Vudailleurs.com

Fronde policière et démocratie ultra-directe par Michel Fize, sociologue, candidat à l’élection présidentielle Dernier livre paru : Radicalisation de la jeunesse, la montée des extrêmes, Eyrolles.

popo_opt

Si un nouveau pas dans l’escalade de la violence a été franchi le 8 octobre dernier avec la tentative d’assassinat de quatre policiers par un groupe de jeunes à Viry-Chatillon (Essonne), un autre pas a été franchi ces jours derniers avec la « radicalisation » démocratique mis en scène par des policiers dans l’espace public. Au 10ème jour de la contestation policière, plusieurs enseignements peuvent être tirés. Des enseignements majeurs du point de vue de notre fonctionnement social et de la conception de notre démocratie. Les raisons de la colère des policiers en tenue, les « Bleus », sont connues : effectifs insuffisants, manque de moyens matériels, manque ressenti de considération. Qu’un corps de métier manifeste pour faire aboutir des revendications, il n’y a là rien de surprenant ni de nouveau. Les nouveautés sont ailleurs. Elles sont dans le « modus operandi ». Cette contestation, c’est à noter, se réalise en dehors du cadre syndical. Nous assistons donc un peu partout en France à des mouvements spontanés d’hommes et de femmes, policiers et policières, qui, dans leur action, tiennent à l’écart leurs propres syndicats. Ce qui confirme que la méfiance de nos concitoyens ne s’adresse pas seulement aux partis mais aussi aux syndicats, jugés les uns et les autres de moins en moins légitimes

Alors que les pouvoirs publics reçoivent aujourd’hui, mercredi, les organisations syndicales, les policiers-manifestants, toujours dans la rue, rétorquent qu’ils veulent être reçus directement, sans intermédiaire, ces intermédiaires auxquels ils ne font plus (beaucoup) confiance.
Cette façon de voir n’est pas sans rappeler les « coordinations » mises en place à la fin des années 1980 tant par les étudiants et les lycéens que par les cheminots ou les infirmières, « structures » ponctuelles jugées plus efficaces et plus démocratiques que les syndicats considérés comme trop hiérarchiques et peu représentatifs de leur base. Aujourd’hui, point de « coordinations », juste des individus, hommes et femmes, qui se vivent d’abord comme des « citoyens comme les autres ». D’ailleurs, ces hommes et ces femmes ne viennent-ils manifester en famille, avec conjoints et enfants ? La hiérarchie policière, elle-même violemment contestée, a beau rappeler que les policiers sont soumis à une déontologie particulière, à l’observance de règles spécifiques tenant à leur mission régalienne, ces derniers n’en ont cure (la culture policière de l’« entre soi », semble-t-il, s’en est aussi allée avec la modernité). Les policiers en colère, ou les « citoyens en colère », comme ils se nomment sur leurs pancartes, vont jusqu’à s’affranchir des règles les plus élémentaires en matière de manifestation, comme la déclaration préfectorale préalable. En utilisant leurs voitures de service avec gyrophares allumés, ils enfreignent une autre règle, un interdit.

Par cette façon de faire, les policiers-manifestants, premiers défenseurs de la loi, en deviennent les premiers infracteurs. C’est la victoire de Hobbes sur Rousseau, de la force sur le contrat social. Cet affranchissement des règles, de la part des policiers aujourd’hui, des activistes de Nuit Debout hier, est évidemment à relier à cette démocratie de l’« individu-roi », de cet individu qui entend, à présent, « se faire justice » lui-même, faire ce qui lui plaît, quand ça lui plaît et avec qui il lui plaît. De cet « individu-roi » qui désormais, grâce aux réseaux sociaux, en quelques clics, peut déclencher un mouvement collectif. Ces explications données, la colère des policiers en tenue reste légitime. Le maintien de l’ordre, garant tout de même de nos libertés, suppose des moyens que les policiers n’ont plus depuis longtemps.

Comments

Postez un commentaire

You don't have permission to register
error: Content is protected !!