Francis GEORGE : « Immersion au siècle des menaces »
Dans son remarquable essai « Introduction au siècle des menaces » (Odile Jacob – mai 2004), Jacques Blamont, père de la politique spatiale française (il a conçu et suivi la réalisation du centre spatial guyanais à KOUROU) mettait en garde les prochaines générations exposées à trois périls :
Le retour de la guerre avec des armes nucléaires et leurs vecteurs balistiques de plus en plus sophistiqués,
Le développement de crises sanitaires et sécuritaires au sein d’une humanité croissante et concentrée dans des villes (en 2024, 54% de la population mondiale vit dans milieu urbain)
L’épuisement des ressources naturelles et ses corolaires en termes de climat et de biodiversité.
Nous sommes aujourd’hui immergés dans ces menaces. Dès 2014, la Fédération de Russie agressait l’Ukraine qui aspirait à rejoindre l’Occident démocratique ; elle le menace aujourd’hui de ses vecteurs nucléaires hypersoniques les plus performants.
La crise du COVID de 2020 à 2022 constitue le prélude à d’autres pandémies directement liées à la pénétration des hommes dans des milieux naturels préservés, à leur hyper mobilité et à leurs concentrations urbaines. Cette concentration génère, par ailleurs, des risques sécuritaires dans des quartiers où la souveraineté des Etats n’est plus assurée qu’épisodiquement. La sauvage agression des populations civiles israéliennes perpétrée par le HAMAS, un acteur non étatique terroriste, le 7 octobre dernier, ne constitue qu’une des illustrations de ces anticipations.
La consommation exacerbée des ressources énergétiques et minérales provoque des changements climatiques et une altération de la biodiversité que la frénésie de consommation des sociétés développées, et bientôt des pays émergeants, rendra insupportable ; cela même si une inflexion salutaire de la consommation d’énergie et des rejets de GES est constatée dans certaines démocraties occidentales.
La récente expression pessimiste du général Valeri ZALOUJNY, chef d’état-major des Armées ukrainiennes dont la contre-offensive piétine, dans The Economist doit être replacée dans ce contexte qui voit certaines démocraties menacées ou agressées dans ce 1er quart du XXIème siècle : Ukraine donc, mais aussi Haut-Karabagh arménien, Israël et Taïwan. Les coups d’états perpétrés dans les démocraties de Birmanie, du Mali, du Burkina-Faso et du Niger s’inscrivent dans cette propension d’acteurs, étatiques ou non, de plus en plus désinhibés par l’inertie d’un Occident en repli après avoir cru pouvoir imposer, de manière quasi messianique parfois, son modèle de développement démocratique.
Inquiétante, cette expression ne doit pas occulter le fait qu’un conflit est une respiration de postures dynamiques, statiques ou régressives ; des postures tenant à la maitrise de ressources exprimées en termes de temps,
d’espace et de réserves, humaines (la réserve humaine russe n’a pas la même résilience que celle des soldats ukrainiens), industrielles(hier comme aujourd’hui, la russe ne peut être comparée au potentiel occidental), financières (son fonds souverain permet à la Russie de tenir 2 ans ; elle est donc elle aussi au bout d’une de ses réserves stratégiques) et énergétiques. Par leurs convictions politiques tutélaires, les vainqueurs des conflits du XXème siècles, nous rappellent qu’il n’est pas permis d’abandonner l’Ukraine ; un succès, même partiel, du dirigeant russe serait le prélude à une dynamique encore plus funeste pour les démocraties dans le monde. Les démocraties occidentales, de même qu’elles prennent conscience de leur impact sur le climat et l’environnement, sont capables de ce sursaut salutaire si leurs citoyens et leurs dirigeants font montre des mêmes convictions et du même courage que leurs illustres prédécesseurs ; la guerre menée par l’Ukraine est notre guerre dans un monde qui a glissé de la dissuasion à la persuasion. Dans une précédente tribune publiée dans VUDAILLEURS en août 2023, j’avais explicité ce nouveau
segment stratégique qui est venu s’intercaler, au XXIème siècle, entre le conflit conventionnel et le conflit nucléaire.
En vertu de ce nouveau concept, le conflit ukrainien est le théâtre majeur de ce puzzle qui devrait voir les puissances occidentales engager pleinement leurs moyens conventionnels, leurs puissances économiques, leurs technologies et leurs forces, réserves incluses dans la défense des démocraties souveraines. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et dès l’issue des contre-offensives ukrainiennes menées à l’est et au sud du pays au second semestre 2022, de nombreux observateurs avertis avaient mis en garde les dirigeants américains et européens sur le danger que faisait peser le caractère timoré de leur appui sur la pérennité de l’ascendant et du succès des Armées ukrainiennes. Je n’évoque pas à ce stade les prises de positions de certains hommes politiques et de journalistes occidentaux poussant le courageux
président ZELENSKY à des concessions sur la Crimée et le Dombass, des portions de son territoire national reconnu par le droit international. L’histoire nous a pourtant bien démontré que ce manque de courage se payait dans le déshonneur et le sang
Francis GEORGE
Ancien officier de réserve diplômé d’état-major
WOJAS
Funeste regard mais terriblement réaliste