Les Etats-Unis et le nouvel ordre mondial de Brzezinski Par German Gorraiz Lopez
Wright Mills dans son livre L’élite du pouvoir (1956), indique que la clé pour comprendre l’agitation nord-américaine se trouverait dans la sur-organisation de sa société.
Ainsi, l’establishment serait « le groupe d’élite formé par l’union des sous-élites politiques, militaires, économiques, universitaires et médiatiques des Etats-Unis », des lobbies de pression qui seraient interconnectés par « une alliance agitée basée sur leur communauté d’intérêts et dirigée par la métaphysique militaire », un concept qui repose sur une définition militaire de la réalité et qui aurait transformé l’économie en une guerre économique permanente.
De son côté, Zbigniew Brzezinski, dans un article publié dans la revue Foreign Affair (1970), expose sa vision du «Nouvel Ordre Mondial» en déclarant qu’ «une vision nouvelle et plus audacieuse est nécessaire (la création d’une communauté de pays développés qui peuvent traiter efficacement les grands problèmes de l’humanité». Sa vision vient d’une théorie qu’il esquissera dans son livre Entre deux âges: Le rôle des Etats-Unis à l’ère technotronique (1971), où il explique que l’ère du rééquilibrage est arrivée pour la puissance mondiale, puissance qui doit passer entre les mains d’un nouvel ordre politique mondial basé sur un lien économique trilatéral entre le Japon, l’Europe et les Etats-Unis.
Dans le livre précité Entre deux âges (1971), il prône également le contrôle de la population par une élite à travers la «cybermanipulation» en déclarant: «L’ère technotronique implique l’apparition progressive d’une société plus contrôlée et dominée sans les contraintes des valeurs traditionnelles, il sera, donc, bientôt possible d’assurer une surveillance quasi continue de chaque citoyen et de tenir à jour des dossiers complets contenant même les informations les plus personnelles sur le citoyen, dossiers qui feront l’objet d’une récupération instantanée des autorités», qui préfigurerait déjà la mise en œuvre ultérieure du programme PRISM.
De même, dans un discours prononcé lors d’une réunion du Council on Foreign Relations (CFR), l’ancien conseiller de Carter prévenait que «la domination américaine n’était plus possible en raison d’une accélération du changement social portée par la communication instantanée qui a provoqué le réveil universel de la conscience politique des masses (Global Political Awakening) et qui s’avère préjudiciable à la domination extérieure comme celle qui prévalait à l’ère du colonialisme et de l’impérialisme». Donc, après l’échec de la tentative de contrôle par le programme PRISM, dans les années à venir années, nous assisterons à la fin de la démocratisation de l’information, avec l’impossibilité d’un accès direct au réseau dans le sillage des politiques restrictives mises en place par des pays comme la Chine, la Russie, la Turquie, la Thaïlande ou l’Iran.
Le 11 septembre et la dérive totalitaire des USA. Selon le Los Angeles Times, Brzezinski lors d’une audition devant la commission sénatoriale des relations étrangères en 2007, a expliqué qu’ «un scénario possible pour une confrontation militaire avec l’Iran implique un acte terroriste sur le sol américain dont l’Iran serait tenu responsable. Cela pourrait aboutir à une action militaire américaine «défensive contre l’Iran, qui inclurait l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan», d’où l’on déduit la possibilité d’une nouvelle attaque contre les Etats-Unis qui serait faussement attribuée à l’Iran pour provoquer son invasion et une dérive totalitaire ultérieure des Etats-Unis, similaire à celle enregistrée avec George W. Bush après le 11 septembre 2001. Ainsi, un mois après les attentats du 11 septembre, le gouvernement de George W. Bush a secrètement décidé d’annuler l’une des les principales protections constitutionnelles de ce pays (habeas corpus) à travers la loi dite USA-Patriot Act sous prétexte de sa lutte contre le «terrorisme» selon des documents officiels révélés fin 2005 dans une série de reportages du New York Times.
De même, le journal susmentionné rapportait l’existence du réseau d’espionnage électronique le plus sophistiqué au monde (le programme dit PRISM ou Big Brother), un outil de surveillance des communications des citoyens non américains à travers leurs métadonnées (un véritable monstre virtuel qui aurait étendu ses tentacules aux serveurs d’entreprises telles que Google, Apple, Microsoft, AOL, Facebook et Yahoo), programmes tous deux approuvés par le Congrès américain à la demande de l’administration Bush en 2007 mais qui, par inertie apathique, fut poursuivi sous le mandat Obama. Comme point culminant de cette dérive totalitaire des Etats-Unis, il y aurait la signature par Barack Obama de la Loi sur l’autorisation de la défense nationale (National Defense Authorization Act) qui permet aux autorités militaires de détenir indistinctement des citoyens américains partout dans le monde (sans préciser les charges qui lui ne sont imputées ni la durée de la détention). Barack Obama réserve son interprétation personnelle de l’article 1021 de ladite loi pour, selon ses propres termes, «s’assurer que toute détention autorisée sera effectuée conformément à la Constitution et aux lois de la guerre».
L’Europe. Zbigniew Brzezinski a expliqué dans le magazine National Interest en 2000, «les Européens seront plus immédiatement exposés au risque dans le cas où un impérialisme chauvin animerait à nouveau la politique étrangère russe» et esquissé un plan qui passerait par l’expansion de l’Otan à des limites insoupçonnées dans les années 1990 et à la mise en place du nouveau système européen de défense antimissile (Approche adaptative européenne progressive-EPAA). Ce système est, en fait, un bouclier antimissile global dans lequel des intercepteurs de missiles situés sur des plateformes mobiles peuvent abattre des cibles dans un espace commun (basé sur les données transmises par tous les radars et systèmes de reconnaissance optoélectroniques), avec l’objectif machiavélique, après une première attaque surprise des USA – qui détruirait le potentiel nucléaire russe sur son propre territoire- de pouvoir neutraliser ensuite la riposte au moyen des missiles stationnés en Pologne.
Dans un premier temps, la Russie et l’Otan ont convenu de coopérer à la création du bouclier antimissile pour l’Europe en novembre 2010 lors du sommet bilatéral de Lisbonne, car pour Moscou, il était vital que l’Otan offre de réelles garanties que ce système ne viserait pas la Russie et aurait un document juridiquement contraignant à cet égard. Mais, l’administration Obama, suite à l’inertie mimétique de l’administration Bush d’ignorer la Russie, a jusqu’à présent refusé d’offrir de telles garanties par écrit. Compte tenu du contexte actuel de guerre froide américano-russe, il est prévisible que les USA se décident enfin à achever la quatrième phase du déploiement du bouclier antimissile en Europe (IAMD) ce qui aurait pour réplique côté russe l’installation à Kaliningrad du nouveau missile balistique intercontinental – «le tueur de bouclier antimissile» des USA selon les mots du vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine – ainsi que la réactivation de la course aux armements entre les deux grandes puissances.
Doctrine du «choc des civilisations». En 1978, Zbigniew Brzezinski déclarait dans un discours: «Un arc de crise s’étire le long des rives de l’océan Indien, avec des structures sociales et politiques fragiles dans une région d’une importance vitale pour nous qui menace de se fragmenter. La Turquie et l’Iran, les deux Etats les plus puissants du flanc sud sont potentiellement vulnérables aux conflits ethniques internes et si l’un des deux venait à être déstabilisé, les problèmes de la région deviendraient incontrôlables». Il a fini de dessiner cette théorie dans son livre Le grand échiquier – L’Amérique et le reste du monde (1997), considérée comme la Bible géostratégique de la Maison Blanche ainsi que le livre de chevet des générations successives de géostratèges et de politologues. Pour Zbigniew Brzezinski «une collision américano-iranienne» aurait des effets désastreux pour les Etats-Unis et la Chine tandis que la Russie en sortirait grande gagnante. Rappelons que l’Iran a acquis une dimension de puissance régionale grâce à la politique erratique des Etats-Unis en Irak.
L’objectif de Zbigniew Brzezinski est aussi la confrontation avec l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), fondée en 2001 par les Cinq de Shanghai (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan). La Doctrine Carter inspirée par lui (1980), avait pour objectif la mise en place au Proche et Moyen-Orient du soi-disant «chaos constructif», basé sur la maxime attribuée à l’empereur romain Jules César «diviser pour régner». Zbigniew Brzezinski était d’avis que la vraie puissance dans le monde est la Russie et la Chine, les seuls pays ayant une réelle capacité à résister aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et sur lesquels ils devraient concentrer leur attention.
Germán Gorraiz López, analyste politique
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