Les crédits faciles renforcent les pouvoirs des multinationales Par Charles Hugh Smith
Ceux qui ont accès au crédit facile, peuvent surenchérir sur les petits emprunteurs et ainsi accaparer le capital productif.
Une conséquence peu remarquée des politiques des banques centrales de taux d’intérêt proches de zéro et de l’assouplissement quantitatif est la domination du capital mondial mobile, celui des grands groupes internationaux.
La source du pouvoir politique des multinationales est leur capacité à emprunter des sommes d’argent illimitées pour une bouchée de pain : ce que j’appelle de l’argent gratuit pour les financiers.
Fort du crédit illimité fourni par les banques centrales, le capital mondial peut toujours faire une meilleure offre d’achat que les épargnants et les entreprises d’un seul pays. Avec le temps, les entreprises rentables et les actifs productifs finissent entre les mains des grands groupes.
Prenons l’exemple d’une exploitation agricole familiale typique, que ce soit aux Etats-Unis, en Allemagne, en Australie, etc. Il est très difficile de gagner sa vie en cultivant la terre dans un marché dominé par une poignée d’entreprises géantes mondialisées et de leurs hommes de main locaux. Il n’est donc guère surprenant que beaucoup d’agriculteurs de la génération suivante aient opté pour des emplois en entreprise en zone urbaine plutôt que d’endosser les risques financiers de reprendre l’exploitation familiale.
Certes, un agriculteur voisin pourrait se montrer intéressé pour racheter l’exploitation mais il devra emprunter l’argent à (par exemple) 4%.
La concentration des terres agricoles dans les mains des grands groupes
L’entreprise internationale, elle, peut vendre des obligations (c’est-à-dire emprunter de l’argent) à moins de 1%. Ce coût inférieur du capital permet à notre multinationale de proposer une meilleure offre de rachat que les agriculteurs locaux. Cet emprunt bon marché lui permet également de financer les économies d’échelle, qui sont hors de portée des exploitations agricoles familiales.
Le résultat est que les terres agricoles du pays, son actif productif essentiel, tombent inévitablement entre les mains des multinationales. Celui qui voudrait résister et ne pas vendre est écrasé par les prix bas (les fermes constituées en sociétés peuvent produire de façon intensive et survivre à des prix bas, les familles ne le peuvent pas). Ou alors ils sont écrasés par les inconvénients d’être des marginaux vendant aux chaînes d’approvisionnement des grands distributeurs qui favorisent les fournisseurs internes ou de grands producteurs.
La même dynamique — le pouvoir inégalable du crédit bon marché — conduit à un contrôle des multinationales qui ensuite financent leur domination politique.
Prenons un exemple : vous souhaitez construire une maison pour vous et votre famille. Vous aurez besoin d’en financer la construction et puisque cela est plus risqué qu’un emprunt immobilier conventionnel pour acheter une maison déjà existante, vous devrez payer un taux entre 4% et 5% et quelques milliers de dollars de frais.
Un promoteur peut emprunter à 1%. Devinez qui a les coûts de construction les moins chers ?
La concentration mène à la cartellisation
A mesure que les multinationales rachètent les actifs productifs, elles s’organisent en cartels et quasi-monopoles qui peuvent être protégés de la concurrence par du lobbying et des contributions à des campagnes électorales.
Une fois que vous pouvez rafler tous les actifs productifs avec de l’argent emprunté à bas coût, les bénéfices commencent à s’accumuler et vous pouvez utiliser une petite partie de ces bénéfices pour engager des lobbyistes et acheter des faveurs ou une protection politique auprès de responsables politiques désespérément accrochés au pouvoir.
Le résultat du crédit illimité aux entreprises est un pouvoir financier et politique des multinationales qui ne cesse de s’étendre.
Le résultat de ce contrôle de la gouvernance est que les gouvernements vont et viennent, les candidats vont et viennent, les mouvements politiques vont et viennent mais les multinationales restent au pouvoir.
Si les taux d’intérêt étaient à 10% pour tout le monde, les individus et les petites entreprises disposant d’économies pourraient surenchérir sur ces grands groupes, qui sont généralement écrasés lors des récessions par les paiements des intérêts de leurs prêts. Avec des taux d’intérêt nuls, les multinationales peuvent surenchérir sur les épargnants, les ménages et les petites entreprises, qui ne peuvent pas emprunter des milliards de dollars pour presque rien auprès des banques centrales.
Si on me prête 10 milliards de dollars à un taux d’intérêt annuel de 0,25%, je pourrai moi aussi acheter quelques actifs rentables. N’importe qui peut devenir honteusement riche s’il a un crédit illimité à un taux annuel de 0,25% (c’est-à-dire essentiellement de l’argent gratuit).
Finalement, la domination du capital mondial n’est pas d’ordre financier mais politique.
La population et ses élus ont deux choix : soit permettre aux grandes entreprises de dominer (via les politiques des banques centrales) ; soit retirer aux banques centrales leur pouvoir de créer cette domination.
Le choix nous appartient— ou plutôt nous appartenait.
Il n’est guère étonnant que la fraude électorale soit l’outil de prédilection des lèche-bottes politiques des grands groupes américains. Il est bien trop dangereux de laisser le ” petit peuple ” prendre des décisions politiques. Il pourrait évincer les banquiers centraux et, si c’était le cas, les multinationales et leurs caniches politiques connaîtraient un déclin inévitable puisque les robinets d’argent gratuit seraient fermés.
Si vous détruisez ces cartels du capitalisme de connivence, sous perfusion de dettes, vous détruisez le statut quo.
Peu importe la façon dont on interprète le Brexit — un théâtre de Kabuki joué par des initiés du Deep State (le ” gouvernement de l’ombre “), un stratagème politique qui a déraillé, une explosion détestable de xénophobie, une rébellion de la ” classe oubliée ” qui a beaucoup perdu dans le boom de la Grande Financiarisation, une résurgence du nationalisme — quelle que soit l’interprétation ou la combinaison de facteurs que vous préférez, le résultat est le même : le Brexit reflète un état précaire, une tectonique politique en mouvement qui menace le statu quo.
Le Brexit est un symptôme de la crise du capitalisme moderne. La version mondiale actuelle du capitalisme se caractérise par les dynamiques suivantes en concomitance :
1. Le remplacement de la croissance et des revenus réels stagnants par de la dette. (ce qui évite de lever des impôts)
2. Le remplacement des investissements productifs par la spéculation (c’est-à-dire la financiarisation).
3. Le remplacement du capitalisme de marché libre où ” tout le monde doit avoir un intérêt en jeu ” par le capitalisme de connivence où les élites protégées et privilégiées tirent bénéfices au détriment du plus grand nombre.
4. Le remplacement de la démocratie et de la propriété locale et décentralisée par la planification centralisée.
5. L’utilisation de la doctrine ” extend and pretend ” [étendre les maturités de la dette et prétendre que payer les intérêts ne pose aucun problème] pour masquer l’insolvabilité, les actifs toxiques et les prêts non performants plutôt que de traiter directement le surendettement via des dépréciations et des liquidations d’actifs compromis.
La soi-disant ” reprise économique ” mondiale dont on nous rebat les oreilles s’effrite comme un château de sable. Il n’est pas étonnant que les gestionnaires institutionnels, les hedge funds et les boursicoteurs soit se ruent tous vers des valeurs refuges, soit aient fréquemment le doigt nerveusement contracté sur le bouton ” vendre. ”
Si le secteur bancaire mondial n’est pas instable, alors pourquoi les titres bancaires coulent-ils ? Si les banques engrangent des bénéfices et accumulent du capital parfaitement garanti, pourquoi les investisseurs les vendent-ils ?
Si tout est si solide, pourquoi les capitaux spéculatifs recherchent-ils la bulle du jour ? Du cuivre au béton en passant par le bitcoin, le minerai de fer ou l’argent-métal, les capitaux spéculatifs passent d’un secteur casino à un autre, d’un jour ou d’une semaine à l’autre.
Si l’économie américaine n’est pas précaire, pourquoi alors le taux de croissance des nouvelles entreprises a-t-il chuté à un niveau jamais atteint depuis la Crise de 1929 ?
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