75 ans après la shoah, la France gangrénée par la montée d’un nouvel antisémitisme
C’est un sondage qui a fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière. Et pour cause : alors que les nations du monde entier s’apprêtaient à commémorer le 75ième anniversaire de la libération du camps d’Auschwitz-Birkenau, à Jérusalem, l’American Jewish Committee (AJC) publiait, le 22 janvier, une “radiographie de l’antisémitisme en France”. Les chiffres de cette étude, réalisée avec la Fondation pour l’innovation politique et l’IFOP, confirment l’installation d’un nouvel antisémitisme dans le pays des droits de l’homme. Ce phénomène avait déjà été dénoncé par 250 personnalités françaises lors des rebondissements de l’affaire “Sarah Halimi” en 2018.
Néanmoins, l’étude de l’AJC a le mérite de mettre des chiffres concrets sur ce fait de société inquiétant. Selon cette dernière publication, 70% des Français de confession ou de culture juive déclarent avoir été victimes d’un ou de plusieurs actes antisémites. Dans le détail, 64% des personnes interrogées indiquent avoir subi au moins une fois une agression verbale antisémite, et ils sont 22% à estimer avoir subi une menace d’agression du fait de leur appartenance à la communauté juive.
Résultat : le sentiment d’insécurité à résider dans l’hexagone monte en flèche. Un tiers des Français de confession ou de culture juive se sentent menacées en raison de son appartenance religieuse. Cette proportion est bien supérieure à celle observée au sein de l’ensemble de la population française (8%). Ce sentiment de menace est encore plus fréquent chez les jeunes de moins de 35 ans (43%). Rien d’étonnant d’apprendre que plus de 40% des juifs de France se disent prêts à partir. Ils sont d’ailleurs 7.000 s’être déjà installés en Israël depuis 2014.
Des statistiques surprenantes ? Pas vraiment. En février dernier, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner révélait une forte hausse des actes antisémites : + 74% entre 2017 et 2018 ! Les racines de cette peur sont donc loin d’être infondées.
Ces données font échos également à l’étude d’IPSOS commandée par la Fondation du judaïsme français, publiée dans le JDD en janvier 2016. Durant 18 mois, l’institut de sondage avait enquêté sur le “vivre ensemble” en France et plus particulièrement sur la façon dont sont perçues les communautés juives et musulmanes. 41% des Français trouvaient les juifs trop présents dans les médias. Plus d’un sondé sur 3 pense “qu’il y a trop de juifs en France”.
Les préjugés sur les juifs ont la dent dure : 56% des Français affirmaient en 2016 que les juifs sont “beaucoup plus riches que la moyenne.” Une idée qui a, rappelons-le, coûté la vie à Ilan Halimi en 2006 : les kidnappeurs étaient persuadés qu’en enlevant ce jeune homme de 24 ans la famille allait leur verser une somme rondelette, malgré l’apparente modestie de ces derniers. En vain : l’enlèvement s’est éternisé et Ilan Halimi est décédé suite aux tortures infligées.
Un autre sondage, publié dans Marianne cette fois, en février 2019, avait également relayé la (mauvaise) opinion des Français envers la communauté juive : 27% des Français sont d’accord avec au moins deux affirmations antisémites. Ce taux augmente à 59% au sein du mouvement des gilets jaunes.
En janvier 2020 malheureusement rien n’a changé : un Français sur 5 affirme avoir déjà entendu du mal des juifs.
“Les résultats de ces sondages sont préoccupants, puisque nous en déduisons que de 20 à 35% (ou plus) des sondés pensent que les juifs sont riches et/ou qu’ils auraient une forte influence dans la société. Les stéréotypes ont donc la vie dure et longue. Ils s’actualisent et se répandent très rapidement, ce phénomène étant amplifié par les réseaux sociaux”, prévient Marc Knobel, historien et Directeur des Etudes au Conseil Représentatif des Institutions Juives de France.
Et même si le discours d’Emmanuel Macron à l’occasion de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv en juillet 2017, tranche sur celui de ses prédécesseurs, celui-ci affirmant publiquement, chiffres à l’appui, la culpabilité du régime de Vichy dans la déportation des juifs français, les efforts de pédagogie dans les programmes des petits élèves de l’hexagone manquent encore cruellement.
“Si les stéréotypes se répandent rapidement, par contre, le temps de la déconstruction des stéréotypes et de l’éducation est beaucoup plus long. Il implique que différents acteurs, comme des formateurs et des enseignants soient formés à la tâche. Afin de déconstruire en classe les stéréotypes”, souligne Marc Knobel.
Comme le constate l’historien, “le temps manque et la haine progresse dangereusement”.
Julie Leclerc
Cédric Leboussi
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