Directive ePrivacy: La Commission doit s’engager sur la confidentialité des communications
Paris, le 21 septembre 2016 — La Commission européenne doit proposer cet automne un texte remplaçant l’ancienne directive de 2002 sur la vie privée dans l’environnement numérique, appelée « directive e-Privacy ». Ce projet de directive fait suite à la consultation publique lancée par la Commission en avril 2016, à laquelle La Quadrature a pris part. Alors que depuis des mois, l’industrie des télécoms, les GAFA et les États membres mènent d’intenses campagnes de lobbying contre ce texte fondamental, la Commission doit résister à ces pressions et prendre pleinement en compte les propositions d’associations citoyennes afin de produire une législation respectueuse des droits fondamentaux, et notamment du droit au chiffrement.
Monsieur le Commissaire Oettinger,
Monsieur le Vice-Président Ansip,
Mesdames et Messieurs de la Direction Générale CONNECT,La publication par la Commission des premiers résultats de la consultation sur la révision de la directive e-Privacy a confirmé une fracture déjà bien consommée entre société civile et industrie. Sur les questions de l’élargissement du champ d’application de la directive aux fournisseurs de services en ligne (services dits « over the top », ou OTT)1 , des cookies, ainsi que du type de consentement requis lors d’un traitement de données personnelles, le constat est univoque : les réponses des individus, des associations et des autorités de protection des données s’opposent radicalement aux réponses des entreprises.
Il est frappant de constater que même sur la question de l’intégration des OTT dans le champ de la directive, l’opposition entre ces services par contournement (OTT) et les opérateurs est complètement factice. Les coalitions créées par les opérateurs et les OTT montrent que les opérateurs traditionnels des telecoms ont bien compris qu’il était inutile de s’opposer au développement des applications et plus généralement à des géants comme Google, Facebook et Microsoft. Pour les opérateurs, il semble préférable de conquérir de nouveaux marchés et commencer eux même à fournir des services par contournement. Ainsi, bien qu’opposés en apparence (ou dans leurs réponses officielles à la consultation), ces acteurs défendent main dans la main la pure et simple suppression de la directive en l’accusant de tuer l’innovation, la compétitivité et les ambitions de l’UE en matière d’économie numérique.
Ces campagnes ne sont que la face visible de l’iceberg que représente le lobbying déployé contre ce texte crucial pour le droit à la vie privée des citoyens européens. Lorqu’on regarde en détails les rendez-vous effectués par vos services, Messieurs Oettinger et Ansip, il apparait que les 10 organismes les plus régulièrement rencontrés sont tous des grandes entreprises: Google, Deutsche Telekom, Microsoft, Telefonica ainsi que les lobbies DIGITALEUROPE et BUSINESSEUROPE arrivent en tête du classement.
Par ailleurs la pression des États est elle aussi très forte et ce notamment concernant le droit des particuliers à sécuriser leurs communications. En témoignent les déclarations répétées des responsables politiques français ainsi que la déclaration conjointe de Thomas de Maizière et Bernard Cazeneuve sur la « cybersécurité », le 23 août 2016. Très clairement, la révision de la directive ePrivacy constitue pour eux une occasion unique de remettre en cause le droit au chiffrement sous couvert de lutte antiterroriste.
Face à ces multiples pressions, la Commission doit tenir le cap en défendant un nouvel acte législatif ambitieux. Ce texte doit à la fois protéger notre droit au chiffrement, en l’inscrivant explicitement dans les articles concernant la confidentialité des communications mais également faire peser de façon égale les obligations sur toutes les entreprises et ce, tout en limitant les dérogations laissées au États membres. C’est un équilibre subtile qui doit être préservé afin que la directive ePrivacy continue d’agir comme un rempart pour les droits fondamentaux dans l’environnement numérique, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de justice.
- La Quadrature du Net apelle donc la Commission à :
- rester impartiale dans l’élaboration de sa proposition en diversifiant ses sources d’expertise;
- défendre le droit des Européens à la confidentialité des communications à travers la reconnaissance du droit au chiffrement de bout en bout, en inscrivant dans la directive l’obligation pour les États membres de protéger ce droit et la distribution des outils qui le permettent;
- rendre les dispositions sur les cookies cohérentes avec le Règlement général en affirmant l’impossibilié d’obliger un utilisateur à « payer » avec ses données personnelles pour accéder à un service;
- ne pas oublier que plus de 90% des individus, des associations citoyennes et des autorités de protection des données personnelles ayant répondu à la consultation sont en faveur d’un régime basé sur le consentement préalable pour les appels à des fins de prospection directe. Ces réponses reflètent, chez les utilisateurs, une tendance générale à la réappropriation de leurs données personnelles. L’intérêt général est l’unique direction à prendre pour la Commission.
La Quadrature du Net
- 1. Les OTT (over-the-top content) sont des fournisseurs de services audio, vidéo, de messagerie qui, à la différence des opérateurs télécoms, n’ont pas la maîtrise des réseaux auquels sont connectés leurs utilisateurs, comme par exemple Whatsapp, Skype ou Viber.
À propos de La Quadrature du Net
La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Elle promeut une adaptation de la législation française et européenne qui soit fidèle aux valeurs qui ont présidé au développement d’Internet, notamment la libre circulation de la connaissance.
À ce titre, La Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée.
Elle fournit aux citoyens intéressés des outils leur permettant de mieux comprendre les processus législatifs afin d’intervenir efficacement dans le débat public.