22 FEVRIER 1996: « LE SOLDAT Français PERD SA PLACE DANS LA NATION »
Les trois coups marquant le lever de rideau de la « révolution » dans les Armées, ont été frappés le 22 février 1996. Ce jour-là, au cours d’un entretien télévisé, M. Jacques Chirac, Président de la République, avait annoncé sa décision de suspendre le service militaire obligatoire, et de passer à l‘armée de métier. Les responsables militaires, chuchotait-on, n’avaient pas été mis dans la confidence. Ne venaient-ils de porter sur les fons baptismaux un Livre blanc où l’on magnifiait ce service militaire qui, engageant tous les citoyens, donnait une crédibilité sans équivoque à notre politique de dissuasion ? Mais de cela le Président n’avait cure. Chef des Armées, il avait décidé de donner à la France, selon ses termes, une Défense «plus efficace, et plus moderne, et moins coûteuse ».
Je n’ai pas souvenir qu’un seul élu se soit alors dressé contre cette décision, évidemment propre à réjouir le cœur des jeunes électeurs de tout bord. Et d’ailleurs affirmaient en chœur nos représentants, ce Service dont près d’un tiers des appelés étaient dispensés était devenu inégal, impropre à créer le brassage social. Et la Grande Muette, respectueuse, s’était alors interdit de rappeler à ces mêmes élus qu’ils étaient les premiers responsables, par leurs interventions, de cette injustice sociale qu’ils faisaient mine de dénoncer avec l’hypocrite componction qui convenait.
Près de 15 ans plus tard, le 9 Décembre 2010, vient de se tenir à Paris un colloque sur la place du soldat dans la Nation. Ne rassemblant pour l’essentiel que des militaires et des élus membres des commissions de Défense des Assemblées, il est resté largement ignoré des médias. Il a donc fallu attendre, publié sur le site de l’ASAF (1), le compte-rendu du Général (2S) F. Torrès, tout à la fois limpide et nuancé, pour en découvrir le constat majeur : « Tous les intervenants ont reconnu qu’il existait un fossé entre l’armée et la société, et que ce dernier irait en s’aggravant si rien n’était fait pour rétablir les liens ». Les fossés, dans notre société éclatée où, par exemple, les salaires se situent sur une échelle de 1 à 300, sont choses banales. Pourquoi donc faudrait-il s’émouvoir de celui qui séparerait désormais l’Armée de la Nation ? En effet, renonçant à imposer à tous les citoyens ce que certains appelaient autrefois « l’impôt du sang », la France a choisi de confier ses armes à des volontaires. La « Servir » est donc devenu un métier, avec ses risques spécifiques certes, mais délibérément acceptés sans nulle contrainte. Et pourtant ces volontaires, si l’on en croit certains participants au colloque, nourriraient le sentiment amer d’être tenus à l’écart de la Cité, troupe d’exécutants sans voix, peu ou pas considérée. L’Armée, dit le Général (2S) Thomann, a perdu son « rang » dans la société. Dans ce cas, n’est-il pas légitime, et prudent, de se demander s’il y aura encore longtemps des volontaires acceptant de mourir pour une Cité qui les dédaigne ?
Comment se manifeste cette absence de considération ? On pourrait, dans un désordre un peu impressionniste, relever quelques arguments avancés au cours de ce colloque de Décembre: la menace à nos frontières ayant disparu, la notion de « défense » s’est étiolée, remplacée dans les esprits par celle de « sécurité » davantage dévolue à des Forces spécifiques, Police et Gendarmerie. Les Armées, désormais faites de professionnels, sont donc réduites à une sorte de corps expéditionnaire en charge, hors du territoire national, de la défense de nos intérêts et de nos ressortissants ; et bien sûr appelé à participer à toutes actions découlant de nos accords de défense particuliers, et de notre appartenance à des organisations plurinationales. Mais en se délitant, la notion de « défense » a entraîné à son tour l’éloignement du concept de guerre. Le soldat s’est transformé en soldat de la paix : « digne héritier des soldats de l’an 2, les couleurs qu’il défend plus que jamais sont celles de la Liberté, de l’Egalité, et de la Fraternité » (2). Dès lors le fossé s’élargit entre les citoyens et leur Armée de volontaires : celle-ci en effet, sur décision politique, est désormais engagée hors de nos frontières dans une sorte de « défense de l’avant » aux contours brumeux pour nos concitoyens. Ceux-ci, peu et mal informés, se demandent par exemple ce que font encore nos soldats en Afghanistan, où le Président Karzaï en personne, accablé par les dommages