dirigeant de la société gazière ukrainienne Burisma[3] à son père afin qu’il intervienne pour que soit limogé le procureur qui enquête sur l’entreprise… ce qui fut fait. Or, suite à la reprise de Twitter par Elon Musk, on apprend que des dirigeants du réseau social s’autocensuraient pour que rien ne transparaisse sur cette affaire. Elle est aujourd’hui entre les mains de la justice américaine.
La troisième affaire n’est pas américaine à proprement parler puisqu’elle concerne le Protocole de Minsk, signé le 5 septembre 2014 par la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, et dont l’objet était de ramener la paix en Ukraine après la « Révolution Maidan » de février 2014. Surprise. Pour soulager sa conscience, Angela Merkel nous apprend récemment qu’il ne s’agissait pas d’un accord de paix mais d’une manœuvre destinée à donner du temps à l’Ukraine pour se préparer à la guerre contre la Russie. Les Etats-Unis n’ont rien à voir dans cette affaire, direz-vous. Peut-être. Mais, ne sont-ils pas à la manœuvre depuis le sommet de Bucarest d’avril 2008 quand ils ont proposé à leurs alliés d’inviter l’Ukraine et la Géorgie à rejoindre l’OTAN. Difficile d’imager qu’ils ne soient pas impliqués dans cette affaire… ou Angela Merkel est machiavélienne et cynique – traits de caractère qu’on ne lui connaissait pas. Rappelons que Victoria Nuland est secrétaire d’Etat assistante pour l’Europe et l’Eurasie, quand éclate la Révolution Maidan. Elle est restée célèbre pour son « Fuck Europe !» qu’elle prononça alors.
Le quatrième mensonge, ou non-dit, concerne le sabotage de Nord Stream II, le gazoduc de la mer Baltique destiné à transporté du gaz de la Russie à l’Allemagne. Personne ne sait qui en est le perpétrateur. Un temps la Russie fut mise en cause, mais devant l’incongruité de l’accusation, la chose fut vite oubliée. Les soupçons se sont alors portés sur la Grande-Bretagne. Nous savons aujourd’hui, grâce à Seymour Hersh, le journaliste d’investigation qui jadis révéla au public américain le massacre de My Lay[4], que l’auteur n’est autre que Joe Biden, assisté de son équipe de politique étrangère : Tony Blinken, Victoria Nuland et Jake Sullivan.[5] Lors de la conférence de presse du 7 février 2022, suite à sa rencontre avec Olaf Scholz, Biden ne fait pas mystère de son intention de détruire le gazoduc. Voilà ce qu’il dit en réponse à une question directe[6] : « si la Russie envahie l’Ukraine, Nord Stream 2 sera détruit. » Visiblement embarrassé, le chancelier allemand botte en touche lorsqu’on l’interroge sur le même sujet. Détruire l’infrastructure d’une nation est un acte de guerre.[7] Cet acte a été commis sans l’aval du Congrès qui seul peut déclarer la guerre (Art. I, section 8 de la constitution américaine).
Peu me chaut ces mensonges d’antan, objecterez-vous, aujourd’hui l’Ukraine est l’affaire d’importance. Mais, c’est précisément là où ils prennent tout leur sens. Ils concernent l’Ukraine et la Russie. Souvenez-vous, James Baker, secrétaire d’État[8] de George Bush père, promit à Mikhaïl Gorbatchev, en échange de son accord sur la réunification de l’Allemagne, que l’OTAN n’avancerait pas d’un « pouce » à l’est. Nous savons ce qu’il advint de cette promesse ![9]L’OTAN avait alors 16 membres. Elle en compte désormais 30, dont une grande part à l’est de la frontière allemande – hormis l’Albanie, la Croatie, le Monténégro, et la Macédoine du nord. La guerre en Ukraine ne tournant pas à l’avantage de Kiev, le Washington Post[10] a annoncé récemment que les Etats-Unis étaient prêts à négocier un accord avec la Russie. Depuis les choses ont avancé. Les Américains parlent désormais d’une « Korean Solution » – un armistice qui mettrait fin à la guerre, en référence à la guerre de Corée. Mais comment imaginer que les Russes apposent leur signature sur un document officiel alors que les Etats-Unis ont non seulement renié leur parole à maintes reprises, mais les ont humiliés avec le reniement de la parole de James Baker et du Protocole de Minsk, qu’ils avaient dans les deux cas pris pour argent comptant ?
Cela augure mal d’un quelconque accord de paix en Ukraine.
JEAN-LUC BASLE
Ancien directeur de Citigroup New York, auteur de « L’Euro survivra-t-il ? » (2016) et de « The International Monetary System : Challenges and Perspectives » (1982)
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[1] “The press reckoning on Russiagate”, February 7, 2023.
[2] “Capsule summaries of all Twitter files threads to date, January”, 4th, 2023.
[3] Hunter Biden a siégé au conseil d‘administration de Burisma de 2014 à 2019.
[4] Le 16 mars 1968 au Vietnam.
[5] “How America took out the Nord Stream Pipeline”, 9 février 2023
[6] “Remarks by President Biden and Chancellor Scholz of the Federal Republic of Germany”, 7 février 2022
[7] Un acte de guerre contre la Russie puisque Gazprom, société gazière du gouvernement russe, détient 51% des actions Nord Stream II.
[8] Ministre des Affaires étrangères.