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Forces françaises en Afrique : De la dissuasion à la persuasion Par Francis George

@le capitaine Francis George

L’agression russe de l’Ukraine, un pays Européen souverain dont les dirigeants ont été élus démocratiquement, a mis en exergue le manque de vision politique et de réflexion stratégique des pays de l’Union Européenne. Le calvaire des ukrainiens se poursuit avec son cortège ininterrompu de crimes de guerre alors que leur combat héroïque aurait dû être soutenu plus vigoureusement ; le martyr de populations civiles l’exigeait. Les dirigeants occidentaux comprennent difficilement qu’il est l’expression d’une crise systémique majeure comparable à celle qui provoqua les conflits du 20ème
siècle.

Nous faisons face à des systèmes politiques autoritaires, parfois corrompus ou mafieux, qui ne se contentent plus de concurrencer les démocraties ; ils adoptent, aujourd’hui, une posture agressive
à leur égard quand ils ne les attaquent pas militairement. Dans un tel contexte, quelques voix s’élèvent pour souligner l’inadaptation de nos Armées ; à juste titre. Au sein de l’Union Européenne, la France possède la seconde zone économique exclusive dans le monde, la première dans l’Océan Pacifique, très
loin de ses bases métropolitaines. Elle est particulièrement exposée à la probabilité de ces risques alors que l’agression russe en Ukraine met en évidence l’importance de la notion de réserves dans toute
réflexion stratégique.

Guerre en Ukraine 

L’agression russe de l’Ukraine, un pays Européen souverain dont les dirigeants ont été élus démocratiquement, a mis en exergue le manque de vision politique et de réflexion stratégique des pays de l’Union Européenne. Le calvaire des ukrainiens se poursuit avec son cortège ininterrompu de crimes de guerre alors que leur combat héroïque aurait dû être soutenu plus vigoureusement ; le martyr de populations civiles l’exigeait. Les dirigeants occidentaux comprennent difficilement qu’il est l’expression d’une crise systémique majeure comparable à celle qui provoqua les conflits du 20ème siècle.

Nous faisons face à des systèmes politiques autoritaires, parfois corrompus ou mafieux, qui ne se contentent plus de concurrencer les démocraties ; ils adoptent, aujourd’hui, une posture agressive à leur égard quand ils ne les attaquent pas militairement. Dans un tel contexte, quelques voix s’élèvent pour souligner l’inadaptation de nos Armées ; à juste titre. Au sein de l’Union Européenne, la France possède la seconde zone économique exclusive dans le monde, la première dans l’Océan Pacifique, très loin de ses bases métropolitaines. Elle est particulièrement exposée à la probabilité de ces risques alors que l’agression russe en Ukraine met en évidence l’importance de la notion de réserves dans
toute réflexion stratégique.

 

Combinant intelligemment des systèmes d’armes hétérogènes, par une conception de manœuvre ouverte aux échelons subordonnés, ils ont repris l’ascendant sur des agresseurs désinhibés. Il convient donc de
s’interroger sur l’état de nos propres forces citoyennes en de telles circonstances. Les aléas de notre histoire autant que l’élégance le commandent. Il n’est pas question ici de revenir sur la difficile gestion des ressources humaines dans nos Armées, elle a été illustrée dans la presse nationale en termes de recrutement, de gestion, de fidélisation, de mobilité et de rémunération.

Si, à l’issue de leurs contrats, les militaires d’active sont tenus à une disponibilité de 5 années (réserve opérationnelle de 2 ème niveau), le souvenir parfois mitigé que suscitent ces difficultés de gestion ne sera probablement pas sans conséquences sur leur enthousiasme à réintégrer un milieu qui n’a pas souhaité ou su les retenir. Notre propos s’attachera ici à la gestion de cette composante essentielle que révèle le
conflit en Ukraine, la réserve opérationnelle volontaire.

En France, aujourd’hui, elle est composée de personnels servant dans des unités professionnelles, trois ans en moyenne, sous contrat d’engagement à servir dans la réserve opérationnelle (ESR). Ils servent principalement selon deux modalités :

 

– Au sein de compagnies ou d’escadrons de réserve (80 à 130 hommes commandés par un capitaine réserviste) – A titre individuel, souvent comme spécialiste (état-major, logisticien, transmetteur…), dans un
régiment d’active ou au sein de l’état-major d’une grande unité, brigade ou division la plupart du temps.

Dans sa remarquable rétrospective « LE TEMPS DES GUEPARDS – La guerre mondiale de la France – De 1961 à nos jours » (TALLANDIER janvier 2022), le colonel Michel GOYA rappelle :

« En 1991, les trois armées et le service de santé pouvaient être renforcés en quelques jours de 420.000 réservistes formés et équipés, dont une grande partie en unités complètes. Il n’y en avait plus en 2019 que 33.000, dont un millier utilisé chaque jour pour effectuer des renforts individuels. Au début des années 1990, il y avait trois régiments médicaux dans l’Armée de Terre, dont un de réserve. En 2020, il n’en restait plus qu’un seul pour faire face à la pandémie de coronavirus……… On pourrait, comme les Américains, engager jusqu’à un tiers de réservistes ou de gardes nationaux dans une opération extérieure au lieu d’une poignée d’individus actuellement ».

 

 

Fort des enseignements de l’opération Tempête du Désert (1991) menée en IRAK, c’est la professionnalisation des Armées voulue en 2003 par le Président Jacques CHIRAC qui conduisit à la dissolution des régiments dont les effectifs étaient entièrement composés de réservistes ; des unités couplées à des régiments d’active supports dotés des équipements nécessaires et chargés de la formation de leurs doubles de réserve. Aujourd’hui, plusieurs constats peuvent être dressés à cet égard. L’expérience
montre que dans leurs régiments d’active de rattachement, la formation des réservistes opérationnels reste cantonnée principalement à la formation initiale ; une formation qui, si elle n’est pas entretenue par des exercices réguliers et de la formation continue, aboutit inéluctablement à une baisse des compétences. Actuellement, elle n’est donc plus à la hauteur des enjeux du nouveau contexte international et des technologies des nouveaux systèmes d’armes. Comme le relève Michel GOYA, une amélioration sérieuse de ces compétences pourrait passer par une participation accrue aux opérations
extérieures ou aux missions de courtes durées. Mais de telles participations sont, à l’heure actuelle, considérées comme une incongruité par nombre d’officiers supérieurs et généraux. Ce constat n’est pas sans rappeler les propos réprobateurs que tint un officier général proche de sa famille, au jeune Hubert GERMAIN, dernier compagnon de la Libération, sur le point de s’engager dans les Forces Françaises Libres en mai 1940. Il est fréquent que de telles participations soient mal vécues par les professionnels et débouchent, à l’issue de la mission, sur des baisses de notation et des fins de contrats prématurées.

Ce constat n’est pas sans conséquences sur les perceptions souvent trop étroites de forces françaises repliées sur elle-même à l’étranger et peu ouvertes aux problématiques des territoires sur lesquelles elles sont pré-positionnées, principalement en Afrique. Des postures que soulignait le général d’armées François LECOINTRE, précédent chef d’état-major des Armées à l’issue de son temps de commandement, en regrettant des stratégies déconnectées des problématiques de développement. Dans un tel environnement, le réserviste opérationnel, fut-il diplômé d’état-major et plus attentif à ces questions essentielles au 21ème siècle, n’est pas vraiment accueilli en confiance dans nos Armées.

 

Dans son livre « Arrogant comme un Français en Afrique » (Editions Fayard – mars 2016), Antoine GLASER notait qu’elles constituaient une sorte de chasse gardée. Le réserviste opérationnel qui se porte volontaire pour une mission, fut-elle en déshérence de candidats d’active, le paie parfois sévèrement en termes de notation et continuité de carrière. Il devrait plutôt renvoyer l’image d’un citoyen pleinement engagé.
L’attachement qu’il porte à notre pays et à nos institutions ne le fait pas vivre ; il le vit passionnément. Tout comme il animait d’autres Français valeureux aux époques dramatiques de notre Histoire. Exprimée lors de la campagne présidentielle de 2022, la volonté politique de doubler leurs effectifs ne peut compenser les réductions drastiques décrites précédemment et le manque de considération qui les sous-tend encore aujourd’hui. Il n’encouragera pas nos jeunes concitoyens à souscrire les nouveaux engagements attendus ; des engagements censés assurer la compétence des futurs combattants de l’urgence et garantir notre souveraineté. Ces constats démontrent donc une très nette dégradation de l’intérêt portés au recrutement, à la formation, et pour tout dire clairement, à la considération
portée à ces soldats citoyens dont le conflit en Ukraine démontre l’importance stratégique aujourd’hui.

Leurs dossiers administratifs ne sont pas suivis et il faut, aux plus fidèles et assidus d’entre eux, des années de démarches, bulletins de soldes à l’appui, pour que toutes leurs années d’activité soient prises en compte dans leurs états de services (ESS). Quelques parlementaires se sont émus, à juste titre, d’une absence de prise en considération des retenues et cotisations opérées sur leurs soldes dans le calcul de leurs droits à pension civile ; si les professionnels bénéficient de conditions avantageuses de départ à la retraite tout en reconnaissant le même niveau d’exigence et de pénibilité pour s’assurer le recrutement de réservistes de qualité, les Armées ont toujours refusé d’accorder des contreparties aux retenues et cotisations pour pensions opérées sur la solde de ces mêmes réservistes.

Cet état d’esprit n’est pas sans rappeler celui qui présida au blocage regrettable de l’évolution des pensions versées aux anciens combattants issus des anciennes colonies françaises. Plus grave sur le plan stratégique, ce manque de considération participe de ce nouvel art occidental que décrit Gérard CHALIAND dans son ouvrage publié en 2016 aux éditions Odile JACOB « Pourquoi prend-on la guerre, un nouvel art occidental ». Ce géostratège  a particulièrement bien démontré qu’à partir de la seconde moitié du 20ème siècle, ce n’est plus l’avance technologique qui garantit le succès des armes, mais bien l’engagement de femmes et d’hommes de conviction au bout d’une action résolue. Dans son essai, « Guerre et stratégie au XXIe siècle » (2014 –Fayard), Christian MALIS soulignait que se préparer

technologiquement à la guerre, c’est déjà faire la guerre ; nous savons aujourd’hui que les effectifs, la formation et la considération accordée aux réservistes opérationnels garantiront une reprise d’ascendant sur des agresseurs. Ce constat doit conduire à une sérieuse évolution des représentations dans nos Armées. Les raisons d’espérer ne manquent pas car elles n’ont pas toujours été aussi désinvoltes dès lors qu’une vision politique claire l’exigeait. A cet égard, reporter la limite d’âge des réservistes de 62 à 72 ans interroge singulièrement sur le succès et l’efficience des recrutements dans les classes d’âge correspondant à ces enjeux. Il eut probablement mieux valu accorder toute cette considération qui leur était due aux 350.000 réservistes opérationnels motivés dont les Armées se sont séparées de façon bien peu flatteuse et imprudemment. Au-delà, il implique une évolution du concept de dissuasion vers son prolongement de persuasion : Les démocraties doivent assurer leurs agresseurs d’une détermination sans faille à mettre en œuvre tous leurs moyens conventionnels, leur puissance économique, leurs technologies et leurs forces, réserves incluses, dans leurs défenses.

 

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