Elections aux Pays-Bas : se faire peur pour rien, par Christopher Dembik
L’érosion des partis de gouvernement : dans les années 80, les trois partis de gouvernement (Parti chrétien-démocrate CDA, Parti social-démocrate PvdA, et Parti conservateur VVD) obtenaient environ 80% des suffrages. Selon les derniers sondages, ils n’en obtiendraient plus que la moitié, soit environ 40%. A l’inverse, le Parti pour la liberté (PVV), anti-immigration et anti-euro, est en tête des intentions de vote et pourrait obtenir 28 sièges contre 24 sièges pour le VVD du Premier ministre sortant Mark Rutte.
Cette longue érosion s’explique, comme dans beaucoup de pays européens, par quatre facteurs principaux :
– La sécularisation. Au milieu des années 60, plus de 67% de la population disait appartenir à une Eglise contre moins de 40% de nos jours (le recul est particulièrement prononcé pour l’Eglise catholique et l’Eglise protestante) ;
– L’érosion de la classe moyenne qui était déjà perceptible avant la crise financière mondiale (elle représente 32% de la population totale, comme en France, contre 40% au Danemark selon une étude de l’OIT de 2016) ;
– L’absence de réduction importante des inégalités au cours des dernières décennies (la part du revenu total détenue par les 1% les plus riches est de nos jours proche de son niveau de la fin des années 30, à 8% contre 6% au Danemark) ;
– L’immigration en provenance de pays musulmans qui entraîne des crispations identitaires (selon un sondage d’Ipsos publié fin février, 80% des personnes interrogées sont inquiètes par l’immigration et 86% craignent « un déclin des valeurs traditionnelles de la société hollandaise »).
Des sondages peu fiables : A l’inverse de la France où le vote en faveur du Front National est bien estimé, les sondages aux Pays-Bas sont réputés être peu fiables, ce qui n’exclut pas une surprise de dernière minute. Cela ne signifie pas automatiquement un score plus important que prévu du PVV. Il faut tenir compte du profil socio-économique des électeurs qui influence les comportements électoraux. Le taux de participation des 20% les plus riches est en moyenne de 84% alors que pour les 20% les moins riches, il est d’environ 65%. Ce différentiel est supérieur à la moyenne de 13 points de pourcentage de l’OCDE. Dans ces circonstances, la sous-mobilisation politique le jour du vote des plus démunis, qui sont habituellement plus réceptifs aux discours anti-euro et anti-immigration, pourrait avantager les partis de gouvernement.
Le scénario le plus probable au soir du 15 mars : Une forme de Front Républicain, comme en France, devrait empêcher que le PVV puisse former un gouvernement ou faire partie d’une coalition gouvernementale. L’intégration à une coalition a formellement été exclue par le Premier ministre sortant après l’expérience désastreuse de 2010-2012 au cours de laquelle le PVV est apparu comme un partenaire exigeant et peu fiable. Il est probable qu’une coalition large autour des trois partis de gouvernement historiques à laquelle se joindraient l’Union chrétienne, les sociaux-démocrates de Democrats 66 et le parti politique réformé SGP soit formée au lendemain de l’élection.
Un référendum sur l’euro non-contraignant : Même dans l’hypothèse où le PVV parviendrait au gouvernement et souhaiterait imposer son agenda européen, rien ne permet d’envisager un « Nexit » sur l’exemple du Brexit. La législation actuelle ne permet tout simplement pas de tenir un référendum sur l’euro. La loi sur le référendum consultatif (2015) autorise un référendum d’initiative populaire sur les nouvelles lois adoptées par le Parlement et non sur les traités déjà existants. Même si cela était possible, une telle initiative aurait peu de chances d’aboutir étant donné le soutien massif de la population à l’appartenance à la zone euro (selon un récent sondage PNS NIPO, 78% des personnes interrogées souhaitent rester dans l’euro et seulement 22% souhaitent en sortir). La seule solution serait que le Parlement propose un scrutin sur cette question mais, comme pour le référendum consultatif, son résultat ne serait pas contraignant pour le gouvernement. En outre, au regard des dernières tentatives sur le sujet en 2016, aucune majorité parlementaire ne semble en mesure d’apparaître pour faire aboutir cette proposition.