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Denis Tillinac : « Macron doit accepter le tragique de son sacerdoce »

Denis Tillinac est écrivain, essayiste, ancien éditeur et chroniqueur


Denis Tillinac, vous êtes chez vous, en Corrèze, comment vivez-vous votre confinement ?
Un écrivain n’ a qu’un ennemi : son agenda. Le mien est sans emploi . Les obligations qu’il m’a assigné n’existent plus, le temps enfin a cessé de me harceler. Il coule grain après grain dans un sablier plus vaste que le ciel . Je vis ce confinement en privilégié . J’ai à ma disposition autour de moi le printemps . La grande différence par rapport à ma vie habituelle est d’avoir beaucoup de temps pour aller marcher dans la campagne, faire un peu de sport, pour lire, relire. Et pour écrire surtout. J’ai entrepris un roman, il est en train de prendre davantage d’envergure grâce à cette période de confinement qui permet à l’imaginaire de déployer ses ailes avec plus d’aisance. Un écrivain c’est toujours quelqu’un qui se coltine avec le temps perdu et ce temps je l’ai et donc j’use et peut-être j’abuse de digressions qui ne me seraient pas venues à l’esprit. Ce temps qui permet  à l’esprit de vagabonder est donc un grand bonheur pour un écrivain.
Rien n’a changé pour moi ici. J’écris le matin, je lis et je marche l’après-midi. C’est juste la perception du temps qui change. Je peux relire Racine et Heidegger, ces choses que je m’étais promis de faire seulement en cas de maladie grave. Ce virus est une grâce du ciel, j’en prendrais bien un tous les ans . Je veux dire qu’on peut être heureux malgré ça, si on a le goût du bonheur.
Vous êtes né à Paris, comment voyez-vous la capitale depuis votre province ?
J’ai de la compassion surtout pour ceux qui vivent enfermés dans un appartement de ville, en particulier à Paris et en région parisienne. Eux ils savent de quoi il s’agit . Comme tous les Corréziens je n’ai pas de rapport aigri et revendicatif à la capitale, c’est comme si j’avais la double citoyenneté. J’ai un lien d’intimité total avec Paris, j’aime et je déteste à la fois. L’île Saint-Louis compte plus de fantômes d’écrivains et poètes que partout ailleurs dans le monde.
Quel regard portez-vous sur l’émergence de ce virus mondial ?

Quand la nuit tombe et il m’arrive d’allumer la télé : des médecins innombrables épiloguent savamment sur ce virus qui ne fait pas de quartier : masques commandés et pas livrés, test en instance de fabrication, vaccin pas au point, déficit de lits, de respirateurs et de personnel qualifié dans les services de réanimation… La tonalité demeure alarmiste. Et finalement cette période de confinement ressemble presque à des vacances, la famille et les amis en moins. Pour en jouir au mieux, il faut prendre conscience que 80 % des choses que l’on consomme sont inutiles, de même que certaines tâches , dispositifs ou métiers. La preuve c’est qu’on vit quand même. Il s’agit d’un moment opportun pour prendre en considération l’importance sociale des différents métiers .  A l’épreuve de la pandémie il m’ apparaît que l’utilité d’un métier est en général inversement proportionnelle à la rémunération et la considération sociale qui y sont attachées. Ce constat d’une opposition entre utilité et considération sociale n’est d’ailleurs pas sans rappeler la célèbre parabole du philosophe et économiste Saint-Simon, qui affirme que les « trente mille individus réputés les plus importants de l’État sont en fait si peu indispensables à son fonctionnement, que leur disparition subite ne causerait aucun mal à la société. »
Que pensez-vous de la polémique autour du traitement de la chloroquine ?
Je suis écrivain, pas médecin. J’observe les mouvements de fond sociologiques et je constate que cette polémique semble ressusciter la hargne des Gilets jaunes à l’endroit des élites. Le peuple a trouvé son héros , un Saint-Vincent de Paul, un barbu à lunettes qui ressemble à un maître de sagesse hindouiste ou bouddhiste. Voilà le sempiternel pugilat opposant les humbles aux nantis, la province à Paris, les supporters de l’OM à ceux du PSG. Le pèlerinage d’Emmanuel Macron à l’IHU de Marseille vise à expier l’animosité d’un sérail anti-Raoul pour des raisons ténébreuses. Le président a pris acte d’un engouement collectif qui promet des règlements de comptes quand l’heure sera venue de peser les responsabilités.

Comment jugez-vous l’action du Président de la république ?
Je crois qu’il fait de bons choix politiques, il est bien obligé d’arbitrer les avis scientifiques mais qu’il a des difficultés à bien s’entourer. Je pense à la trahison d’Agnès Buzyn ou aux contre-performances de Sibeth Ndiaye. Il a été élu à cause d’une certaine déshérence de la droite et des sociaux démocrates. Il a ramassé un peu ce qui se présentait à lui et a une majorité qui n’a pas de cohésion, pas de vision. Le ministre le plus conséquent à part le Premier ministre, c’est Jean-Yves Le Drian qui  a mon âge. Un président doit accepter le tragique de son sacerdoce. Car la politique c’est dur, c’est tragique.

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