L’efficience: un enjeu essentiel pour les patients
Le système de soins doit être efficient pour que la ressource soit utilisée en priorité pour les malades afin de réaliser des soins de qualité. Cela signifie que la gestion du système de soins, les avantages en nature et autres dispositions sociales ne doivent pas cannibaliser la dépense consacrée aux soins eux-mêmes. Cela signifie aussi que pour un soin donné il faut être en mesure d’estimer la qualité de l’indication du soin, de sa réalisation et de son suivi immédiat avant de le payer. Cet objectif est loin d’être atteint dans les pays développés en raison de l’importance des dépenses inutiles . L’OCDE a récemment évalué les dépenses inutiles à environ 30 % de la dépense totale de soins . C’est non seulement considérable mais dans la mesure où ces dépenses sont soit obligatoires, soit préférentielles dans les choix des individus, cette dépense inutile ralentit l’économie, creuse les déficits sociaux et génère des complications secondaires parfaitement évitables.
Il y a plusieurs types de dépenses inutiles.
Les médicaments
Les français sont devenus très attentifs à la pollution environnementale. Hélas ils consomment beaucoup trop de médicaments et ne se rendent pas compte que les médicaments sont de puissants perturbateurs biologiques. C’est une habitude ancienne qui ne faiblit pas en raison essentiellement de la gratuité qu’il s’agisse d’un médicament vital ou d’un médicament inutile. Les prescriptions inappropriées, la sous utilisation des génériques et le gaspillage l’expliquent aussi. Les principaux traitements en cause sont les antalgiques, les anti-inflammatoires, les psychotropes, les antibiotiques, les anti-acides et les statines. Les complications et effets secondaires des médicaments inutiles sont considérables.
Les soins hospitaliers
Le recours à l’hospitalisation, les durées de séjour sont en France au dessus de la moyenne de l’OCDE. Pourquoi? Tout d’abord pendant longtemps (id est avant l’instauration de la T2A) les établissements avaient tout intérêt à faire de l’hospitalisme puisqu’ils étaient payés à la journée. Autrement dit les établissements médiocres étaient récompensés et les performants étaient pénalisés. Mais aujourd’hui les choses ont encore changé. L’hospitalisation doit être réservée aux traitements interventionnels et aux situations graves. Beaucoup d’interventions peuvent être faites en ambulatoire ou en soins externes. En moyenne, les pays développés dépensent 28% du total des dépenses de soins pour les patients hospitalisés, alors qu’en France c’est 47%. Chacun a pu le constater: les services d’urgence sont inondés de visites inutiles; les patients attendent à l’hôpital une place en soins de suite ou à domicile parfois pendant des semaines; peu d’établissements hospitalisent leurs patients programmés le matin de l’opération…
La fraude, les abus et la corruption
Qu’il s’agisse des prestations en espèces ou bien des professionnels la fraude est considérablement sous évaluée par les contrôles aléatoires. C’est pourtant sur ce système que l’assurance maladie (AM) base ses contrôles. Les données publiques de l’AM sont compilées dans le tableau N°1.
Fraudes à l’AM
Montant 2016 (€)
Pourcentage de la dépense
Fraude totale détectée (d’après l’AM)
245 millions
0,15%
Fraude totale estimée (d’après la littérature scientifique)
4,89 – 16,3 milliards (163 milliards de prestations)
3-10%
Fraude aux Indemnités Journalières (estimée par l’AM)
392 millions (12,9 milliards de prestations)
3%
Fraude des professionnels Infirmiers (estimée par l’AM)
1,337 milliard (7,863 milliards de prestation)
17%
Fraude des autres professionnels respectivement pour les kinésithérapeutes,
les transporteurs sanitaires (estimée par l’AM)
585 millions (5,847 milliards de prestations), 385 millions (4,807 milliards de prestations),
10 % et 8 %, respectivement pour les kinésithérapeutes,
les transporteurs sanitaires
Dans ce contexte, et en particulier parce que l’essentiel de la dépense de soins en France est sous la gouverne de l’État, il est intéressant d’étudier les objectifs des politiques de soins.
Lors du précédent quinquennat l’objectif affiché était de réduire les inégalités d’accès aux soins alors même que le déficit persistait. Engagés dans cette voie, les gouvernements de la présidence Hollande ont tenté tout d’abord de justifier cet objectif. Ne pouvant réellement le faire car le système de soins est confronté à un tout autre défi, ils se sont lancés dans des stratégies visant à supprimer toute avance financière, un pas vers un système totalement payé par le contribuable en tiers payant et sans distinction de la nature des soins. Cette politique n’a pu être menée à son terme puisque le tiers payant généralisé n’a pu être mis en œuvre. Au final cette politique de contrainte a aggravé l’aversion des jeunes médecins pour l’exercice libéral.
Le gouvernement d’Édouard Philippe a choisi manifestement une autre cible d’intervention de l’État. Considérant comme très solidement établi qu’il existe une dépense inutile considérable, il s’est fixé comme objectif de la diminuer. Quitte ensuite à redistribuer de la ressource une fois l’équilibre des comptes sociaux atteint. Comme nous l’avons vu il y a plusieurs types de dépenses inutiles. La question est de savoir si les décisions de l’état seront en phase avec la réalisation de cet objectif. Les mois à venir permettront de voir plus clair dans cette politique essentielle pour maintenir un système de soins efficient.
Guy-André Pelouze
Chirurgien des hôpitaux
http://www.port.ac.uk/media/contacts-and-departments/icjs/ccfs/The-financial-cost-of-healthcare-fraud.pdf
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2804462
http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ouvrage-2017-final.pdf
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4770922/
https://www.lenouveleconomiste.fr/20-a-30-de-depenses-inutiles-sante-62439/