
Christian Kérangall : l’homme qui possède le Gabon sans l’avoir conquis
Dans les coulisses du pouvoir économique gabonais, une figure singulière se distingue par sa discrétion autant que par son influence : Christian Kérangall. Homme d’affaires gabonais d’adoption, ce Franco-Gabonais incarne une forme de capitalisme africain, à la fois enraciné dans les réalités locales et ouvert aux logiques transnationales. Président de la Compagnie du Komo (CDK), il dirige un conglomérat gabonais aux ramifications multiples, dont les activités s’étendent de l’import-export à la banque, en passant par l’immobilier, l’informatique et les services industriels.
Son ascension, loin des projecteurs médiatiques, s’est construite sur une maîtrise fine des dynamiques économiques régionales et sur une capacité remarquable à tisser des alliances stratégiques, tant avec les élites politiques qu’avec les acteurs du secteur privé au Gabon. Actionnaire de référence de la BGFI Bank, première institution financière d’Afrique centrale, Kérangall détient une part significative du capital (environ 25 %), ce qui lui confère un poids décisif dans les orientations du groupe.
Son empire, structuré autour de la CDK, s’appuie sur une dizaine d’entreprises au Gabon et dans plusieurs pays africains, mais également en Europe. Cette présence internationale témoigne d’une vision entrepreneuriale qui dépasse les frontières, tout en conservant une forte empreinte locale. En 2015, Forbes Afrique estimait sa fortune en Afrique à plus de 500 millions de dollars, le plaçant parmi les personnalités les plus fortunées d’Afrique francophone subsaharienne.
Mais au-delà des chiffres, c’est la posture stratégique de Christian Kérangall qui intrigue. Longtemps considéré comme proche du président Ali Bongo Ondimba, il semble aujourd’hui opérer un repositionnement subtil auprès des nouvelles autorités de transition, incarnées par le général Brice Clotaire Oligui Nguéma. Ce pragmatisme, loin d’être opportuniste, s’inscrit dans une logique de continuité économique, où la stabilité des affaires prime sur les aléas du pouvoir.
En refusant l’introduction en bourse de BGFI Bank en 2025, Kérangall a rappelé que les équilibres financiers du pays ne sauraient être modifiés sans l’aval des piliers historiques du système. Ce geste, interprété par certains comme une démonstration de force, révèle surtout une volonté de préserver un modèle économique fondé sur la maîtrise des flux et la confidentialité des opérations.
Christian Kérangall incarne ainsi une figure paradoxale : celle d’un entrepreneur gabonais à la fois enraciné et globalisé, influent mais rarement exposé, dont le parcours illustre les tensions entre modernisation économique et préservation des intérêts établis. Dans un Gabon en quête de renouveau, son rôle pourrait bien s’avérer déterminant — à condition que l’histoire lui laisse le temps d’écrire ses prochaines lignes.