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Jacques Attali : « La baisse du nombre de naissances en France est-elle vraiment une mauvaise nouvelle ? »

Tout d’abord, dans ce domaine comme dans tant d’autres, la France ne constitue pas un cas particulier. Le taux de natalité est en chute libre au Japon, en Corée, en Allemagne, en Italie, en Russie et en Chine, pays qui se situent tous en dessous du seuil de remplacement. Il existe peu de pays développés, comme les États-Unis, où le renouvellement de la population est assuré ; et encore moins, comme Israël (le seul pays développé où les femmes ont en moyenne plus de 3 enfants).

Le taux de natalité diminue également dans les pays où il reste très élevé ; même dans les pays où il dépasse encore 5 enfants par femme (Niger, Mali, Burundi et République Démocratique du Congo) ; et dans toute l’Afrique subsaharienne (où il est encore de 4,6 enfants). Les trois régions du monde où la croissance du taux de natalité restera significative sont l’Afrique subsaharienne, la péninsule indienne et le Moyen-Orient. À ce rythme, d’ici 2050, le Nigeria comptera plus de personnes qu’aux États-Unis, dont plus de 130 millions rien qu’à Lagos.

Au total, le déclin général est tel qu’il est désormais probable que, malgré la croissance continue (à de rares exceptions près) de l’espérance de vie, la population mondiale n’atteindra jamais les 12 milliards prévus pour 2100, ni même les 10 milliards prévus pour 2050.

Les raisons de ce déclin sont les mêmes partout : dislocation de la pression sociale à avoir de nombreux enfants, libération des femmes qui veulent avoir une vie professionnelle, et incapacité des services publics à apporter le soutien nécessaire en termes de santé, d’éducation, le logement et la garde d’enfants. Seuls les pays ou les communautés dans lesquels les femmes sont dominées et où rien n’est fait pour financer la vie des personnes âgées autrement que par le biais de leurs enfants, ont des taux de natalité très élevés. Bref, la natalité est élevée dans les pays où le besoin, idéologique ou matériel, de transmettre les richesses est dominant.

Si le ralentissement de la croissance démographique de la planète est une bonne nouvelle écologique, il peut devenir une catastrophe pour les pays qui ne peuvent plus assurer le renouvellement de leur propre population.

D’abord pour les plus pauvres d’entre eux, comme la Chine, qui n’ont pas mis en place de systèmes de retraite capables d’assurer une vie décente à un nombre croissant de personnes âgées. Et puis, pour tous les autres, y compris la France, qui ne parviendront pas à trouver parmi leurs citoyens suffisamment de jeunes pour remplacer ceux qui partent à la retraite. Et si nous continuons ainsi, les pays à faible natalité devront accueillir de plus en plus de jeunes issus de régions à forte natalité, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

Un scénario idéal serait sans doute, à l’échelle de deux siècles, une stabilisation de la population planétaire à un niveau proche ou inférieur aux niveaux actuels. Cela nécessiterait une action massive pour libérer les femmes des contraintes qui pèsent sur elles dans les pays où elles restent dominées, et une action d’une toute autre nature dans les pays où la natalité s’effondre. Et dans ces pays, dont la France, un congé parental plus long ne résoudra pas le problème. Pas même en employant toutes les techniques qui fonctionnaient si bien il y a 80 ans en France : des allocations familiales généreuses, une politique volontariste du logement, des crèches, des écoles maternelles… Cela ne suffit plus.

Au moins deux facteurs changent la donne. D’un côté, et heureusement, les femmes souhaitent faire carrière, et la maternité reste un obstacle. Deuxièmement, et moins heureusement, les raisons de s’inquiéter pour l’avenir ne manquent pas, et de nombreux couples n’ont aucune envie de donner naissance à un enfant qui aura 80 ans au début du XXIIe siècle, dans un monde qui s’annonce figé. être terrible.

Ce sont ces deux questions qu’il faudra aborder en Europe, au Japon et en Chine, et bientôt dans le monde entier. D’une part, le fardeau de la maternité ne doit pas rester la seule responsabilité des femmes. D’un autre côté, nous devons recréer les conditions d’un avenir crédible et heureux pour le monde. Ces deux enjeux se résument à un seul : créer les conditions pour expérimenter la joie de la transmission. Et non pas, comme autrefois, de subir le besoin de transmettre. C’est une tout autre affaire.

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