Le marché noir est blanc comme neige
Dans le métro, je tombais par-dessus une épaule sur Direct Matin titrant « Carte blanche au marché noir – Trois Français sur quatre acceptent le phénomène », exprimant à demi-mots un étonnement, une émotion vaguement choquée qu’une telle majorité puisse ainsi approuver une telle pratique.
Ce type de titre, dans son phrasé même, montre bien l’état d’esprit sinon français, du moins d’une bonne frange del’establishment et de la presse de ce pays. Ainsi, l’emploi du terme « acceptent » est lourd de sens. Il y aurait donc dans le marché noir quelque chose de potentiellement mauvais, puisque presque inacceptable ? On voit combien la presse se méfie de la chose économique, hélas.
Mais plus français encore, il serait acceptable (!) d’imaginer ne pas accepter, de rejeter donc, une telle réalité, réalité qui pourtant est l’expression libre de la volonté des Français eux-mêmes. Car le marché noir n’est bien rien d’autre qu’une foule d’échanges libres et spontanés entre individus. On retrouve ce goût de la chimère, cette idée bien d’ici qu’il serait possible de contester la réalité et même la légitimité de la réalité. Car bien que fruit de la liberté de chacun, elle porterait le mal en soi.
Bien sûr, le terme de « marché noir » n’est pas neutre et montre combien cette perception de l’économie remonte déjà à bien longtemps. Il faut dire qu’à l’époque de la Grande Guerre, quand l’expression apparut, le marché noir faisait des jaloux chez ceux qui n’avaient pas les moyens d’y faire affaire. Quand bien même, le terme est resté, et aujourd’hui il désigne en fait l’ensemble du domaine économique qui s’organise pour échapper aux taxes et aux contrôles étatiques inutiles.
Le marché noir est donc de nos jours la meilleure manifestation de la liberté économique, par opposition au marché officiel, qui est soumis à la multitude des taxes, à commencer par la TVA. Il conviendrait donc presque de le renommer « marché libre », mais ce serait comme un blasphème !
Enfin, l’article titre sur un « phénomène », comme si on assistait à quelque chose de nouveau et de temporaire. Clairement, il y a toujours eu en France un marché noir actif, on parlait par exemple de « système D » il y a une ou deux générations. On peut même parier qu’il existera toujours, le peuple cherche juste à échapper à l’oppression fiscale. Le marché noir prospère en réaction à la taxation.
Pourtant il est vrai, avec l’explosion des sites tels que « Le bon coin » et ses multiples équivalents ou déclinaisons, que la désintermédiation que permet et qu’accélère Internet se manifeste dans de nombreux marchés ainsi nouvellement libérés, ayant trouvé le moyen de court-circuiter la taxation.
Les Français s’y retrouvent, c’est évident, et cela explique les trois quarts d’avis favorables. La bonne nouvelle, c’est que le « phénomène » va probablement s’amplifier et l’état va voir ses recettes mises à rude épreuve – à la bonne heure. La triste nouvelle, c’est que la presse ne voit pas – encore ? – qu’il s’agit bien là d’une excellente nouvelle pour le peuple et pour l’avenir. Où est son sens critique ?