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Scénario macro-économique 2017-2018 : la concordance des temps

 

Le temps politique est long. Celui des marchés financiers extrêmement court. Enfin, celui de l’économie réelle pourrait être qualifié de temps intermédiaire. Il faut réconcilier ces trois temps différents pour composer un scénario économique et financier sans trop de discordances. Un scénario dans lequel le cycle prospère, voire se raffermit, sous réserve que les risques politiques ne se matérialisent pas par un resserrement drastique des conditions financières.

Brexit, élection de Donald Trump aux États-Unis, programmes de rupture proposés aux électeurs en Europe : les ambitions politiques sont grandes, les solutions radicales, les histoires séduisantes. Une histoire américaine enthousiasmante au point de séduire les marchés, crédules, puis de les décevoir. Les agents, notamment les ménages, semblent faire preuve d’une plus grande perspicacité. Ils savent que la potion peut être amère avant que de très (très) éventuelles améliorations concrètes, en termes notamment d’emploi, de salaires, ne se dessinent. Le cycle se raffermit donc de façon « spontanée », sans stimuli budgétaires, mais sous le regard nécessairement bienveillant des Banques centrales.

UN RAFFERMISSEMENT PLUS SYNCHRONE

Les performances respectives des différentes grandes économies ou grandes zones ne sont pas toutes aussi brillantes, mais elles s’améliorent toutes. La consommation demeure le moteur puissant de ce raffermissement plus synchrone et dans lequel la légère accélération de l’inflation ne constitue pas un danger. Créations d’emplois, progression des salaires, coût de l’endettement et inflation toujours contenus mais, point important, dont la hausse est anticipée : les ménages arbitrent et, finalement, semblent ne rien sacrifier. Tardivement, modestement et inégalement, l’investissement vient raffermir le cycle. Enfin, la demande de ceux qui font la course en tête (dont les États-Unis) apporte un soutien à ceux dont la croissance est moins vive et moins gourmande en importations (dont la zone euro). Le cycle économique se renforce et prospère. Au Royaume-Uni, aux États-Unis, il semble avoir digéré les chocs politiques avérés que sont le référendum en faveur du Brexit et, surtout, l’élection de D. Trump. En zone euro, il ne paraît pas altéré par l’imminence d’élections décisives.

CHOC POLITIQUE, FRÉMISSEMENT FINANCIER, « RÉSILIENCE » RÉELLE

Qu’il s’agisse du Brexit mais surtout de l’élection de D. Trump, les changements politiques récents constituent pourtant bien des chocs. Il ne s’agit plus de simplement déplacer le curseur de la politique économique vers un peu moins d’État, d’impôts et de protection sociale. Il s’agit de panser les blessures d’un grand corps social malade en désignant des boucs émissaires et en diabolisant notamment le « Reste du monde ». Les objectifs sont ambitieux. Sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’efficacité des solutions proposées, il suffit déjà de constater qu’elles sont surtout radicales. Paradoxalement tellement radicales qu’elles ne se concrétisent pas aussi rapidement qu’on pourrait l’espérer pour ceux qui parient sur leur efficacité, le redouter pour ceux qui les jugent inappropriés et dangereuses. L’impact direct sur l’économie réelle, sur les comportements des agents est à court terme mineur car il faut franchir des obstacles institutionnels et/ou obtenir l’assentiment des parlements nationaux. L’impact se fait par « ricochet ». Les recettes proposées sont certes susceptibles d’affecter les anticipations des agents. Mais, surtout, elles exercent une influence décisive et immédiate sur les marchés.

Ainsi l’élection de D. Trump. Outre l’abrogation de l’Obamacare (Affordable Care Act ou ACA), l’assez présomptueux « Make America Great Again » promet une baisse des impôts dans le cadre d’une ambitieuse réforme fiscale, une forte réduction de la règlementation pour « libérer » les entreprises, le lancement d’un vaste programme de travaux d’infrastructures et une politique protectionniste en termes de commerce international. Les marchés ont acheté ce discours revigorant sans discernement. Ils se sont lancés dans ce désormais fameux « Reflation Trade » alors même que le calendrier, la nature et l’ampleur de la relance budgétaire étaient incertains, si ce n’est inconnus. Relance budgétaire (sans même aborder la question de son financement et encore moins s’interroger sur son ampleur et son impact) et accélération de la croissance au risque d’un soupçon d’inflation supplémentaire : un scénario propice à une appréciation du dollar, aux marchés actions, mais porteur d’une remontée des taux d’intérêt. Leurs spéculations enthousiastes ont été largement déçues par une première déconvenue. D. Trump éprouve des difficultés à fédérer les différentes factions du Parti républicain, afin de mener à bien la réforme de la protection sociale qui doit remplacer l’ACA. La marge de manœuvre est en effet étroite : il faut satisfaire les Républicains les plus radicaux qui jugent les modifications proposées insuffisamment audacieuses, tout en ne s’aliénant pas les élus modérés. Une déconvenue et un mauvais signal sur la capacité de l’administration à mettre en œuvre son programme. Les marchés actions n’ont pas apprécié. Le resserrement des conditions financières était un risque mentionné en décembre. Il reste à l’ordre du jour et justifie que la Federal Reserve se montre vigilante.

RESSERREMENT MONÉTAIRE GRADUEL ET REMONTÉE MODÉRÉE DES TAUX LONGS

La mise en œuvre de politiques monétaires moins généreuses est dans l’air du temps. Les États-Unis ont ouvert le bal. Le resserrement monétaire est cependant un exercice autrement plus périlleux que l’assouplissement. Les risques ne sont pas symétriques. Même si le cycle le justifie, priver une économie et, surtout, des marchés financiers d’un ingrédient essentiel de leur succès ne peut se faire que très (vraiment très) graduellement. Les Banques centrales seront donc vigilantes, ne retirant ou n’envisageant de retirer qu’à dose homéopathique leur soutien monétaire. Elles ne peuvent prendre le risque de voir remonter violemment les taux longs. Ceux-ci s’inscrivent sur une pente ascendante : une pente douce.

Par Catherine Lebougre, Direction des Études Économiques de Crédit Agricole S.A.

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