Marché, Race et Barbarie par Philippe Simonnot
D’une crise l’autre ! A peine commençons-nous à nous déconfiner et à sortir d’un cauchemar sanitaire de trois mois que nous voici confrontés à une nouvelle crise, qui cette fois touche les rapports des citoyens avec les « forces de l’ordre » dans les quartiers dits « sensibles ».
Et pourquoi donc ces quartiers sont-ils « sensibles », si l’on reprend cet euphémisme ? La réponse tient en deux chiffres : avant même le déclenchement de la pandémie, le taux chômage y frôlait les 25 % – soit plus du double de la moyenne nationale. Les jeunes de 15-29 ans étaient particulièrement victimes de ce fléau avec un taux de chômage de 45 %. Aujourd’hui, les chiffres sont certainement encore plus catastrophiques.
De bonnes âmes prêchent une fois de plus pour le retour de la « police de proximité ». Proche ou lointaine, la police n’est pas pourvoyeuse d’emplois. Elle est là pour assurer l’ordre public. Mais il n’y a pas d’ordre qui tienne quand un jeune sur deux est « occupé » à ne rien faire. Que des trafics en tous genres (drogues, prostitutions) se développent dans ce contexte lamentable n’est guère étonnant. Il s’agit tout simplement de survie même si ce sont les caïds qui en profitent le plus. La cause du désordre, c’est, non pas le racisme des policiers si tant est qu’il existe, mais le chômage de masse depuis des décennies. A ce fléau s’est ajoutée par rapport à la moyenne nationale une surmortalité due au coronavirus. Maintenir l’ordre dans ces conditions ? Mission impossible ! Surtout par des forces de l’ordre déjà durement éprouvées par le mouvement des « gilets jaunes », puis par les manifestations contre la réforme des retraites, sur fond d’accusation – déjà – de violences policières. Pour ne rien dire de la menace terroriste, toujours présente.
Bien sûr on accuse aussi les employeurs de discrimination raciale à l’embauche. On ferait mieux d’analyser les effets pernicieux d’une institution apparemment généreuse : le Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), instauré pour renforcer la situation des plus démunis en matière d’éducation et de formation.
Par définition, le SMIC est au-dessus du salaire qui s’établirait à la suite d’une libre confrontation de l’offre et de la demande de travail non qualifié. Payés au Smic, les demandeurs d’emploi sont plus nombreux qu’ils ne seraient s’ils étaient payés au salaire correspondant à leur qualification, mais les offres d’emploi, elles, sont moins nombreuses que si les salaires étaient plus bas. De ce déséquilibre artificiel entre offre et demande naît un chômage de masse endémique et irréductible. Il est d’autant plus lamentable que des personnes vraiment désireuses de travailler ne trouvent pas d’emploi. Alors l’Etat multiplie toutes sortes d’aides à l’emploi, toujours plus coûteuses et toujours plus inefficaces pour pallier lui-même les effets néfastes du salaire minimum. Autant de cautères sur une jambe de bois !
Le SMIC est donc bien à l’origine du chômage des moins qualifiés. Et pourtant cette institution reste une de ces vaches sacrées adorées par les Français, y compris par ceux qui en sont les premières victimes ; inconscientes de la cause de leurs malheurs, elles accusent le racisme d’en être responsable.
L’économie de marché, faut-il le rappeler, n’a pourtant rien à voir avec le racisme. La bible des économistes, c’est le livre d’Adam Smith, dont le titre complet est : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié en 1776. La bonne nouvelle qui était annoncée aux peuples du monde entier, c’était que toutes les nations étaient appelées à s’enrichir grâce à l’économie de marché. David Ricardo (1772 –1823) complétera cette information capitale en démontrant que tout pays, même avec des coûts de production supérieurs à ceux de tous les autres pays, a tout de même avantage à s’insérer dans le jeu du commerce international.
Par le théorème dit des « avantages comparatifs », Ricardo démontre en effet que même si le pays A est plus efficace que le pays B dans la production des produits X et Y, les habitants du pays A ont tout de même intérêt à se spécialiser dans la production dans laquelle ils sont comparativement les plus efficaces, par exemple le produit X, et à importer Y du pays B. Ce dernier, même s’il ne dispose d’aucun avantage absolu, a une possibilité de participer au commerce international et d’en profiter.
Pour appuyer sa démonstration, Ricardo donne l’exemple, devenu célèbre, de deux pays, l’Angleterre et le Portugal, produisant chacun du drap et du vin. Il se trouve qu’en Angleterre, le drap et le vin coûtent l’un et l’autre plus cher à produire qu’au Portugal. La théorie de l’avantage absolu indiquerait que les Portugais n’ont aucun avantage à commercer avec les Anglais. À supposer que l’économie se limite à ces deux produits, les deux pays vivraient en autarcie. La théorie de l’avantage comparatif indique de la manière la plus rigoureuse que les Anglais ont intérêt à se spécialiser dans la production de drap, et les Portugais dans celle du vin, et à échanger une partie de leur production pour satisfaire leurs besoins respectifs dans le produit dont ils ont abandonné la production. Ce faisant, ils améliorent l’un et l’autre la productivité de leur travail.
Ainsi même les nations les plus démunies peuvent tirer profit du marché.
Le terme de nation doit être ici entendu au sens large, et pas seulement au sens d’Etat-Nation. Un Etat peut être constitué de plusieurs nations, de plusieurs communautés. Les unes et les autres, quelle que soient leur race et leurs ressources, trouvent intérêt à commercer.
Ces « barbares » des banlieues, comme ils s’appellent parfois eux-mêmes, d’où viennent-ils ? Comment prospèrent-ils ? Faut-il les enfermer dans des prisons déjà surpeuplées ? La réponse, on la trouve chez Montesquieu (1689-1755), lui aussi grand penseur de l’économie internationale : « le commerce polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours » (De l’Esprit des lois, Livre XX, chapitre i).
Philippe Simonnot
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