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Déficit de la sécu : l’absent des discours électoraux

Il est un sujet qui est dramatiquement absent des plates-formes présentées par ceux qui aspirent à gagner les primaires de l’opposition en vue de la prochaine Présidentielle. Il s’agit de la réforme du système et des dépenses de santé.

A leur intention, notre ami  le Dr.Guy-André Pelouze a rédigé une petite note de synthèse qui rappelle les principales données du problème et les principes sur lesquels devrait s’appuyer une véritable politique libérale de la santé.

Chacun sait que les dépenses de sécurité sociale ne sont pas maîtrisées: l’Etat constate ces dépenses et fait voter des lois rectificatives pour assurer le financement du déficit par de la dette appelée « dette sociale » c’est à d,ire de la dette publique. Ensuite il anticipe dans sa communication une explication conjoncturelle au déficit de façon à ce que l’on s’habitue une année encore à ce qui est une question structurelle.

La preuve:

Les candidats sont taiseux sur cette dérive: on les comprend ils sont tous main dans la main dans la dette

Les recettes sont pourtant très élevées car le panier de soins couvert par l’assurance obligatoire d’état est très étendu et le reste, à charge des patients pour les pathologies bénignes, est faible. Malgré cela nos dépenses sont plus élevées que nos recettes et parmi les plus élevées des pays de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE). Dans ce contexte on peut facilement se rendre compte que la structure des dépenses est particulièrement éloignée de l’intérêt des malades.

Les dépenses de soins en France sont parmi les plus élevées des pays de l’OCDE

En effet ce niveau de dépenses en très grande partie obligatoires ne renseigne que sur un point: nous ne manquons assurément pas de « moyens ». Ensuite quand on analyse la dépense on est stupéfait de constater les dérives étatiques et redistributrices. Qu’il s’agisse du coût faramineux de l’hôpital public, essentiellement en rapport avec le ratio personnel par lit parfaitement anormal (2,44 Equivalent Temps Plein/lit contre 1,63 en Allemagne), d’une consommation de médicaments – notamment d’antibiotiques – très supérieure aux besoins, d’un remboursement tous azimuts des transports sanitaires non urgents, ou bien de la prise en charge d’indemnités journalières à un niveau qui constitue tout simplement une redistribution de revenus pour convenance à certains assurés.
Des moyens de régulation à portée de main
L’Etat n’a pourtant pas manqué de « moyens » de régulation! En 1995,  Juppé, dans un élan bureaucratique et étatique sans précédent, a prétendu régler le problème de l’assurance maladie. Il a inventé les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) et les Agences Régionales de Santé (ARS), l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM), et en a disposé par ordonnances. Chaque année les députés font mine de discuter de l’ONDAM, bataillent sur les chiffres dans la plus grande hypocrisie et impuissance: la réalité dépassera la fiction étatique, c’est devenu une habitude, un mal français. Comme pour la croissance les hommes de l’état vivent dans un monde virtuel où, en décrétant 4% de croissance annuelle du Produit Intérieur Brut, on n’en fait pas la moitié, soit on décrète 2000 milliards de dépenses sociales que l’on dépasse allègrement sans qu’aucune mesure de restriction soit prise. Ainsi nous payons ce déficit depuis plusieurs années avec de l’emprunt fait sur les marchés, et donc de la dette dans les comptes de France Société Anonyme!
Juppé a aussi créé la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale, et fortement augmenté la Contribution Sociale Généralisée  (impôt de Rocard). Cette énorme réforme très coûteuse n’a bien sûr pas été associée à une rationalisation des moyens existants ni à une évaluation de l’efficience. Toujours la même logique : augmenter les impôts et ne rien changer aux dépenses qui s’envolent. Aujourd’hui le constat est sans appel : c’est un immense et coûteux échec. L’état a tous les leviers et il laisse les déficits s’accumuler; c’est donc bien lui la cause. Moins d’état, plus de mécanismes de marché, sont nécessaires pour sortir de cette spirale.
Des erreurs liées à l’omnipotence de l’état
 
A l’évidence il aurait fallu supprimer les couches inutiles du millefeuille administratif, comme les Directions Départementales des Affaires Sanitaire et Sociale et les Directions Régionales des Affaires Sanitaire et Sociale. Comme cette réforme était une étatisation totale de l’assurance maladie, on aurait pu aussi se passer des caisses de sécu locales et fusionner les caisses régionales avec les nouvelles Agences Régionales de Santé, notamment grâce aux technologies de l’information. Ces caisses régionales indépendantes et en concurrence pourraient très bien gérer leur budget et adapter l’offre à la demande. En particulier la question de la formation et de la répartition des professionnels de santé. S’agissant des médecins, c’est une des solutions pour pallier un échec itératif du numerus clausus, qui va encore s’aggraver au départ des baby boomers, laissant le pays dans une situation critique résultant d’un excès de planification.
L’efficience de cette réforme, qui se mesure d’abord globalement, est catastrophique. L’ONDAM n’a pas été respecté, sauf une année où l’excédent des caisses d’assurance maladie a été volé par l’Etat pour alimenter le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) des 35 heures de Mme Aubry! Belle exemplarité de l’Etat face aux aux « partenaires sociaux », et surtout aux cotisants, qui auraient dû avoir une ristourne. Pour autant cette « réforme », qui a largement épargné l’hôpital public, et surtout ses navires extrêmement coûteux que sont les Centres Hospitaliers Universitaires, a durci les contraintes tarifaires et réglementaires dans le secteur privé qui, dans un réflexe de survie, s’est profondément restructuré.
 
Oui mais voilà nous sommes toujours dans la bulle financière et seuls ceux qui ont accès au crédit facile ont pu faire les acquisitions en chaine pour grossir et écraser les autres, non dans une compétition du coût et de la qualité des services et des biens, mais dans une course financière à l’endettement pour atteindre le too big to fail. Ainsi le secteur commercial en est sorti renforcé par les fusions, ce que n’a pas fait l’hôpital public fragilisé par l’endettement, des marges critiques et la tutelle qui lui interdit de gérer. Dans ce contexte on remarque que les cliniques gérées par des médecins en activité sous la forme du business d’associés sont non seulement les plus rentables mais fournissent des services de très haute qualité. Les « groupes » eux font de la cavalerie avec l’aide des ARS dont les directeurs ne regardent que le % de lits supprimés. L’hôpital, lui, s’enfonce dans la crise organisationnelle et financière avec des ratios de personnels non soignants extraordinaires, mais confortables pour les syndicats qui cogèrent les établissements.
La T2A (tarification à l’activité)
Après la réforme Juppé plusieurs plans et réformes se sont succédés. Des réformes suivantes on n’en retiendra qu’une: la T2A. Elle est à mettre au crédit de Chirac qui a dû mettre tout son poids dans la balance pour que ce mode analytique, mais inflationniste , de paiement des services aux institutions de soins soit adopté dans le privé et surtout dans le public! D’énormes concessions ont cependant été consenties à ce secteur réputé rebelle à toute réforme: la T2A a été appliquée progressivement et avec des tarifs bien plus élevés pour les mêmes actes. Autant dire que les effets sont très différents dans les deux secteurs. C’était en creux ce qu’avait dit Chirac dans une de ces phrases qui ont tracé la voie vers le déclin: « il faut baisser la dépense publique, ce qui ne veut pas dire bien sûr diminuer le nombre de fonctionnaires ».  A l’époque la convergence entre les tarifs a été reportée, sinon sine die, tout au moins à 2012! Et en 2012 Sarkozy et Fillon ont reculé. De surcroît des fonds complémentaires viennent combler la différence entre la dotation globale et la T2A: les Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation par exemple, ce qui constitue une façon bien étatique de contourner la T2A.
Mais « plus ça change plus c’est pareil », les CHU continuent à coûter beaucoup plus cher que les CHG, et encore plus si l’on se réfère aux cliniques (bien évidemment pour les mêmes malades). Exemples:
 

CHU AYANT EN MÉDECINE LES TARIFS LES PLUS CHERS Tarif journalier de prestation CHU AYANT EN MÉDECINE LES TARIFS LES MOINS CHERS Tarif journalier de prestation
CHU Rouen, 1476 euros / jour Assistance publique Hôpitaux de Paris, 862 euros / jour
Hospices civils de Lyon, 1470 euros / jour CHU Nantes, 871 euros / jour
Assistance publique Hôpitaux de Marseille, 1444 euros / jours CHU Angers, 935 euros / jour

Données publiques de santé 2012 auxquelles a accès le CISS en tant que membre de l’Institut des Données de Santé (IDS).http://www.leciss.org/sites/default/files/140522_DP_RacHospitalisation.pdf

 
Comment peut on faire confiance à des administrateurs de la sécu qui acceptent de telles disparités alors que l’assurance maladie est en déficit? J’ajouterai que l’argument répété du coût de l’enseignement et de la recherche est tellement fallacieux qu’il faut redire que l’assurance maladie n’a pas à payer pour cela, et que c’est tout simplement un détournement de fonds… Mais en réalité cet argument est d’autant plus fallacieux que les hôpitaux non universitaires ont eux aussi des tarifs disparates et inexplicables par un service ou des biens médicaux différents. Exemple: « Un coût moyen de 2 115 euros pour l’hôpital et 1 204 euros pour une clinique.
À l’hôpital, le coût moyen d’une prise en charge est évalué à 2 115 euros. Il varie de 575 euros pour une séance (dialyse, chimiothérapie) à 4 564 euros pour un séjour de chirurgie. En chirurgie, une prise en charge ambulatoire coûte 1 315 euros alors qu’une « hospitalisation pour sévérité lourde » coûte 16 650 euros. En clinique, le coût moyen de prise en charge est près de deux fois inférieur à celui des établissements publics (1 204 euros en 2012). Il est de 449 euros pour une séance à 1 910 euros pour un acte chirurgical. La chirurgie fait le grand écart entre l’ambulatoire (900 euros) et un « séjour de sévérité lourde » à 8 000 euros. »
 
http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2014/07/21/la-prise-en-charge-deux-fois-plus-chere-lhopital-qua-la-clinique-selon-latih_704771
http://www.atih.sante.fr/methode-alternative-la-comparaison-des-couts-et-des-tarifs-campagne-tarifaire-2016 Ainsi la T2A n’a pas permis de dépenser mieux au profit des patients; elle a seulement permis de ralentir la dérive du budget global des hôpitaux publics. Dans l’état actuel la T2A comme moyen de facturation unique est inflationniste, et surtout ne fait pas progresser la qualité des soins. Il faut de toute urgence améliorer le classement en Groupes Homogènes de Malades des séjours en établissement de soins (Case Mix), comme il faut améliorer la Classification Commune des Actes Médicaux, et laisser les caisses et les assureurs négocier avec les établissements des modes alternatifs comme le paiement à la pathologie ou bien des bonus pour la réalisation des actes en ambulatoire, ou en ,tout cela en fonction du contexte régional.
Une dette qui ne cesse de galoper!
Qu’il me soit permis de souligner que l’on voit là le résultat catastrophique de la régulation étatique.
En réalité, et malgré le séisme du surendettement des pays industrialisés, nous sommes, s’agissant de l’assurance maladie, dans l’exercice du politique consensuel depuis 1945 , les ordonnances fondatrices servant toujours de justification politiquement correcte à cette gabegie. Il est aussi convenu de considérer cette course à la dette comme un des piliers du modèle social français. Voilà pourquoi, dans un exercice itératif, la presse et les gouvernements cherchent désespérément de nouveaux mots à mettre sur ce mal français: le déficit, le dérapage, le trou, le manque à gagner, les pertes, la dette de la sécu. Ce florilège a un nom: le renoncement.
 
Comment changer de politique: il ne faut ni tenter ni promettre de réforme, il suffit de libérer les acteurs
Réformer par le haut, par la loi et les décrets d’application est totalement vain, nous l’avons démontré. Des milliers de pages de lois et décrets, de rapports, d’avis très sévères de la Cour des comptes n’ont rien changé.
Il faut laisser faire les acteurs.
Il y a en effet, en France, des acteurs du système de soins qui sont efficaces. Par exemple les hôpitaux publics sont capables de s’auto réformer. Les médecins libéraux sont capables de contractualiser des modes d’exercice plus adaptés. Les cliniques sont capables d’accueillir toutes les urgences, toutes les pathologies, et de faire de l’innovation. Le seul obstacle est la rigidité centralisatrice du monopole de l’assurance-maladie.
Ce monopole a des conséquences dans tous les domaines:
– l’organisation des ressources humaines des hôpitaux publics est intouchable, essentiellement à cause des syndicats, qui sont eux-mêmes les administrateurs de la caisse nationale d’assurance-maladie : un conflit d’intérêt nuisible
– les médecins libéraux sont maintenus dans un cadre rigide et paupérisant qui s’appelle la » convention unique », et leurs syndicats touchent de substantielles subventions pour signer le texte à leur place, ce qui fait de la négociation conventionnelle un jeu dont les dés sont pipés
– les cliniques privées ne voient d’avenir que dans la croissance externe puisque les tarifs sont bas, non négociables, et que le coût du travail est très élevé en France, tout ceci au détriment de l’investissement et au profit des groupes par rapport aux entrepreneurs
– l’assurance maladie elle-même a des coûts de fonctionnement élevés qui pourraient facilement être réduits d’au moins 30% par l’autonomie de caisses régionales utilisant au maximum les technologies de l’information, et bénéficiant d’une concurrence entre elles. La dispersion des coûts entre les caisses par point d’activité ou par bénéficiaires est à cet égard bien connue.
C’est pourquoi, quelle que soit l’orientation idéologique qu’on adopte, il faut d’urgence laisser le marché, la concurrence, la liberté des tarifs et la responsabilité financière des acteurs conduire le changement. L’état aura suffisamment à faire en définissant le panier de  soins minimal obligatoire et les clauses légales d’un contrat d’assurance maladie.
Deux solutions s’offrent à nous. Si on est idéologiquement opposé à toute activité commerciale, il suffit de laisser les caisses régionales et les mutuelles offrir des contrats au premier euro sur tout le territoire. Leur concurrence fera baisser le coût des soins et stimulera l’innovation organisationnelle qui est gelée. En revanche, si on accepte la concurrence de tous les acteurs, il suffit de laisser les entreprises d’assurance publiques et privées faire leurs offres aux citoyens français – qui sont très avertis du droit des contrats, comme le démontre leur sagacité dans les choix d’achats de biens et services en général. Dans ce cas aussi une baisse du coût des soins sera observée, avec une poussée encore plus forte vers l’innovation organisationnelle et la désintermédiation, en raison notamment du dynamisme de ce secteur de start up en France.
Dans les deux cas, le dispositif d’assurance des économiquement faibles pourrait être amélioré avec deux options : celle de la Couverture Maladie Universelle (assujettie au même panier de soins indispensables), et celle d’un chèque soins qui permettrait au bénéficiaire de choisir lui aussi son assureur.
 
Guy-André Pelouze
 
Le Dr. Guy-André Pelouze est un chirurgien à Perpignan. L’original de ce texte est paru sur son site personnel Cosmosophy en date du 28 août 2016.

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