Essais cliniques à Rennes : la procédure légale a-t-elle été suivie ?
Cette semaine, un drame rarissime s’est produit lors d’essais cliniques demandés par l’industrie pharmaceutique portugaise Bial. En cause, des tests sur un antalgique auraient plongé un participant dans un état de mort cérébrale et cinq autres sont actuellement hospitalisés. Comment un tel accident a-t-il pu se produire ? Qui contrôle ces essais cliniques ? Voici quelques réponses.
Des tests préliminaires obligatoires
Aucun médicament n’est directement administré aux « cobayes » humains sans avoir validé une première batterie de tests. Il peut s’agir de tests sur des animaux, de tests in vitro, mais aussi d’essais permettant d’évaluer le degré de toxicité éventuel du produit. La molécule BIA 10-2474 mise en cause cette semaine a été mise au point par l’industrie pharmaceutique Bial. Avant d’être testée par le laboratoire privé agréé Biotrial (situé à Rennes), cette molécule a donc été étudiée sans qu’on puisse révéler des effets aussi dramatiques que ceux constatés cette semaine. Des tests sur des chimpanzés avaient été menés en 2015. Puis le laboratoire débute des essais de phase I le 9 juillet 2015 sur des humains. Les sujets choisis, au nombre de 90, sont tous masculins et âgés entre 28 et 49 ans. Biotrial cherche ensuite à évaluer différents dosages et commence de nouveaux essais le 7 janvier 2016 avec 6 cobayes, chacun recevant une dose différente. Trois jours plus tard, le premier patient doit être hospitalisé. Il sera très vite suivi par les autres. Le 11 janvier, le laboratoire met fin à l’essai.
Des essais progressifs
Il faut bien comprendre qu’on ne teste pas un nouveau médicament à grande échelle immédiatement. Avant d’obtenir l’autorisation de mettre le produit sur le marché, il s’écoule plusieurs années pendant lesquelles le médicament passe par différentes phases.
PHASE I : Elle consiste à évaluer la tolérance au produit, son comportement dans l’organisme. Pour cela, un nombre restreint de personnes saines reçoivent le produit. A l’issue de cette phase, le laboratoire doit connaître la dose maximale tolérée, son mode d’assimilation dans l’organisme (administration, diffusion, métabolisme, excrétion), mais aussi les effets secondaires qu’il engendre.
PHASE II : Dans cette étape, le but est d’étudier l’efficacité du médicament proposé ainsi que de récolter plus d’informations sur sa tolérance. Cette phase permet également de trouver la dose optimale (la plus faible possible) pour assurer l’efficacité du produit. Ici, le petit groupe de « cobayes » sont des personnes atteintes de la maladie ciblée.
PHASE III : Dans cette étape, l’apparition des effets secondaires potentiels est particulièrement surveillée. L’objectif est de vérifier l’efficacité du produit sur un plus grand nombre de patients atteints de la maladie ciblée. Si l’efficacité est confirmée, un dossier de demande d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) peut être constitué à l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). C’est elle qui autorise et assure le suivi des essais thérapeutiques. Elle vérifie la qualité du produit, la cohérence des études et s’assure du respect des règles pour éviter de faire courir aux patients des risques inutiles.
PHASE IV : Elle se déroule après la commercialisation du produit. Il s’agit d’une étape de pharmacovigilance qui ne se termine que si le médicament est retiré de la vente. Cette phase consiste à récolter l’ensemble des connaissances disponibles sur l’utilisation du médicament (conditions d’utilisation optimales, risques,…) mais aussi de vérifier sa pertinence sur le marché par rapport à d’autres médicaments. Tous les cinq ans, l’AMM est révisée.
Des patients volontaires
Personne ne peut être contraint à tester de nouveaux médicaments. Les participants aux essais thérapeutiques sont donc des volontaires dans un premier temps en bonne santé pour le début des essais puis des volontaires atteints de la maladie ciblée dans un second temps. Des tests médicaux sont pratiqués afin de définir leur état de santé avant le début des essais. Ils sont répertoriés dans un « fichier national des volontaires ». Deuxième point important : le « cobaye » est informé au préalable des risques encourus et il peut à tout moment interrompre le programme d’essais s’il ne désire plus y participer. Il faut savoir aussi que devenir patient volontaire n’est pas payé mais défrayé à hauteur de 100 à 4 500 euros maximum par an. C’est pourtant là que se trouve la principale motivation des testeurs. Une étudiante de 25 ans qui teste un vaccin contre le virus Ebola explique ainsi au 20 Minutes « pour une dizaine de rendez-vous médicaux, je touche environ 1 000 euros ». Un père de famille racontait quant à lui au Parisien avoir « touché 2 450 euros net d’impôt » pour avoir testé une molécule contre la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson.
90 personnes ont reçu une dose de la molécule incriminée depuis juillet 2015. L’urgence est donc de vérifier leur état de santé (notamment au niveau cérébral). Plusieurs enquêtes judiciaires et administratives ont été ouvertes, ainsi qu’une enquête pour blessures involontaires qui va probablement être révisée en homicide involontaire. En effet, l’état des six patients a été qualifié de stable hier par le CHU de Rennes. Nous avons malheureusement appris aujourd’hui le décès du patient en état de mort cérébrale. Rien à ce jour ne permet d’expliquer ce qui s’est passé. Le mystère reste donc entier.
A.G