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Film « Gauguin : voyage de Tahiti » par S. de La Houssière

Vincent Cassel qui incarne de façon très convaincante le rôle principal affirme avec un rien de provocation : « Si le film doit occuper une place à part pour moi, c’est d’abord à cause de l’aventure qu’il a représenté et de la rencontre avec la Polynésie où j’avais le sentiment d’être dans « Avatar » sous ecstasy. »
Bigre ! Avec sa tête de naufragé, barbu et émacié, l’acteur a en effet vécu une rencontre avec le peintre dans un univers sauvage loin des codes moraux, politiques et esthétiques de l’Europe civilisée. Il s’enfonce dans la jungle, bravant la solitude, la pauvreté, la maladie. Il y rencontrera Tehura, sa compagne et source narrative de ses plus grandes toiles.
Le réalisateur Edouard Deluc explique la genèse du film: «… issu de ma rencontre avec « Noa Noa », le carnet de voyage illustré de Gauguin, écrit lors de son premier séjour à Tahiti, entre 1891 et 1893. C’est un objet littéraire d’une grande poésie, un récit d’aventures, d’un souffle romanesque assez fou. C’est une sorte de journal intime, sur son expérience tahitienne, qui mêle récits, impressions, pensées, questionnements politiques, questionnements artistiques, croquis, dessins et aquarelles. C’est enfin et surtout une sorte de somptueuse déclaration d’amour à Tahiti, aux Tahitiens, à son Eve tahitienne. »
Gauguin est un personnage hors-normes à la poursuite d’une quête, qui veut s’affranchir de toutes les conventions, qu’elles soient morales, artistiques, politiques… Il veut renouer avec ce « moi sauvage » qui l’a déjà mené en Bretagne (Pont Aven, Le Pouldu), à Panama ou en Martinique, et qui fait sa singularité artistique. Le projet polynésien s’ébauche en 1890. Il cherche un paradis mythique capable d’alimenter son processus de création. En 1891 il quitte Paris pour la Polynésie, où il va peindre avec ardeur, mais dans l’indifférence générale, soixante-six chefs-d’oeuvres en dix-huit mois qui figureront un tournant dans son travail, presque un testament artistique, influenceront les fauves, les cubistes, marqueront à leur manière l’avènement de l’art moderne.
Le film se cale sur ce mouvement. Le voyage, la lutte contre les conventions de toutes sortes étaient inscrit dans son ADN : c’est dans son sang qu’il porte cette soif de primitivisme. A l’âge d’un an, il a déjà vécu six mois en mer avec sa famille: son père, républicain, en butte avec le régime impérial de Napoléon III, il meurt en mer. Sa mère, péruvienne d’origine, fille de la militante socialiste et féministe Flora Tristan, se réfugie avec Paul et sa sœur au Pérou, pays de sa prime enfance, qui le marque profondément.
Le film s’ouvre sur une première partie parisienne où Gauguin, dont les œuvres se vendent peu et qui court après l’argent. Il vit à Paris de manière très précaire. Les motifs européens ne le satisfont plus: « J’étouffe. Il n’y a plus un paysage, un visage qui méritent d’être peints ici. ». C’est le contrepoint exact de ce qui se joue plus tard, à Tahiti, auprès de Téhura, qui l’inspire immensément, qui l’envoûte, dans le silence majestueux de la jungle tahitienne aux parfums entêtants d’exotisme.
Mais la déception est grande à l’arrivée du peintre. N’oublions pas que Gauguin arrive à Papeete la semaine où le dernier roi maori Pomaré V, meurt …. Gauguin documente donc une civilisation maorie qui est en train de disparaître. Tous ses tableaux sont aussi empreints d’une mélancolie qui a forcément à voir avec la fin d’une ère. L’inquiétude métaphysique presque sacrée que l’on perçoit dans les oeuvres de Gauguin se renouvelle à la source d’un imaginaire reconstruit sur la base d’un anti-modernisme fin de siècle, d’une frustration artistique et d’une quête d’un paradis perdu….
Même si, par sa puissance d’évocation, ses couleurs franches, la valeur symbolique de ses lignes, la modernité de son travail reste et restera comme une évidence, le film chronique, une défaite, des déchirures, l’adversité voire la déchéance. (On retrouvera des dizaines de cadavres de bouteilles et des seringues près de sa case !) Gauguin était un homme tiraillé entre des affects profondément humains et des aspirations artistiques supérieures on pourrait presque dire sacrées.

« Gauguin, voyage de Tahiti » n’est pas exactement un biopic, ou un film de peintre, mais une espèce de western, un film aux images magnifiques sur la quête de soi, sur les enjeux intimes d’un homme. Mais aussi, plus intérieurement, sur le mystère de la création, sur la représentation, sur le sacrifice aussi que peut représenter une vie d’artiste…
Ce film qui sortira le 20 septembre, trouvera un complément naturel dans la visite de l’exposition très attendue du Grand Palais à Paris , « Gauguin, l’alchimiste » à partir du 11 octobre, plongée exceptionnelle dans le processus de création de l’ artiste.

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