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Les explications de Mélody Mock-Gruet sur les QAG

En quelques mois, les Questions au Gouvernement (QAG) ont beaucoup changé. Afin de redynamiser l’outil et de repeupler les bancs des députés qui avaient tendance à se vider, une première expérimentation a été testée sur proposition de la Présidente de l’Assemblée nationale, 14 novembre 2023 revenant au rythme de deux séances par semaine. Depuis, la séance du mardi a lieu à 15h, comportant 18 questions et devant s’achever à 16H15. Une autre séance est prévue le mercredi à 14h, durant 45 minutes et permettant 10 questions (une par groupe).  A partir du mercredi 3 avril, la formule du mercredi change encore. Le Premier Ministre (PM) serait invité à y répondre personnellement aux députés. Une première en France.

Historique

Il a fallu un certain temps à la Vème République pour instaurer les QAG sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. En 1968, Jacques Chaban-Delmas, alors Président de l’Assemblée nationale, a souhaité dynamiser les séances de questions en proposant une nouvelle forme sans débat, les questions d’urgence, nommées par la suite questions d’actualité. Elles ont été remplacées en 1974 par les questions au Gouvernement. L’idée de « réserver chaque mercredi, en début d’après-midi, une heure pour des questions d’actualité, qui seraient posées à égalité de temps, et suivant une procédure à définir, par la majorité et par l’opposition » a été suggérée par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing, nouvellement élu, dans son message adressé au Parlement du 30 mai 1974. Le choix du mercredi après-midi s’avérait judicieux puisque la séance succédait au Conseil des ministres et que les députés étaient majoritairement présents à Paris ce jour-là.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 48 alinéa 6 de la Constitution dispose qu’ « une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement ». 

Procédure

La séance de QAG n’a cessé d’évoluer, de la Vème à la XVIème législature. L’article 133 du RAN pose les règles : la Conférence des présidents fixe la ou les séances hebdomadaires consacrées. La durée des QAG relève également de la Conférence des présidents, et rien n’empêche de réduire cette durée à 1h par semaine ou de l’augmenter à 3h. À partir du 28 septembre 1995, deux séances d’une heure sont organisées le mardi et le mercredi à 15 heures. La réforme du Règlement de l’Assemblée nationale de 2019 a regroupé les deux séances en une séance unique de deux heures, le mardi de 15 heures à 17 heures. Le Sénat a alors pris le créneau du mercredi 15h pour une séance de 1H15.

La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale du 14 novembre 2023 est revenue au rythme de deux séances par semaine. Le bilan de cette expérimentation prévu le mercredi 14 février 2024 l’avait prolongé jusqu’à la fin de la session. 

Encore une nouvelle formule

Le PM est invité à répondre personnellement aux députés au cours de cette séance. Les présidents de groupe ont souligné la nécessité d’un équilibre dans la répartition du temps de parole entre le PM et les députés. Cette formule entre en vigueur dès le mercredi 3 avril pour une durée de 5 séances, soit jusqu’au mercredi 29 mai inclus.

Yaël Braun-Pivet avait proposé cette idée à Elisabeth Borne qui avait refusé. Ce format est inspiré de la pratique anglaise, qui dure une demi-heure le mercredi, débutant par une question ouverte d’un dirigeant de l’opposition (Prime Minister’s Question time instituée en 1961). Le PM lui répond, le député pouvant poser jusqu’à six questions. La même procédure est renouvelée par l’autre patron de la deuxième force d’opposition.

La plupart des présidents de groupe se seraient opposés à cette nouvelle expérimentation : ceux des groupes Socialiste, Ecologiste, LFI et GDR étaient contre, tout comme ceux des groupe Horizons et Démocrate, pourtant membres de la majorité. Mais les quatre groupes favorables (Renaissance, LR, RN et LIOT) représentaient davantage de députés que les six autres. 

Problématiques

Une comparaison impossible avec la Grande-Bretagne ?

–       De fait, la multiplication des groupes à l’Assemblée nationale fait que l’exercice ne peut pas fonctionner comme en Angleterre. Il n’y a pas deux interlocuteurs de l’opposition mais une multitude. 

–       On a l’impression qu’il est de tradition française que les QAG transforment bien souvent l’Hémicycle en théâtre, les députés s’invectivant et n’attendant nullement la réponse du Gouvernement, utilisant des techniques pour se faire remarquer comme le carton rouge, ou encore le député Jean Lassalle, arborant en novembre 2018 un gilet jaune en soutien au mouvement. La pratique est d’ailleurs un peu différente au Sénat, dont le poids a été renforcé et qui n’a aucunement l’attention de laisser le créneau du mercredi au lieu du jeudi qu’il a réussi à décrocher.

Un renforcement ou plutôt une fragilisation du rôle du PM au Parlement ?

–       Le PM est le chef de la majorité. Mais en réalité la majorité est plurielle. Il y a un risque de fragilisation de l’alliance, si les groupes MODEM et Horizons en profitent pour marquer leur désaccord sur les choix stratégiques du Gouvernement.

–       Ce dispositif est un signe de respect vis-à-vis des oppositions. Mais le PM va être l’objet de toutes les attaques politiques des oppositions. Il ne peut plus, non plus, se défausser sur un membre du Gouvernement s’il ne souhaite pas répondre. Le groupe Horizons s’est d’ailleurs montré réticent au nom « d’un risque de désacralisation de la parole du Premier ministre, s’il est amené à répondre semaine après semaine à toutes les questions ».

La qualité des réponses sera-t-elle au rendez-vous ?

–       Le PM ne peut être spécialiste de tout. Les réponses vont perdre en pertinence. 

–       Dans une lettre aux députés du 14 février, Yaël Braun-Pivet a « insisté auprès du Premier ministre sur le fait que les réponses des ministres devaient être précises, exhaustives et spontanées. » Ce vœu pieux va à l’encontre même de la procédure des QAG. Il n’y a aucune obligation de transmettre au préalable les questions aux ministres. Même si en fonction de l’actualité ils se doutent de certaines questions, les ministres n’ont pas les moyens de répondre de façon précise, ne connaissant pas le contenu à l’avance, à la différence des questions orales sans débat. C’est encore plus compliqué pour le PM.

Ce format permettra-t-il un meilleur taux de présence des députés ? 

–       La première du PM va surement attirer les députés des différents groupes par curiosité. Mais rien n’est moins sûr pour la suite.

–       C’est surtout un problème structurel. La Présidente de l’Assemblée a demandé « une participation importante des députés [étant] également indispensable. » Il était déjà prévu qu’aucune réunion ne devait se tenir dans l’enceinte du Palais Bourbon aux horaires de séances. Mais l’horaire du mercredi 14h-14H45 est assez utilisé pour le travail parlementaire comme les rendez-vous des députés et il n’existe aucune obligation de présence à la différence de la commission du mercredi matin.

Sera-t-il forcément un moment très politique ?

–       On peut se demander si cette séance ne risque pas par la suite de se transformer en question orale sans débat, portant le plus souvent sur une problématique locale. Comment un député ne pourrait pas sauter sur l’occasion d’avoir la réponse du PM sur la fermeture d’une usine dans sa circonscription et avoir par la même occasion son engagement sur le fait que les emplois seront sauvés ?

–       On peut également s’interroger sur les tensions supplémentaires que vont créer ce format pour le président de groupe qui donne la QAG. Le peu de nombre de questions est déjà une frustration pour les députés d’un gros groupe. Cela sera d’autant plus compliqué pour l’attribution de celles du mercredi.

Ce format aura-t-il un impact sur les relations des membres du pouvoir exécutif ? 

–       â Ce procédé permet d’affirmer que le PM est bien le chef du Gouvernement. Mais il renforce par la même occasion le sentiment de verticalité alors même que le Gouvernement est collectivement responsable devant le Parlement : le ministre pourrait être vu comme un simple exécutant. Pourtant les ministres sont responsables de leur administration, ils ont également une responsabilité individuelle susceptible d’être encourue pour les actes détachables, du fait de leur responsabilité comptable et pénale.

–       Ce dispositif renforce l’idée d’un pouvoir exécutif dont les compétences sont partagées entre le chef de l’État et le chef de gouvernement, sans préjuger de l’importance respective de l’un ou de l’autre. Mais le Président de la République actuel a plutôt tendance (comme beaucoup de ses prédécesseurs) a une centralisation fonctionnelle et organisationnelle de la présidence de la République sur le Gouvernement. Cette nouvelle exposition du PM pourrait alors avoir un impact sur la relation du Président de la République et PM.

Quelles seront les modalités retenues ?

–       La répartition entre les groupes est normalement la même que celle qui était prévue les autres mercredis. Chaque groupe d’opposition a autant de questions que ceux de la majorité, sans aucun lien avec la proportionnalité des groupes.

–       Depuis la réforme de 2019, un droit de réplique a été instauré, permettant plus de vivacité dans la forme (tout en restant dans la limite des 2 minutes). Certains députés font donc une première question, courte pour avoir le temps de répondre au ministère suite à son intervention. Certains députés ont annoncé que le droit de réplique ne serait pas autorisé lors de la séance du mercredi, ne permettant pas au député de reprendre la parole après le PM.

–       Le PM sera-t-il limité le mercredi dans son temps de parole ? Les députés, comme les ministres ont 2 minutes maximum pour parler, sauf le Premier Ministre disposant d’un temps illimité selon l’usage. Il y aurait alors plusieurs difficultés : tout d’abord un décalage entre la riposte du PM qui pourrait faire des réponses fleuves face aux courtes réponses des députés, mais également de rythme, pouvant faire largement déborder le temps prévu pour les QAG. Le PM va peut-être s’auto-limiter pour ne pas trop déborder et pouvoir être présent aux QAG du Sénat qui a lieu juste après…

Même si dépoussiérer les QAG en transformant leur format semble une bonne idée, on peut s’interroger sur le succès de leur mise en œuvre. Il va surement y avoir un temps d’adaptation et des modifications possibles (nombre des questions posées par groupe, temps de parole…). Voici d’ailleurs une proposition : pour garder un côté vraiment politique et éviter les dérives d’une question orale sans débat, le format pourrait être composée : chaque groupe dispose d’une seule question formulée par son président ou sa présidente, le PM ayant exactement le même temps pour y répondre. Mais même avec cet encadrement on peut en douter…

Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire

de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac 

paru le 17 octobre 2023 aux éditions L’Harmattan

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