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« la liberté d’expression », sorte d’icône sacrée. Quelle mouche a donc piqué M. Riss de repartir en croisade contre ce qu’il nomme les « fanatiques » se réclamant du Coran et les « culs-bénis »

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La liberté d’expression est bien tolérante depuis quelque temps ; elle a même « le dos large », selon une expression populaire. N’admet-elle pas aujourd’hui toutes les expressions, y compris celles de la bêtise, de la médiocrité et de la méchanceté. On le voit chaque matin sur les réseaux sociaux, qui regorgent d’expressions nauséabondes et calomnieuses. On le voit dans une certaine presse, qui se flatte de tout dire, à n’importe qui, tout le temps.

Mais on appelle cela : « la liberté d’expression », sorte d’icône sacrée. Quelle mouche a donc piqué M. Riss de repartir en croisade contre ce qu’il nomme les « fanatiques » se réclamant du Coran et les « culs-bénis » – sans autre précision (je suppose qu’il désigne ainsi les fidèles catholiques) ?

On pourrait bien sûr invoquer « le principe d’opportunité » pour condamner les propos incendiaires du satiriste et se demander, ce que font d’ailleurs nombre de nos concitoyens, si, en cette semaine du premier anniversaire des attentats contre Charlie Hebdo, le moment était bien choisi pour déclencher une nouvelle polémique autour du fait religieux. Mais je n’invoquerai pas ici ce principe, qui serait lié la parole à une conjoncture, dont on pourrait toujours démontrer qu’elle n’est pas favorable à l’émission d’un propos particulier.

Nous n’avons dans l’escarcelle du débat que quatre mots ou groupes de mots : « laïcité », « liberté d’expression », « respect des croyances » (religieuses, dans le cas présent) et « droit au blasphème ». Quatre mots ou groupes de mots qui semblent hiérarchisés. Le premier forme le cadre. Les trois autres la substance, dans le classement suivant : 1) liberté d’expression 2) droit au blasphème 3) respect des croyances.

Personnellement, j’ai une trop noble conception de la liberté d’expression, droit fondamental des hommes, pour accepter qu’elle soit ainsi, jour après jour, dévoyée. Qu’est-ce que cette liberté en effet ? Elle n’est, de mon point de vue, ni la liberté de tout faire, ni la liberté de faire n’importe quoi : ce n’est pas une liberté « gratuite », c’est une liberté intelligente, « raisonnée », et donc raisonnable.

Certes, la loi borne déjà cette liberté, sanctionnant pénalement l’injure ou les discriminations. Faut-il aller plus loin ? Peut-être pas. Cela suppose alors de renvoyer chacun au sens de ses responsabilités. L’homme, et c’est sa grandeur, doit savoir, sans contrainte, jusqu’où ne pas aller trop loin. Certes, j’entends la sempiternelle objection : mais si l’homme ne peut tout dire, tout écrire, c’est la porte ouverte à la censure. Non, c’est seulement la porte ouverte à la blessure. Il n’y a pas de liberté d’expression qui vaille sans le respect de la croyance d’autrui. Le vivre ensemble suppose, impose même, le respect inconditionnel d’autrui, de ses croyances. Faut-il rappeler qu’il n’y a de société que dans la convivialité, d’humanité que par la raison réfléchie, d’individualité acceptable que dans l’adhésion à de robustes postures généreuses et fraternelles ?

Mais attention, le respect des croyances (religieuses en l’espèce) ne doit pas, lui-même, davantage dépasser les bornes. Toute croyance, dès lors qu’elle exprime le fanatisme, l’intolérance, doit être combattue.

C’est donc dans l’équilibre, dans la reconnaissance d’un relativisme, et de la liberté d’expression, et du respect des croyances que réside la solution à nos malheurs sociaux.
Pour conclure, je dirai que j’ai une trop noble conception de la démocratie pour tolérer les propos « laïcards-ringards » de journalistes en mal de quoi au juste ? De reconnaissance médiatique ? D’argent pour un journal – qui a priori n’en manque plus ? Je dirai encore que la laïcité n’a pas vocation, à mes yeux, à se constituer en « idéologie radicale », blessant, à tout va, qui n’est pas elle. Elle doit avoir l’esprit de synthèse et de concorde. Qu’elle abandonne donc ses « airs supérieurs », et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes laïcs possible.

Michel Fize est sociologue, ancien conseiller régional d’Ile de France. Auteur des Interdits, fondement de la liberté, Presses de la Renaissance, 2007


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