LA BAISSE DU TAUX DE CHOMAGE PASSE-T-ELLE PAR LA FLEXIBILITE DU CONTRAT DE TRAVAIL
Tous les regards, étrangers comme français, sont maintenant braqués sur les réformes, jugées prioritaires, qui vont pouvoir être apportées par la France pour assouplir son marché du travail. Le gouvernement et les partenaires sociaux confrontent leurs projets où la flexibilité du contrat de travail et l’assouplissement des procédures de licenciement fait débat.
Sur la nécessité d’une réforme du marché du travail, on peut difficilement reprocher au gouvernement de n’être pas clair. La ligne était fixée dès juin avec une feuille de route pour les partenaires sociaux sommés de négocier sur quatre problématiques. En septembre ce document est précisé de façon très directive par Michel Sapin, lequel vient de réitérer ses exigences [1] en rappelant qu’il ne restait aux négociateurs plus qu’un mois pour aboutir, avec décision pour la fin mars, et qu’il leur était demandé de ne pas se contenter d’accords minimalistes. Le Medef a récemment présenté un document préparatoire de 9 pages qui en reste encore, excepté sur la procédure de licenciement collectif, à des têtes de chapitres. Les syndicats réagissent en ordre dispersé. Nous tentons de faire le point, mais, compte tenu de la discrétion confuse qui enveloppe les négociations, l’interprétation des augures reste hasardeuse, et pour le moment nous continuons à nous méfier des ides printanières…
- le projet du Medef : « Sécurisation de l’emploi »
La nécessité d’un accord national
C’est le premier message de Michel Sapin : il faut un accord au niveau national pour éviter l’éventualité de décisions anarchiques ou déséquilibrées au niveau des entreprises. On suppose que cela signifie que les entreprises ou les branches ne pourront pratiquer la flexibilité que dans un cadre rigide déterminé au niveau national. C’est une nouvelle manifestation du mal français, marqué par la défiance, la tutelle de l’Etat et de la loi et de la rigidité au niveau du territoire (cf. le Smic). Tout l’inverse de la flexibilité allemande, qui descend en tout cas au niveau de la branche, souvent à celui de l’entreprise (cf. Volkswagen), et des revendications des entreprises françaises elles-mêmes. Qu’y aura-t-il dans cet éventuel accord national, nous n’en savons encore rien bien entendu.
Quelques entreprises se sont déjà lancées dans la signature d’accords particuliers : PSA pour son site de Sevelnord, Air France, Poclain Hydraulics. Ces accords prévoient des contreparties réciproques, tenant à l’acceptation par les salariés de réductions de salaires et d’une flexibilité dans les horaires ou la mobilité, en échange d’engagements sur le maintien de l’emploi. Avec le risque que ces accords nécessitent, dans l’état actuel de la loi française, l’accord individuel des salariés, ceux qui refuseraient ne pouvant être licenciés que dans le cadre d’une procédure de plan social. C’est l’objet des négociations de modifier la loi sur ce point essentiel, et nous sommes ici d’accord avec Michel Sapin sur la nécessité d’une loi, mais à condition de ne pas enserrer par ailleurs la liberté des entreprises dans des conditions restrictives qui feraient de la procédure une nouvelle usine à gaz selon l’expression consacrée. A l’heure actuelle les syndicats ne sont pas d’accord entre eux, la CGT ayant refusé de signer l’accord de Sevelnord, et criant actuellement au « chantage de l’emploi » dans le cadre de la négociation entamée par Renault. FO a quant à elle signé l’accord d’Air France tout en affichant sa réticence à signer un accord national qui seul permettrait de sécuriser les accords passés au niveau de l’entreprise. Et pourtant nous sommes – nfin- parvenus au cœur du sujet de la flexibilité, et il est capital d’aboutir.
Contrats précaires…
C’est un point sur lequel se rejoignent gouvernement, observateurs et agences de notation, à savoir l’hyper-protection assurée aux salariés en CDI par rapport à ceux qui ne parviennent pas à obtenir un emploi stable, autrement dit la dualité du marché français. Mais le ministre paraît s’être engagé dans la seule voie de la pénalisation des contrats précaires (la « modulation des taux de cotisation »), sur laquelle la CGPME refuse apparemment de discuter cependant que le MEDEF, dont les adhérents sont moins concernés, aurait été beaucoup plus conciliant en la considérant comme une monnaie d’échange. On voit le gouvernement multiplier actuellement les gestes en faveur des PME/TPE (cf. l’accès au crédit d’impôt). Monnaie d’échange là aussi ? Il faudra faire le bilan total des augmentations et baisses de charges, en n’omettant pas la hausse des cotisations retraite ou le versement transport, et aussi celles des charges sans rapport direct avec le coût du travail, comme la CET qui mobilise actuellement les entreprises.
…et rupture des contrats de travail
Si la question de la dualité des contrats de travail devait être ainsi abordée, on ne se serait pas attaqué au véritable problème, qui ramène toujours aux conditions exigées en France pour un licenciement, la fameuse « cause réelle et sérieuse ». Le gouvernement a mis les conditions du licenciement économique sur la feuille de route des partenaires sociaux, mais il n’est nulle part question des licenciements pour cause individuelle, qui à vrai dire sont complètement oubliés depuis des décennies au profit des seuls licenciements économiques qui occupent tout le territoire médiatique. Or, pour les PME et surtout les TPE, le problème est tout aussi, sinon plus, prégnant. La jurisprudence sur la cause réelle et sérieuse en matière de licenciement individuel interdit par exemple quasiment tout licenciement pour cause d’incompétence relative, laquelle n’est acceptée que si elle constitue une faute, et pas s’il s’agit seulement d’un manque d’adéquation au poste. Aussi longtemps qu’il n’existera aucune avancée sur cette question, le CDD sera toujours préféré au CDI –il coûtera seulement encore plus cher aux employeurs, et rien ne sera résolu.
C’est aussi la raison pour laquelle l’idée du contrat unique, que certains préconisent sous forme de contrats de mission (il s’agit en fait de CDD déguisés), n’est pas non plus la solution. Non seulement ces contrats ne résolvent aucunement la question du licenciement pour cause individuelle, mais ils ne règlent pas non plus celle du licenciement économique. Pourtant, Michel Sapin et le gouvernement en général reconnaissent la nécessité de l’adaptation de l’emploi à la conjoncture économique, et le terme de licenciement boursier ne figure plus dans leur vocabulaire. Espérons que les partenaires sociaux progresseront dans cette direction, bien que les syndicats paraissent beaucoup plus en arrière de la main sur ce sujet.
Les propositions du Medef sur ce sujet sont assez semblables à celles du contrat unique (la référence est faite aux contrats de chantier ou d’export, qui sont une forme de contrats de mission), dans la mesure où elles tendent à sécuriser pour l’employeur la rupture du CDI en la permettant à l’issue du chantier ou de la mission. La rigidité du CDI est considérée à juste titre comme un « frein à l’embauche », mais nous ne pensons pas que ce problème soit résolu par des contrats de mission, quelle qu’en soit l’appellation. Parallèlement, il est juste de relever que le Medef évoque aussi, mais de façon très prudente et sans préciser sa pensée, « un assouplissement substantiel des règles du licenciement économique ou personnel », en contrepartie duquel le recours au CDD pourrait être réduit. On sent bien que là est le débat essentiel, mais il n’est pas abordé de front. Les syndicats rejettent pour le moment tout assouplissement, la CFDT plaidant de son côté pour la pénalisation des CDD par des cotisations plus fortes.
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