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Guerre en Ukraine : la France au pied du mur Par Philippe Dorthe

Philippe Dorthe
Conseiller régional honoraire
Conseiller départemental honoraire

« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » (Winston Churchill)

Cette phrase de l’ancien Premier Ministre britannique, héro de la deuxième guerre mondiale serait-elle vérifiée ?

Les cerveaux ont-ils changé ? Les dictateurs au profil psychologique torturé ont-ils disparu ?

Ce qui a changé en Europe occidentale et aux États-Unis, c’est près d’un siècle de paix sur le sol des pays alignés sur l’Alliance Atlantique Nord basée jusqu’ici sur la dissuasion nucléaire et surtout sur la mondialisation de l’économie de marché qui a rendu beaucoup de pays dépendants les uns des autres.

Alors que l’Histoire de l’Europe s’écrivait par l’enchaînement d’une guerre tous les 30 ans, le traumatisme de la dernière guerre mondiale amena les vainqueurs à la signature des accords de Yalta le 11 février 1945 qui, en quelque sorte, figea le monde en deux blocs engendrant peu de temps après la guerre froide, voire très froide avec l’affaire des missiles de Cuba.

L’Europe de son côté, progressivement et par petites touches timides, est arrivée à mettre en place une institution européenne, mais plus tournée vers la finance et le marché, que vers une politique sociale commune et de défense commune (CED referendum de 1954). En tout cas, cette nouvelle entité renforça le ciment de la paix, notamment grâce à François Mitterrand et Helmut Kohl.    

Puis vint la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique. Ce fait historique suscita immédiatement chez les plus optimistes la croyance en une paix mondiale durable… enfin toutes  les filles et tous les gars du monde allaient pouvoir se donner la main et la prophétie du poète Paul Fort allait se réaliser.

Mais la dure réalité allait apparaître. Une fois levée la chape de plomb du communisme, les pays des Balkans retrouvent leurs querelles ancestrales.

Après quelques années de flottement, la grande Russie, la Russie éternelle, a retrouvé depuis plus de vingt ans un despote qui a mélangé dans un exercice mental complexe les grandes heures du tsarisme et les techniques staliniennes les plus dures de l’ex-URSS, pour au bout du compte,  finir en dictateur mafieux, esseulé et coupé de toute analyse rationnelle qu’il remplace par un discours révisionniste de l’Histoire le confortant dans ses décisions belliqueuses les plus folles.

Le sentiment de paix durable s’installe donc au sein des esprits européens occidentaux.

Il existe bien des théâtres de guerre : Balkans, Irak, Afghanistan, Libbie, Syrie, Mali… mais tout ceci est bien loin de nos démocraties et les « protégés » de l’occident regardent cela comme « Le bureau des légendes » sur Netflix à la télévision. Sûrs de nous, confiants derrière notre arsenal nucléaire, certains que la paix était inéluctable pour la nuit des temps et que la guerre n’était plus qu’une affaire lointaine réservée aux  autres. Alors vint le temps des OPEX.

Le marché, les finances, la sacro-sainte obsession de faire faire des économies à l’État, font se presser à  la « cours républicaine » tout le fleuron de la technocratie militaire et financière que compte le pays. Tout gonflé de certitudes, ils vont engendrer à plusieurs titres la plus mauvaise décision politique du 20e siècle, à savoir la suppression de la conscription.

En faisant abstraction de son côté social et du sentiment d’appartenir à la même Patrie et pour rester sur le plan militaire, les « sachants » démontrent à coups d’analyses, de tableaux, et de chiffres que la conscription est devenue inutile.

De plus elle est coûteuse avec ses casernes et ses 220 000 appelés du contingent qu’il faut nourrir et habiller. 

Bref, dans ce monde de paix occidentale, en France il est convenu que cette organisation de la défense républicaine était devenue obsolète. 

La réserve active à mobiliser régulièrement n’est plus nécessaire et la DOT (défense Opérationnelle du Territoire) est d’un autre temps.

Le Président Jacques Chirac et son Premier Ministre Alain Juppé se laissent convaincre que le nouveau monde de la défense se trouve dans la professionnalisation de nos armées, spécialisées pour les actions projetées, les fameuses OPEX (Opérations Extérieures), pour défendre les intérêts de la France où ils se trouvent en y intégrant bien sûr la lutte contre le terrorisme.

Cette capacité est certes absolument nécessaire mais a fait abstraction de tout autres scenarii beaucoup plus conventionnels. L’actualité ukrainienne réveille tout à coup chez nous la conscience d’un manque d’anticipation et de vision depuis des décennies.

Comme pour beaucoup de sujets, le temps court, l’immédiateté, le plan de carrière de certains de nos très hauts fonctionnaires rythmé par des mutations tous les trois ou cinq ans, ont annihilé toutes prospectives et vision dans le temps long. Un temps long qui doit prendre en compte la réalité humaine, celle qui de manière régulière dans l’histoire du monde réveille quelques cerveaux reptiliens aux instincts les plus sombres.

Vladimir Poutine n’est-il pas en train de donner raison à Churchill ? Ne sommes nous pas en train de glisser vers un passé oublié au remake que nous pension impossible ?

Avec les différences historiques mais avec la similitude de la pensée et du comportement, l’annexion de la Crimée par Poutine ne nous rappelle-t-elle pas l’annexion des Sudètes par Hitler en 1938 ? L’invasion de l’Ukraine par Poutine ne nous rappelle-t-elle pas l’invasion de la Pologne par Hitler en 1939, ce qui fut le déclencheur de la deuxième guerre mondiale avec ses 70 millions de morts ?

Étrange similitude aussi avec la volonté honorable du Président Macron, qu’on ne pourra jamais critiquer d’avoir voulu négocier avec le dictateur Poutine, comme le firent en 1938 le Président du Conseil français  Daladier et le premier Ministre Britannique Chamberlain. Traumatisés par les millions de morts de la guerre de 1914, ils ont lâché les Sudètes à Hitler et par là même la Tchécoslovaquie pour aboutir aux accords de Munich qui garantissaient les frontières de la France.

L’histoire par la suite, démontrera que des accords signés avec un dictateur n’ont qu’une valeur relative, pour ne pas dire aucune valeur. Hitler a envahi la Pologne le 1er septembre 1939.  D’ailleurs Churchill en commentant cette épisode dit cette phrase célèbre : « Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix ; ils auront eu le déshonneur et la guerre ». De son côté Daladier à son retour de Munich, moins naïf que Chamberlain, alors que la foule l’acclamait au pied de son avion au Bourget aurait seulement déclaré « Ah les cons ! S’ils savaient ! »

Mais pour revenir à nos élites remplies de certitudes, déjà, entre les deux guerres mondiales, nos stratèges délaissèrent la modernisation et la mécanisation de l’armée au profit de la quintessence de la guerre statique en construisant la ligne Maginot. À cette époque seul le Colonel de cavalerie Charles De Gaulle avait une vision prospective en prônant la stratégie de mouvement basée sur  la massification de la cavalerie lourde et mobile (les chars). 

Aujourd’hui, nous nous trouvons devant une situation un peu comparable avec un système peu efficace pour défendre les Français dans un conflit de forte intensité sur le territoire national, comme nous le voyons actuellement en Ukraine. Un conflit provoquant chez nous un électrochoc et une sidération qui nous met au pied du mur de la réalité du monde.

Le retour de la guerre en Europe

La guerre est partout la même, qu’elle soit dans les pays arabes ou africains, la guerre tue des enfants, décime des populations… mais ces guerres sont lointaines et nous émeuvent de temps en temps, en voyant des enfants gazés en Irak ou en Syrie, puis nous retournons rapidement à nos occupations.

Là, la guerre est en Europe, elle nous marque plus que les conflits des Balkans, elle est une guerre d’agression d’un pays envers un autre pays souverain. Elle nous amène à cette difficile obligation de nous projeter dans la même situation.

Oui Kiev, Marioupol, Odessa, Lviv…sont comme Paris, Toulouse, Bordeaux, Marseille…  ces villes ukrainiennes nous ressemblent.

Les petits enfants aux  grands yeux, emmitouflés sous des cagoules, avec leurs mères aux allures occidentales,  pleurent…  Ces images nous questionnent : qui chez nous ne s’est pas demandé comment nous réagirions dans la même situation ? Qui chez nous ne s’est pas demandé comment, où et par qui nous serions accueillis s’il fallait quitter notre pays ?

Réfugiés ukrainiens: existe-t-il une aide pour les familles d’accueil?

Tout l’occident veut  accueillir les Ukrainiens et c’est normal ! Mais là aussi notre humanisme est mis à l’épreuve, car il faut bien le reconnaître et le déni ne sert à rien, collectivement, inconsciemment ou pire consciemment, nous faisons la différence entre un réfugié ukrainien et syrien… Le cerveau reptilien sociétal a la vie dure. Sur tous ces sujets : défense, manque de prospective, Patrie, humanisme, autonomie, Europe, santé, agriculture… cette guerre vient de faire exploser nos certitudes, notre confort, elle fait resurgir dans notre mémoire collective des grandes guerres du 20e siècle et leurs cohortes de mort et de réfugiés sur les routes de France.

À la peur des lendemains économiques difficiles vient se rajouter la peur de mourir dans un bombardement ou d’être collectivement vitrifié par le feu nucléaire.    

Ce tragique moment doit nous faire relever la tête pour mettre à profit tous ces ressentis pour revoir collectivement le paradigme de notre organisation nationale inscrite dans une Europe soudée.

Oui la défense est un sujet, au même titre que la santé. D’ailleurs la problématique de la gestion des hôpitaux en temps de crise (COVID 19) : pas assez de lits, urgences dépassées, pas de masques, etc., serait certainement la même dans un conflit armée de forte intensité dans nos villes et territoires. C’est la résultante d’une gestion qui a fait passer l’intérêt des finances de l’État devant celui des  services.

Que cette guerre nous donne l’occasion de reparler de l’armée. Remettons sur la table la mise en œuvre d’un service national obligatoire d’un autre type. Par exemple 6 mois dont 1,5 mois de formation militaire élémentaire et le reste du temps en poste dans le secteur associatif, administratif et militaire pour ceux qui veulent. Remise en fonction d’une réserve active plus massifiée que notre réserve opérationnelle actuelle seulement forte de 65 000 réservistes.

Que cette guerre nous donne l’occasion de reparler de l’autonomie du pays par la réindustrialisation.  Cette France qui pendant des années a laissé tomber des fleurons industriels comme celui de l’armement militaire léger ou de la pharmacie doit retrouver en partie sur ces sujets vitaux son autosuffisance.

Que cette guerre nous fasse comprendre que rien ne sera plus comme avant. Même si ce conflit se règle rapidement comme nous l’espérons, il n’en reste pas moins l’ombre de la Chine, de l’Inde, de la Corée du Nord…

La liberté, la démocratie, sont des éléments fondamentaux d’une grande fragilité.  Ils sont la résultante des grands penseurs éclairés. Ils sont acquis et non innés.

La France doit être la France, mais dans l’Europe, car comme le disait François Mitterrand, le nationalisme, c’est la guerre !

Churchill avait donc raison, le passé est en train de nous rattraper en nous rappelant que rien n’est acquis, sauf une chose et cela depuis des temps très reculés : quand la lumière de la liberté s’allume, il y a toujours un esprit sombre qui fera tout pour l’éteindre. Défendons la lumière QUOI QU’IL EN COÛTE !

Philippe Dorthe

Conseiller régional honoraire

Conseiller départemental honoraire

Le 20 mars 2022                                  

*OPEX (Opérations Extérieures)     

Comments

  • Crouau
    mars 20, 2022

    Bonjour que feraient les Usa si les Mexicains passaient un accord avec les Chinois les autorisant à installer des bases militaires au Mexique.y.crouau
    Merci

  • Calvin
    mars 20, 2022

    Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie et nous sommes un pays de paix donc stop à l augmentation du budget de la défense

  • Trefelle louise
    mars 20, 2022

    La guerre entre la Russie et l Ukraine ne nous concerne pas et monsieur Dorthe, nous ne sommes pas des cowboys mais français.

  • Marie
    mars 21, 2022

    Je suis femme et pourtant jeune je trouvais que le service militaire aurait jamais dû être supprimé. Nous n’avons plus cette initiation passage de l’adolescence à l’âge adulte, brassage des populations, Lieu d’apprentissages divers y compris de métiers : un coût certes mais combien coûtent les indemnités chômage et les effets secondaires d’une jeunesse privée de repères et de règles de civilité et de sentiment patriotique, celui qui fédère, celui qui fait respecter les institutions et tout simplement ses voisins ou même sa famille ?

  • CAPELLE
    mars 21, 2022

    Merci Cédric de nous avoir transmis cet article de Philippe DORTHE dont la logique incite une réflexion approfondie quant aux décisions prises notamment envers la conscription.

  • Céline feront
    mars 23, 2022

    Non la France ne doit pas remettre le service militaire car cette pratique fait parti du siècle dernier. Et en plus, nous n avons pas une forte demographie. Elle est suicidaire votre proposition monsieur

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