Le journalisme, quatrième pouvoir ?
En théorie, selon la légende, le journalisme serait le fameux « quatrième pouvoir », celui de notre information et donc la source de la vigilance indispensable envers les autres pouvoirs. C’est un rôle essentiel dans une société disposant de quelque liberté. Or la crise des médias fait rage depuis une vingtaine d’années, largement due à la concurrence du numérique et du web, mais pas uniquement. A ce titre, le phénomène de Facebook et des blogs personnels a également bouleversé le paysage et les conventions en matière de métiers et de marché de l’information. Sans compter bien d’autres nouveautés et facettes encore, comme les encyclopédies en ligne et la messagerie instantanée.
Ce phénomène du bouleversement des médias n’est pas en soi une attaque ou remise en cause du journalisme, ce n’est qu’une mise en concurrence des médias au sens littéral, au sens du support vecteur de l’information. Internet et le web viennent casser l’organisation historique des journaux locaux en rendant négligeable le coût d’accès à n’importe quel journal online à l’autre bout du monde. Mais il faut encore des journalistes pour créer le contenu des journaux en ligne – ou papier ?
On a donc une révolution en matière de concurrence. La mise en ligne des journaux fait que chacun a soudain un choix de lecture considérablement multiplié. Là où l’on pouvait choisir entre 5 à 10 quotidiens, on dispose soudain de centaines de titres pour peu qu’on parle 2 ou 3 langues. Ce faisant, les mauvais disparaissent, et c’est tant mieux. Mécaniquement, le nombre de journalistes suit la baisse du nombre de titres. Vient en plus la concurrence des blogueurs, des « nouveaux médias » et réseaux sociaux. Puis vient la seconde concurrence, celle du contenu, question plus fondamentale.
La qualité et la pertinence du contenu est déterminante, les blogs et autres nouveautés numériques ne changeant rien à ce critère. C’est là l’enjeu de la concurrence à l’échelle mondiale du marché de l’information. C’est d’une grande banalité : le journaliste n’est qu’un acteur économique comme les autres. On décide d’investir dans une lecture. Il faut donc qu’on y voit un intérêt. Et le journaliste ou blogueur doit répondre à cet intérêt. Et le quatrième pouvoir dans tout cela ?
Le terme de journaliste recouvre en fait des rôles, fonctions, activités, qualités très variées et très différentes, qui vont de la simple reprise d’annonce d’agence de presse à l’éditorialiste à la limite du philosophe en passant par l’animateur de shows médiatiques. Le blogueur dans cette réalité n’est qu’une nouvelle variante pour le lecteur. Le fait que l’un ait une carte de presse, soit passé par une école de journalisme et probablement pas l’autre ne change pas grand-chose à l’affaire. In fine, il transmet une information qui répond ou pas à une attente des lecteurs. Le lecteur ne juge qu’à travers le prisme de la qualité de la réponse à son attente, pas celui du statut – ou rarement. Son rôle réel, non idéalisé, n’est donc pas un contre-pouvoir, mais une source d’informations qualifiées.
Le journalisme, collectivement, peut plus probablement jouer ce rôle de quatrième pouvoir. Mais à condition d’être véritablement indépendant des autres pouvoirs, justement. Or aujourd’hui, en France mais aussi à bien des égards à l’étranger, le journalisme collectivement ne joue plus son rôle d’aiguillon du pouvoir, et depuis très longtemps. Depuis que les subventions le musellent. La mode est même à aiguillonner le capitalisme à la place – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais le problème c’est d’oublier le reste. Il est ainsi frappant que la presse ne s’intéresse désormais plus à la liberté des Lumières et se trompe à ce point en matière d’égalité, pour être à « 94% de gauche » (Référence à un article paru dans Libres ! et à un sondage publié par Marianne, le 23/04/2001).
Le rôle du journalisme consiste donc à vendre de l’information à qui veut l’entendre. Point. Ce n’est pas de servir de manière institutionnelle ni de manière garantie de « quatrième pouvoir », qui serait l’aiguillon du pouvoir, justement. Il n’y a pas de rôle institutionnel du journalisme et c’est très bien – les gens peuvent et même doivent ainsi réfléchir par eux-mêmes. Libres des infos subventionnées.
En fait, ce contre-pouvoir supposé réside désormais dans la liberté et l’indépendance des autres « pouvoirs » qu’Internet et son marché libre de l’information offrent. Pourvu que ça dure.
Une crainte que beaucoup expriment tient à la garantie de compétence qui serait associée à la formation du « journaliste ». Vu le constat s’agissant du journaliste moyen, cette « garantie » semble loin d’aller de soi. Si en France il y a des écoles de journalisme, avec en point d’orgue l’orgueilleuse Science Po, ce n’est pas la règle partout et cela ne semble pas empêcher les pays du monde d’avoir des journalistes – plus ou moins – dignes de ce nom. La compétence dans ce domaine comme dans d’autres se voit au pied de l’ouvrage et se juge par ses pairs et surtout par le marché. Heureusement, il y a de nombreux autodidactes devenus de grands journalistes, la compétence suit divers chemins.
De plus, le cas de Science Po est proche de la caricature. Quand on voit combien de journalistes en France sont profondément incompétents en matière de sciences politiques et surtout d’économie, on en vient à douter de l’intérêt de les avoir faits passer par ce sanctuaire d’un modèle dépassé.
L’autre grande question, directement liées à la précédente, touche aux critères qui font la confiance accordée aux informations. En pleine période post-campagne Clinton-Trump, le sujet des fameuses « fake news » est un sujet brûlant, où même les réseaux sociaux contribuent au trouble. La réponse est assez simple en fait, et dépend peu du simple vecteur qu’est le journaliste : il n’y a aucun moyen systématique de distinguer les faux, sauf exceptions. Mais il est important au moins de savoir faire le lien entre la catégorie de l’information et l’attitude et la démarche à avoir envers sa vérification.
Par exemple, la majorité des « journalistes » sont formés à penser que tout le domaine de la théorie économique n’est pas une science et donc que tout y est relatif et largement fondé sur des opinions d’experts plus ou moins clairvoyants. Or il n’en est rien, la théorie économique autrichienne est tout ce qu’il y a de scientifique. Or les journalistes, mal formés, n’en soupçonnent même pas l’existence.
Et lorsqu’un journaliste est ainsi surpris à dire trop souvent des bêtises, il finit par perdre la confiance de ses lecteurs. Ce n’est pas plus compliqué. Ainsi, un journal porte une marque – Le Canard Enchaîné, par exemple. Cette marque est porteuse de confiance et chaque article de chacun de ses journalistes vient entretenir – ou ternir – cette image, chaque jour. La compétence fait tout.
Enfin, il convient de s’inquiéter de la pluralité et de l’indépendance des capitaux qui financent. Le risque n’est pas tant qu’un « journaliste » dise du bien de Microsoft, de Google ou de Total si ceux-ci le financent en partie. Ce serait de la publicité sous un autre nom, et le tricheur sera vite repéré. Par contre, celui qui flatte un Hollande, un Mélenchon voire un Lénine est un plus clair danger. Et c’est dans ce domaine de la collusion avec le politique que la question des finances est la plus aiguë.
Le problème financier du journalisme n’est pas son indépendance des capitaux privés, mais son indépendance des subventions étatiques qui ligotent sa critique du pouvoir politique. Or quand on regarde la part des subventions dans les revenus de la presse en France, on a vite compris qu’il n’est possible d’imaginer aucun média « mainstream » en capacité de critique du pouvoir. Quelle surprise.
Citations
« Le grand ennemi de la vérité n’est très souvent pas le mensonge – délibéré, artificiel et malhonnête – mais le mythe – persistant, persuasif et irréaliste. » — John Fitzgerald Kennedy
« Si l’on était responsable que des choses dont on a conscience, les imbéciles seraient d’avance absous de toute faute. … l’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance. L’ignorance est une faute. » — Milan Kundera
« En des temps de tromperie, dire la vérité est un acte révolutionnaire. » — Georges Orwell
« Dans la Pravda, il n’y a pas la vérité, dans les Izvestia, il n’y a pas les nouvelles. » — Proverbe soviétique
« Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent ! C’est pire ! » — Coluche