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Constantin Pavléas : «Nouvelle amende pour Google ou la difficulté de faire respecter les droits d’auteurs par les géants de la tech»

Google a écopé cette semaine d’une amende de 250 millions d’euros, l’Autorité de la concurrence lui reprochant de ne pas avoir respecté ses engagements concernant les droits voisins, qui permettent aux médias de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés sur Internet par les géants comme Google. 

S’il s’avère déjà très difficile de faire respecter une directive concernant les  plateformes numériques, il devrait être d’autant plus compliqué d’assurer que les auteurs de contenu soient bien rémunérés par les systèmes d’IA dans le cadre du nouveau règlement européen sur l’IA. 

La loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins est la transposition de la Directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins du 17 avril 2019. Elle met en place les conditions d’une négociation équitable entre éditeurs et agences de presse d’une part, plateformes numériques de l’autre. Ce cadre légal vise à protéger les acteurs de la presse en redéfinissant le partage de la valeur entre les parties concernées. Elle s’inscrit dans un contexte de profonde mutation auquel ce secteur est confronté depuis plusieurs années : un accroissement des audiences numériques accompagnant une diminution de la diffusion « papier », et une captation importante de la valeur publicitaire par les grandes plateformes numériques. C’est à l’Autorité de la Concurrence, une instance administrative indépendante chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, qu’a été confiée la mission de superviser l’application de cette loi, et elle a rapidement eu à arbitrer des conflits d’intérêt majeurs entre éditeurs de presse et moteurs de recherche.

Dès novembre 2019, soit quelques mois à peine après l’adoption de la loi, plusieurs syndicats d’éditeurs de presse ont déposé une plainte contre Google pour abus de position dominante et contournement de la loi. La multinationale refusait par principe une rémunération pour l’indexation de contenus et offrait aux éditeurs l’alternative suivante: soit renoncer à toute rémunération, soit voir leurs contenus s’afficher sous une forme minimale – juste un titre, un lien, sans photo-vignette ni extrait d’article pour attirer l’attention des internautes. Face à ce qu’ils ont considéré comme un coup de force doublé d’un chantage, la plupart des éditeurs se sont résignés à se plier aux exigences de Google, non sans l’attaquer devant l’Autorité de la Concurrence pour non-application de la loi. Cette dernière a pris des mesures d’urgence en 2020 sous la forme d’injonctions prononcées à l’encontre de Google. Face au non-respect de ces injonctions, la plate-forme a été sanctionnée à hauteur de 500 millions d’euros.

Un accord semblait avoir été trouvé en juin 2022, quand l’Autorité de la Concurrence a validé les engagements pris par Google de négocier avec les éditeurs le montant des droits voisins, et de transmettre aux médias concernés les revenus directs et indirects tirés de l’exploitation de leurs données. Dans la foulée, un mandataire avait été désigné pour assurer le suivi et les contrôle des engagements pris par Google.

Aujourd’hui, la situation entre Google et les éditeurs se tend d’autant plus que l’intelligence artificielle vient accentuer la propension de Google à ne pas respecter les contenus protégés dans ses modèles. L’Autorité de la Concurrence, estimant que Google n’a ni respecté son engagement de coopérer avec le mandataire, ni les engagements pris en 2022 de garantir aux médias concernés les revenus tirés de l’exploitation de leurs données, a condamné Google à une sanction de 250 millions d’euros. La plateforme s’étant engagée à ne pas contester les faits, elle a pu bénéficier d’une procédure de transaction. 

Ce non-respect de la loi sur les droits voisins par un géant du numérique démontre une nouvelle fois la nécessité de renforcer l’arsenal juridique des Européens face à la puissance américaine, et valide en particulier la pertinence des deux règlements qui visent spécifiquement les grandes plateformes numériques : le Digital Services Acts (DSA), entré en vigueur en février 2024, et surtout le règlement sur l’IA, qui vient tout juste d’être adopté à une très large majorité par le Parlement européen. 

Néanmoins, on constate qu’il est déjà difficile pour les auteurs de contenu (médias notamment) de négocier avec les géants de la tech pour obtenir une rémunération dans le cadre de la directive droit d’auteur, qui institue pourtant un droit voisin. Le nouveau règlement sur l’IA, quant à lui, ne prévoit pas de droit voisin. Cela sera donc d’autant plus difficile aux éditeurs de contenu de se faire entendre. 

Afin de résoudre ce problème, un droit dérivé pourrait être créé afin de rémunérer les auteurs de contenu dont l’œuvre a été utilisée à des fins d’entraînement des algorithmes. Enfin, pour éviter l’écueil d’interminables négociations entre les parties prenantes dans chaque pays de l’Union européenne, le nouveau droit voisin pourrait être rémunéré par un fonds européen d’indemnisation des auteurs de contenu financé par les acteurs économiques exploitant des systèmes d’intelligence artificielle générative . 

Constantin Pavléas

Avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies 
Fondateur et dirigeant du cabinet Constantin Pavléas Avocats
 

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