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Radicalisation djihadiste de la jeunesse, aller à la racine du problème par Michel Fize,sociologue et auteur de Radicalisation de la jeunesse, la montée des extrêmes, Eyrolles.

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« Radicalisation », le monde politique et les médias n’ont désormais que ce mot à la bouche. Impossible de « raisonner » les violences extrêmes avec d’autres mots. Exit l’« extrémisme », le « fanatisme », l’ « intégrisme » ! « Radicalisation », le djihadisme en aurait le monopole ; lui-seul pourrait prétendre à ce qualificatif qui ressemble tout de même à une « appellation contrôlée ». Pas de radicalisation « politique », ni « culturelle », ni « sportive », que sais-je encore ? Juste une radicalisation islamiste (car on ne parle pas non plus, ou fort peu, de radicalisation catholique ou juive par exemple). Nous refusons ce diktat sémantique. Ainsi, dans Radicalisation de la jeunesse, la mondée des extrêmes, publié chez Eyrolles, intégrons-nous, à côté de la radicalisation djihadiste, la radicalisation politique frontiste (FN) dans la réflexion globale, laissant sciemment de côté la radicalisation d’extrême-gauche de type anarchiste, telle qu’elle a pu s’exprimer lors du mouvement Nuit Debout, qui mérite un examen spécifique. Qu’entend-on au juste par « radicalisation » ? L’étymologie nous renvoie au mot « racines », le dictionnaire de la langue française associe aussi à ce mot des mots parents comme « radical » ou « radicalité ». C’est dire combien nombre de choses peuvent être radicales et/ou conduire à de la radicalisation : une parole, une attitude. L’abstraction introduite en peinture par Picasso fut une radicalisation de son art, le surréalisme introduit par André Breton révolutionna, lui, la poésie. Jean-Luc Godard « radicalisa » le cinéma, tandis que Michel Butor mit au point une nouvelle façon de « faire littérature », tout aussi radicale que le cinéma de Godard. Mais ouvrons le chapitre de la radicalisation djihadiste chez les jeunes.

C’est un sujet plus complexe qu’il n’y paraît. Pour bien en parler il ne suffit pas d’être un spécialiste de l’Islam comme Olivier Roy ou Gilles Kepel, il faut être aussi, et peut-être d’abord, un spécialiste de la jeunesse, ce que je suis. Disons cependant quelques mots des thèses divergentes sur le sujet de Roy et Kepel. Tandis que le premier soutient que les jeunes radicalisés djihadistes sont des jeunes fascinés par la violence et le nihilisme, en quête de mort sublime, tout ceci sans lien (juste un peu avec le salafisme), sans lien donc avec l’Islam, religion-prétexte en quelque sorte, le second Commençons par quelques données chiffrées. – 15 000 personnes figureraient aujourd’hui au fichier des individus radicalisés. – 18 % seraient des mineurs (soit 2 700), dont une majorité de filles (le plus jeune radicalisé est âgé de 11 ans et l’on observerait les premiers signes de radicalisation chez des élèves de CM1-CM2). 2 700 donc, soit une hausse de plus de 120 % depuis janvier dernier. – 17 mineurs seraient engagés dans les zones de combat (sur un total de 689 Français engagés). 6 de ces mineurs auraient été tués. 37 mineurs sont mis en examen et 14 incarcérés. Par ailleurs, 600 sont suivis par la Protection judiciaire de la Jeunesse. – 1 400 détenus sont étiquetés « radicaux » dans les 188 prisons françaises, dont 525 poursuivis pour faits de terrorisme (80 % sont des prévenus) répartis dans 50 établissements. 89 radicalisés sont regroupés dans les 4 Unités de prévention de la radicalisation (UPRA). A travers ces chiffres, se dégage un premier constat : des mineurs en nombre croissant dans les rangs du djihadisme. Le deuxième constat est la présence, en nombre croissant aussi, de filles séduites par la cause djihadiste : un millier sans doute. Tandis qu’il y a encore deux ou trois ans, les filles partaient en Irak ou en Syrie pour s’y installer dans une vie de bonne épouse et de bonne mère, aujourd’hui elles vont y combattre … comme les hommes. Elles combattent aussi sur le territoire national à l’image de ce commando « à la bonbonne » impliquant quatre femmes âgées de 19 à 39 ans, dont deux fichées S, qui projetaient en septembre dernier un attentat dans le quartier Saint-Michel. Une dernière chose. On parle à présent d’« enfants Daech ».

Il y en aurait entre 130 et 140, âgés de moins de 4 ans, très endoctrinés et déjà très violents pour leur petit âge. S’agissant du profil social des jeunes djihadistes, la majorité, sinon la presque totalité, appartient à « la seconde génération », selon les termes pudiques d’Olivier Roy pour qualifier des jeunes d’origine maghrébine ou de confession musulmane (par conversion quelquefois). Dire que ces jeunes sont de toutes origines sociales est donc une grossière exagération. Certes beaucoup de jeunes peuvent être des djidahistes en puissance. Il peut donc s’en trouver de milieu social aisé, menant de bonnes études, à l’instar de cet adolescent de 15 ans interpellé à Paris. Mais l’origine majoritairement populaire et d’immigration maghrébine (voire sub-saharienne) n’est pas contestable. Le dernier film de la cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar mettant en scène deux jeunes femmes, Sonia et Mélanie, issues de milieux aisés, n’est donc pas représentatif de l’image habituelle de la jeune fille s’engageant pour le djihad. De même qu’un brillant ou honorable parcours scolaire, ou une bonne structuration et entente parentales, ne sont pas les caractéristiques dominantes des garçons et filles radicalisés. La plupart des jeunes djihadistes en effet sont en situation d’échec scolaire et de rupture familiale, et, nous l’avons vu, souvent issus de la petite délinquance. Souvent également des fratries entières sont concernées par le projet islamiste (on se souvient des frères Kouachi).

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Outre des situations familiales et scolaires compliquées, de nombreux jeunes djihadistes sont déconnectés de notre monde, de leur propre sphère familiale (parentale). On ne dira jamais assez combien les rapports parents-enfants sont marqués aujourd’hui du sceau de l’indifférence réciproque. Quand on aura rappelé que nombre de parents, des milieux populaires en particulier, ne savent ce que font leurs enfants quand ils ont quitté leur domicile, l’on comprendra mieux a fortiori leur ignorance de leurs relations, ici dangereuses, s’agissant de celles nouées avec des représentants du djihadisme. C’est dire combien le djihadisme français est en grande partie le résultat de nos échecs familiaux, scolaires, professionnels, et de l’impuissance du politique à les résoudre. La radicalisation djihadiste est aussi chez les radicalisés l’expression d’un sentiment de vide, et d’abord de sens – de la vie notamment -, d’un sentiment de non-reconnaissance sociale, d’une impression souvent justifiée de ne pas être admis dans la communauté nationale, de n’avoir donc aucune identité. En commettant une action spectaculaire et choquante (le meurtre d’innocents), le dijadiste entend se faire valoir aux yeux du monde, devenir enfin quelqu’un. Il n’y a pas volonté de rupture avec notre monde, c’est ce monde-ci qui les rejette ; il n’y a pas davantage de « terreau de radicalité propre à l’adolescence », comme le soutiennent certains psychiatres, juste des conditions sociales et identitaires dégradées. Ensuite les choses se font très vite, et d’abord sur le terrain. Un copain ou un copain d’un copain indique qu’un tel ou un tel peut lui parler de la noble cause défendue par Daech, puis un recruteur, proche ou non de la mosquée locale, viendra commencer à faire l’apologie du djihadisme, mais sans contrainte. Les recruteurs en effet parlent et écoutent beaucoup, ce que ne font plus guère les adultes avec les jeunes. Internet sert ensuite, souvent, d’accélérateur. Une messagerie cryptée comme Telegram, aujourd’hui téléguidée depuis la zone irako-syrienne, par le Français originaire de Roanne Rachid Kassim, donne le « mode d’emploi » pour passer à l’action sur notre territoire même. Le mécanisme de la radicalisation est puissant. Ce qui rend les réponses difficiles. Question que nous aborderons dans un prochain papier.

Comments

  • water water
    octobre 30, 2016

    Pour ma part et par dela le bien et le mal, il n y a pas plus intégriste que la pensée humaine.
    Un chrétien disait que les musulmans avait un concept de dieu, celui de l’age de la piere, du temps de Noé, croire en dieu c’est s’en remettre à lui, sans l’esperer aimer. Le monde judao chrétien a un autre concept, dieu amour et familiarité.

    Ces deux concepts ont vécu ensembles par le passé,
    L’esprit républicain a détruit l’eglise et nationalisé les mosquées.

    En 1990, Mitterrand créait l’ordre mondial à coup de Tomahawk et 2016 Holande crée le nouvel ordre mondial à coup de Daach.

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