Article 40 de la Constitution et PPL retraites de la niche RN
Le groupe RN a inscrit dans sa niche du 31 octobre 2024 en tant que premier texte à examiner une proposition de loi (PPL) visant à abroger la réforme des retraites de 2023 (ramenant à 62 ans l’âge de départ à la retraite et à 42 annuités la durée cotisation).
1°) La question de la recevabilité de la PPL au moment du dépôt
– Lors de son dépôt, la PPL a été considérée recevable (comme celle de LIOT sous l’ancienne législature) même si son dispositif aurait pu être considéré irrecevable sur le fondement de l’article 40.
– Pour rappel, l’article 40 prévoit que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». L’article 40, qui demeure l’un des rares articles de la Constitution resté inchangé depuis 1958, constitue une limitation centrale du pouvoir d’initiative des parlementaires, sous couvert de justification financière. En effet, seuls les parlementaires sont visés, conformément à l’esprit du parlementarisme rationalisé, le Gouvernement n’étant pas concerné. Il interdit toute création ou aggravation d’une charge publique et n’autorise la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où elle est compensée par l’augmentation d’une autre ressource.
– L’étude d’une charge s’apprécie de manière juridique et non budgétaire. Ce n’est donc ni l’impact financier ni la sincérité du gage qui sera retenu pour la qualification.
– Les PPL sont soumises à la règle de l’article 40. Un contrôle est effectué depuis 1959 par le Bureau de l’Assemblée nationale au moment du dépôt de la PPL. Mais la pratique de l’article 89 du Règlement de l’Assemblée Nationale (RAN) est plus favorable à l’initiative parlementaire dans ce cas-là. Il est de tradition que la délégation du Bureau tolère l’inscription d’une PPL qui ne respecte pas cette règle, si celle-ci comporte un gage de compensation.
– Attention, la PPL « n’est pas pour autant purgée de son irrecevabilité et son éventuelle inscription à l’ordre du jour ouvre la possibilité de son contrôle incident » (rapport Woerth). L’irrecevabilité peut donc être soulevée a posteriori (après le dépôt).
2°) La recevabilité des amendements de la PPL en séance
– La PPL a été vidée de sa substance en commission des affaires sociales le 23 octobre car le NFP et les députés du socle commun n’ont pas voté pour les articles de la PPL RN. Il ne reste plus dans le texte que des demandes de rapports.
– Les articles supprimés ont été redéposés par voie d’amendement. L’article 89 du RAN permet au président de la commission des finances ou au rapport général de soulever l’irrégularité. Mais les deux sont favorables à un retour sur la réforme, le groupe LFI ayant décidé de déposer une PPL similaire dans sa niche de novembre.
– Comme pour la PPL LIOT (le 7 juin 2023), la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a décidé d’apposer formellement l’article 40 de la Constitution sur la quasi-totalité des amendements de réécriture des articles supprimés en commission. Le groupe LIOT a alors fini par retirer la PPL de sa niche vidée de sa substance, ce que pourrait faire le groupe RN.
3°) Un sort similaire pour la PPL LFI de la niche du 28 novembre ?
– La PPL pourrait cette fois-ci être adoptée en commission si le RN décide de soutenir cette initiative (même si le NFP ne l’a pas fait pour sa niche). On a vu à plusieurs reprises sous l’ancienne législature le RN s’associer aux votes proposés par la NUPES, comme des motions de censure. La PPL avec ses articles serait alors discutée en séance et pourrait être votée.
– Mais, un contrôle incident pourrait être effectué d’une autre manière :
· selon l’alinéa 4 de l’art. 89 du RAN : « Les dispositions de l’art. 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies, par le Gouvernement ou par tout député. » Il est donc possible pour tout député ou le Gouvernement de soulever ce motif pendant le débat en commission ou dans l’Hémicycle.
· Les saisines par le Gouvernement demeurent exceptionnelles. Néanmoins, il existe quelques exemples, comme dans le cadre de l’examen du projet de loi organique relatif à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, le président de la commission des finances fut saisi par la secrétaire d’Etat à l’Outre-mer de deux dispositions du texte de la commission des Lois, issues d’amendements adoptés. Lors du débat en séance publique, la Présidence informa l’Assemblée de l’irrecevabilité de ces deux dispositions. Lors de la saisie à l’Assemblée de la recevabilité d’un article de la proposition de loi relative au financement paritaire des écoles élémentaires publiques et privées, déposée et adoptée au Sénat, le président de la commission des finances se déclara incompétent pour statuer.
· Selon Jean René-Cazeneuve (article de l’Opinion en date du 25 mai), 18 propositions de loi ou amendements ont été déjà jugés irrecevables en application de l’article 89 aliéna 4 depuis 2009.
En outre, même si la PPL est adoptée à l’Assemblée nationale, cela ne veut pas dire que la réforme est entérinée. Il faudrait également que le Sénat vote la PPL (en terme identique), ce qui est peu probable. De même, si le Sénat a voté pour la PPL mais en modifiant quelques articles, il faudrait convoquer une Commission Mixte Paritaire. Pour cela, il faut une demande des présidents des deux assemblées conjointement (article 45 de la Constitution), ce qui là encore semble peu plausible. Enfin, même si la PPL est votée dans les deux chambres (ce qui est très incertain) le Conseil Constitutionnel pourrait également être compétent pour effectuer un contrôle de la recevabilité de l’article 40.
Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire
de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac
paru le 17 octobre 2023 aux éditions L’Harmattan
Si la fonction législative de l’Assemblée et du Sénat est généralement bien connue du grand public, leur mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques l’est moins. L’idée que le Parlement n’aurait pas les moyens d’exercer ce rôle demeure. Ainsi, malgré les progrès constatés, la « culture du contrôle » n’est pas encore pleinement intégrée dans les mœurs.
Inscrite dans la Constitution, elle est pourtant essentielle dans un État de droit. Devenu un véritable contre-pouvoir, le contrôle parlementaire ne se résume plus à renverser le Gouvernement mais bien à analyser les situations, identifier les difficultés, discuter et vérifier l’activité gouvernementale, afin de lui demander des comptes.
Volontairement tourné vers la pratique, l’ouvrage décrypte le contrôle afin de permettre à tous de se saisir des enjeux techniques et politiques qu’implique ce pouvoir. Chaque chapitre est consacré à un outil de contrôle, avec à chaque fois un « bon à savoir ». Protéiformes et en constante évolution, ces instruments contribuent aujourd’hui plus que jamais à la qualité des débats parlementaires et des décisions politiques, méritant l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la bonne santé démocratique du pays.