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14 juillet: Narendra Modi reçu en grande pompe par l’Elysée, une visite controversée

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Le Premier ministre indien est l’invité d’honneur de ce 14 juillet à Paris. Devenue cinquième économie mondiale, l’Inde de Narendra Modi a également opéré un virage illibéral. Sa visite en France soulève autant de questions stratégiques que de problématiques liées aux valeurs démocratiques. Accusé d’être à l’origine d’une dérive autoritaire de son pays, la réception en grande pompe par Emmanuel Macron est vivement critiquée par les défenseurs des droits de l’homme, alors que l’Élysée parle d’un partenaire « incontournable ».

Critique du respect des droits humains en Inde

« Il est profondément inquiétant que la France célèbre les valeurs de liberté et d’égalité avec un dirigeant très critiqué pour avoir ébranlé la démocratie en Inde », s’indigne Philippe Bolopion de l’ONG Human Rights Watch.

D’après les organisations internationales de défense des droits de l’Homme, Narendra Modi fait glisser l’Inde vers un régime autoritaire depuis son arrivée au gouvernement en 2014.

D’après le rapport de Reporters sans Frontières (RSF), publié en mai 2023, la liberté de la presse est fortement menacée en Inde, sous l’autorité de son Premier ministre. Effectivement, l’Inde est classée 161e sur 180 pays. Dans ce classement, le pays perd donc onze places en un an.

RSF détaille que « Les journalistes indiens un peu trop critiques sont l’objet de campagnes d’attaques et de harcèlement tous azimuts » et « la loi indienne, théoriquement protectrice, est instrumentalisée à une échelle toujours plus grande contre les journalistes critiques du gouvernement ».

Amnesty International, ONG de protection des droits de l’Homme, pointe entre autres : la « répression brutale » contre les minorités religieuses, notamment musulmanes, les restrictions aux libertés de réunion et d’expression, ainsi que les arrestations arbitraires de figures critiques du pouvoir.

La Ligue des droits de l’Homme (LDH France) critique cette invitation, qui selon elle : « envoie à nouveau un signal catastrophique en termes de négation de nos valeurs démocratiques ». Il s’agit de la troisième visite de Narendra Modi en France, sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Le 12 juillet, un ensemble de représentants syndicaux et associatifs expriment leurs « inquiétudes face à la restriction majeure de l’espace civique, aux atteintes aux droits humains et aux violences récurrentes en Inde » dans une tribune Médiapart. Ils demandent au gouvernement français de s’exprimer contre ces discriminations et ces abus et d’annuler la venue de Narendra Modi.

« Depuis l’accession au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP), parti d’extrême droite nationaliste hindou en 2014, la situation des droits humains et des libertés fondamentales en Inde ne cesse de se détériorer. La répression et la violence d’État subies par les minorités, en particulier les minorités religieuses, ethniques ou encore de genre, et toute la société civile, les journalistes, les avocat·e·s ou les syndicalistes ne cesse de croître. Elle se traduit de différentes façons, en particulier les arrestations et intimidations de militant·e·s, les « cas fabriqués » contre des leaders communautaires ou des défenseur·e·s des droits humains, les assassinats de journalistes et les attaques multiformes contre les ONG critiques. »

Dans cette même tribune, ils constatent également la multiplication des accusations de « sédition » et de « terrorisme » ou encore l’imposition d’un récit stigmatisant, marquant la volonté d’isoler ces citoyens du reste de la nation en les accusant d’être des « traîtres à la patrie ».

L’Inde : la plus grande démocratie au monde ?

Christophe Jaffrelot, politologue français, oppose des arguments moraux à la visite de Narendra Modi : « Les valeurs de la Révolution française, que symbolise le 14 Juillet, dénotent avec le personnage invité ». Il ajoute que selon lui, « permettre à un leader de plus en plus autoritaire d’y participer lui permet d’en tirer parti pour accroître sa popularité ».

La Constitution indienne de 1947 a mis en place une république fédérale et parlementaire, inspirée des institutions de la puissance coloniale britannique. Séculier et multiconfessionnel, ce pays fut souvent considéré comme « la plus grande démocratie du monde ». En 2014, cette vitrine s’est ternie avec l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi.

Révisionnisme, instrumentalisation de la justice, recul de la liberté d’expression, complicités face à la persécution des minorités : de l’avis d’observateurs indiens et internationaux indépendants, l’Inde vit actuellement une profonde régression démocratique.

« La France et l’Inde sont liées par un attachement partagé à la démocratie », lit-on sur le site du Quai d’Orsay. Malgré cela, l’Élysée n’a pas souhaité utiliser l’élément de langage de « la plus grande démocratie au monde » lors de la présentation de la visite à la presse. À la présidence française, l’on préfère parler du « caractère désormais incontournable de ce partenariat et de cette relation » avec l’Inde.

Une visite hautement stratégique

Cette visite du Premier ministre indien intervient alors que le partenariat stratégique entre la France et l’Inde fête ses vingt-cinq ans. « Nous sommes à un tournant et nous sommes impatients de travailler à une feuille de route pour les vingt-cinq prochaines années du partenariat », a déclaré Narendra Modi.

« Outre les questions de défense, la visite sera l’occasion de marquer de nouveaux progrès, que ce soit sur la question des satellites d’observation, de la coopération en matière de vols habités, de lancements de satellites », indique l’Elysée.

Plusieurs annonces sont attendues dans le domaine de la défense, qui constitue la colonne vertébrale du partenariat franco-indien. L’Inde cherche à accroître ses capacités militaires pour contrer son voisin chinois. Ainsi, elle pourrait officialiser la commande de 26 avions Rafale Marine de Dassault, ce qui lui permettrait de renforcer ses capacités de projection dans l’océan Indien. L’armée indienne a déjà commandé 36 Rafales à Dassault.

New Delhi pourrait également commander trois sous-marins de classe Scorpène à Naval Group. Six vaisseaux de ce type ont déjà été construits sur le sol indien, en partenariat avec le constructeur français et mis en service par la marine indienne.

Ce 14 juillet, trois avions Rafales indiens survoleront les Champs-Elysées, où des représentants des Armées indiennes défileront parmi les militaires français, sous le regard des hauts responsables français et de la délégation indienne conduite par son Premier ministre.

Sur le plan culturel, de nouvelles initiatives sont attendues pour intensifier les échanges entre les sociétés civiles, au niveau des entreprises comme de la jeunesse. L’Elysée indique que « Emmanuel Macron avait fixé l’objectif, en 2018, de 20.000 étudiants indiens en 2025. Nous devrions terminer l’année avec environ 10.000 étudiants ».

Au niveau international, l’Inde plaide pour une refonte totale des instances onusiennes et souhaite être intégrée au Conseil de sécurité de l’ONU. Une demande soutenue par la France qui considère comme une anomalie cette absence au sein du « P5 ». La France perçoit également l’Inde, troisième pollueur mondial, comme un partenaire indispensable pour tenir les engagements climatiques pris par la communauté internationale.

L’Elysée explique qu’il est nécessaire « de pleinement les engager pour obtenir des résultats sur les grands enjeux globaux, a fortiori une année où l’Inde est à la présidence du G20 ».

Des tensions en vue ?

Il reste des pierres d’achoppement entre New Delhi et Paris, notamment concernant la guerre en Ukraine. Au nom d’une amitié de plus de soixante-dix ans avec la Russie, l’Inde a refusé de condamner explicitement l’agression russe à l’ONU.

L’Inde a tiré profit des sanctions occidentales à l’encontre de la Russie, puisqu’elle importe désormais des quantités phénoménales de pétrole à des prix défiant toute concurrence. « En achetant du pétrole brut à la Russie que nous raffinons pour le rediriger vers l’Europe notamment, nous avons stabilisé le marché pétrolier international », défend Jawed Ashraf, l’ambassadeur indien en France. L’Inde est aujourd’hui la deuxième importatrice de pétrole russe au monde.

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